Enquête sur le mystérieux « Institut Mandela », qui honore le Burundais Pierre Nkurunziza

Le 19 mars, dans un hôtel parisien cossu, se tenait la seconde cérémonie de remise des « Prix Mandela ». Des récompenses honorifiques décernées par l’Institut éponyme, un think-tank qui revendique la promotion des valeurs de l’ancien président sud-africain… mais dont la crédibilité, remise en cause par plusieurs de ses « partenaires », ne laisse pas d’interroger.

Pierre Nkurunziza, lors des festivités de l’Indépendance du Burundi, le 1er juillet 2017. © REUTERS/Evrard Ngendakumana

Pierre Nkurunziza, lors des festivités de l’Indépendance du Burundi, le 1er juillet 2017. © REUTERS/Evrard Ngendakumana

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Publié le 20 mars 2018 Lecture : 11 minutes.

Qui oserait remettre en cause la crédibilité d’une organisation baptisée du nom du héros mythique de la lutte anti-apartheid ? Le 23 décembre, l’Institut Mandela – qui se définit comme un think-tank voué à « garder vivant l’esprit et l’inspiration du panafricanisme et de promouvoir les valeurs de société ouverte et de paix partout sur le continent par une diplomatie intellectuelle » – dévoilait la liste des lauréats de la seconde édition de son Prix Mandela, qu’il organise depuis 2016.

Prix du « Courage » pour Pierre Nkurunziza

Parmi les lauréats, un nom intrigue plus que les autres : celui du président burundais Pierre Nkurunziza, alors même que son élection pour un troisième mandat, en 2015, a provoqué une crise profonde au Burundi, générant des violences au sujet desquelles une commission indépendante du Conseil des Nations unies pour les droits l’homme mène l’enquête.

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Le président burundais n’est pas le seul choix surprenant du palmarès 2017. En effet, on retrouve sur cette même liste le président kényan Uhuru Kenyatta, récompensé du prix de la Démocratie à l’issue d’un processus électoral pourtant chaotique et d’une victoire au second tour à plus de 98 %, après le retrait de l’opposant Raila Odinga.

>>> A LIRE – Les zones d’ombre de l’Institut Mandela de Paris

Comportant nombre de VIPs, les prix Mandela 2017 alignent encore, pêle-mêle, le président tanzanien John Magufuli (prix de la Paix), son homologue tchadien Idriss Déby Itno (prix de la Sécurité), l’ancien Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn (prix de l’Émergence)… ou encore la députée ougandaise Jacqueline Amongin (prix du Leadership féminin) ou Mbagnick Diop, président du Mouvement des entrepreneurs sénégalais.

À leurs côtés figurent également les noms d’universitaires comme le Marocain Mohamed Harakat, qui est pourtant cité comme « administrateur » dans l’organigramme de l’Institut Mandela. En sa qualité d’enseignant à l’université Mohamed-V de Rabat, celui-ci avait même signé un partenariat entre l’établissement marocain et le « think-tank », basé en France.

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Dans une enquête publiée après la première remise des Prix Mandela, le site marocain Le Desk mettait d’ailleurs en avant les relations privilégiées qu’entretient le président de l’Institut Mandela, Paul Kananura, avec des universitaires gravitant autour de l’Institut royal des études stratégiques (IRES). En 2016, d’ailleurs, le roi Mohammed VI en personne s’était vu décerner le prix de la Paix. Sans pour autant l’avoir ni sollicité ni assumé.

« Je ne partage pas tous les choix figurant sur la liste et je ne souhaitais pas forcément y être associé », résume à Jeune Afrique une source ayant œuvré à l’Institut Mandela, où le processus d’attribution des fameux prix reste relativement opaque

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Une association confidentielle devenue “think-tank”

Lancé officiellement en novembre 2014, ce think-tank est dirigé par le “Docteur” Paul Kananura, qui se présente comme un « expert en géopolitique et politiques publiques ». Rwandais d’origine, Paul Kananura est arrivé en France à la fin des années 1990 pour faire son doctorat en politique publique à l’université Bordeaux 3.

En parallèle de ses études, il fonde l’Association des stagiaires et étudiants africains en France (ASEAF), avec laquelle il participe à l’organisation de plusieurs colloques entre 2001 et 2014, avant que les activités de l’ASEAF ne se confondent avec celles de l’Institut Mandela.

Un comité de direction est alors mis en place. Dirigé par Paul Kananura, celui-ci est chapeauté par un président d’honneur qui n’est autre qu’Olivier Stirn, ancien secrétaire d’État et ministre, présenté comme « un ami » de Nelson Mandela.

La Fondation Mandela conteste

Bien qu’aucune autre connexion n’existe que l’amitié putative entre Olivier Stirn et l’icône sud-africaine, le nom de Mandela n’en reste pas moins une « marque » puissante, que l’Institut s’est appropriée sans vergogne.

Dans la mise au point qu’il adressait à Jeune Afrique en janvier, suite à la publication d’une tribune de l’écrivain David Gakunzi, le directeur de l’Institut Mandela expliquait avoir « manifesté par écrit » sa « volonté de travailler en collaboration avec la Nelson Mandela Foundation et l’Afrique du Sud ». Créée en 1999 par l’ancien président, et garante officielle de son héritage et des archives le concernant, cette fondation, basée à Johannesburg, donne pourtant à JA, via son avocat, une version fort différente de ces échanges.

« Pendant l’année 2017, notre cliente a été approchée par Paul Kananura, qui lui a demandé de reconnaître son institut. Notre cliente ne reconnaît pas cet institut », explique l’avocat, qui affirme qu’« à la suite de ces échanges, une lettre de mise en demeure a été envoyée à l’Institut Mandela, qui n’a malheureusement pas abouti à l’arrêt de l’utilisation du nom. »

Depuis la mort de l’ancien président sud-africain, sa fondation redouble d’efforts pour contrôler l’usage de son nom. Elle est l’une des seules garantes des marques déposées « Nelson Mandela », « 46664 », « Nelson Mandela International Day », ainsi que des images de celui qu’on surnommait « Madiba ».

Selon son avocat, des démarches sont en cours afin de dissuader Paul Kananura de s’approprier ainsi, sans autorisation, l’aura de l’ancien leader de l’ANC .

Imposture

Malgré cet avertissement, le directeur de l’Institut Mandela de Paris persiste et signe. De remises de prix en conférences, il attire dans ses filets responsables politiques, diplomates, officiers de l’armée en retraite, chefs d’entreprises, universitaires ou hauts fonctionnaires, tous mis en confiance par ce nom prestigieux.

Cet institut est une imposture, il déshonore le nom de mon grand-père !

En avril 2017, par exemple, Paul Kananura s’affichait aux côtés de plusieurs ambassadeurs, mais également du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, dans le cadre d’une conférence sur « l’héritage et les valeurs de Nelson Mandela ». En présence de Ndaba Mandela, petit-fils de l’ex-président sud-africain, qui dirige aujourd’hui la Fondation Africa Rising, cette rencontre se déroulait à l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, dont Paul Kananura assurait avoir engrangé le partenariat.

Pourtant, du côté du service communication de l’IMA, on assure que l’Institut Mandela n’était aucunement impliqué dans l’organisation de l’événement, initié par la fondation de Ndaba Mandela. « J’ai été sollicité à plusieurs reprises au sujet de cet institut. Il n’a aucun lien avec moi ni avec la fondation de mon grand-père. Cet institut est une imposture, il déshonore le nom de mon grand-père ! », confirme Ndaba Mandela à Jeune Afrique .

Partenariats imaginaires

Ce prétendu partenariat n’est pas le seul à poser question. Sur le site Web de l’Institut Mandela, en effet, plusieurs logos intriguent, comme ceux du Département d’État américain ou du ministère français de la Défense.

« Il n’y a jamais eu de partenariat entre le ministère de la Défense et l’Institut Mandela », nous explique une source proche du ministère français. « Monsieur Kananura a simplement convié des militaires à certains événements, et il s’est de ce fait autorisé à apposer le logo du ministère de la Défense. »

Du côté du Département d’État américain – équivalent du ministère des Affaires étrangères -, si un officiel reconnaît que la branche africaine (Africa Regional Service) a bel et bien participé aux forums organisés tous les ans depuis 2015 par l’Institut Mandela, il conteste en revanche l’appellation « partenariat » ainsi que l’autorisation d’utiliser le logo.

Étrangement, depuis nos sollicitations auprès de Paul Kananura, la trace de ces « partenariats » a d’ailleurs été retirée du site du think-tank.

Quand vous lisez le nom Mandela, ça fait sérieux

Malgré les zones d’ombres qui entourent l’Institut, la première remise des prix Mandela s’est déroulée en grande pompe, tout comme cette année, au luxueux Hôtel Marriott, sur les Champs-Élysées. Nous sommes le 25 février 2017. Parmi les invités, on retrouve notamment l’ancien ministre français Jean-Louis Borloo, venu remettre le Prix Mandela du Courage.

« Nous avions été contactés par mail pour remettre ce prix au Premier ministre malgache, que nous connaissons bien », explique Olga Johnson, la directrice générale de la fondation Énergies pour l’Afrique, que Jean-Louis Borloo préside. « Nous ne savions rien à propos de l’Institut Mandela à part ce qui figure sur la plaquette adressée par M. Kananura. Quand vous lisez le nom Mandela, ça fait sérieux. »

« Nous y sommes allés sur la bonne foi qu’inspire le nom de Mandela, mais nous nous sommes vite rendus compte que ce prix n’avait rien d’officiel, aussi nous n’avons pas cherché à entretenir de liens avec cet institut », explique aujourd’hui la Fondation Chirac, contactée par Jeune Afrique, dont la trésorière, Marie-Hélène Bérard, était également présente au Marriott en 2017.

Contacté à plusieurs reprises, le président de l’Institut Mandela de Paris n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Mise au point de l’Institut Mandela

Suite à la publication sur notre site, le 20 mars, de l’article le président de l’Institut Mandela, Paul Kananura, nous a adressé la mise au point suivante :

« « Quand tu t’es battu si dur pour te remettre debout, ne retourne jamais vers ceux qui t’ont mis à terre », Nelson Mandela.

Suite à votre article “Enquête sur le mystérieux Institut Mandela, qui honore le Burundais Pierre Nkurunziza”, publié le 20 mars 2018 à propos de l’Institut Mandela, que j’ai l’honneur de présider, je viens rectifier certaines contrevérités et fausses accusations véhiculées.

Décidément! Il semble que l’acharnement facile dont fait montre «Jeune Afrique » contre l’Institut Mandela n’a pas de limite. Votre deuxième article construit sur le refoulement des éléments du premier, marque à suffisance l’acharnement aveugle de votre journal à l’égard de notre noble Institut. Bourré d’inexactitudes, d’approximations, de contradictions, de contre-vérités, mélangeant comme à dessein des propos de papote, tenus ou supposés, multipliant des allégations imaginaires, cet article ne fait en réalité pas honneur à son auteur. Il insulte la logique, la raison et l’éthique.

Je précise que nous confions gratuitement certaines tâches à des personnalités inscrites préalablement à nos manifestations. La version de personnes interviewées est dénuée de sens et d’objectivité pour relayer la propagande de nuisance. Certaines n’ont même pas souvenir d’une quelconque interview. Vos articles, avec une influence relative sur l’échiquier médiatique africain, n’ont pas donné les résultats escomptés. Par exemple, la vidéo diffusée en direct de la cérémonie de remise des Prix Mandela 2017 a été visionnée par plus de 12 000 personnes : aucun commentaire négatif.

Le Prix Mandela du Courage 2017, décerné au Président Nkurunziza, posait manifestement un problème particulier à Jeune Afrique et ses contributeurs. Si le prix Mandela était une marque déposée par un européen de souche, on n’aurait pas déversé sur lui toutes ces billevesées, suspicions et accusations gratuites. Mais comme il s’agit d’un Africain, tout devient permis, de la suspicion facile jusqu’à la stigmatisation gratuite.

Les Prix Mandela sont décernés à des personnalités ou institutions après un processus rigoureux de sélection des candidatures motivées. Les prix ne sont pas destinés à récompenser l’absence de problème, mais plutôt la volonté de trouver des solutions ou d’y faire face. Le Prix du Courage attribué au Président Pierre Nkurunziza – dont la candidature a été proposée par 318 personnes – obéit à cette philosophie bien cohérente.

Je note votre cécité volontaire sur les explications fournies, dans le droit de réponse à votre premier article du 8 janvier dernier, quant à l’attribution de ce Prix honorifique au Président Pierre Nkurunziza. Je vous rafraîchis la mémoire sur les six qualités de courage qui ont été retenues par le Comité de sélection et confirmées par le Jury :

  1. Un chef rebelle incontesté, ayant préféré le maquis à un poste à l’université pour défendre la dignité de son peuple.
  2. Un président élu démocratiquement en 2005, avec une majorité écrasante, qui a accepté de partager le pouvoir avec ses adversaires.
  3. Un bilan positif en matière de réconciliation nationale, salué par tous en 2009, en quatre ans de pouvoir. Ce fut une mission quasi impossible pour ses prédécesseurs pendant 43 ans
  4. Politique de développement endogène qui ne compte pas trop sur l’aide extérieure, avec des résultats tangibles et visibles. Ce bilan est aussi matérialisé par la construction de plus de 500 établissements scolaires et de santé en 10 ans. Ces réalisations dépassent de loin, en nombre, tous les établissements construits avec l’aide extérieure pendant 40 ans.
  5. Retour de Tanzanie en plein coup d’État pour faire face aux ennemis de la démocratie alors qu’il était plus facile pour lui d’aller en exil.
  6. Faire face au complot international et à la déstabilisation programmée du Burundi, sans tomber dans le piège de division ethnique planifié par ses adversaires politiques.

La logique de paix est un lent processus de construction tandis que la logique de guerre est un processus brutal de destruction. Pour construire la paix, il faut des nations fortes ; pour faire la guerre, il suffit de nations violentes. Parce que la force ne va pas sans la générosité et que la force sans la générosité, c’est la violence (Régis Chamagne) comme celle imposée au Burundi pour des intérêts obscurs.

L’Institut Mandela et ses membres perçoivent le monde tel qu’il est. Et d’ailleurs, si on se base sur les critiques des opposants, aucun dirigeant au monde ne recevrait une quelconque distinction. Notre Institut n’a aucun état d’âme. Ses prix ne servent pas à racheter les péchés d’autrui. Ils sont destinés à encourager les initiatives positives pour un meilleur devenir de l’Afrique. C’est cela notre sacerdoce pour bâtir une Afrique nouvelle prospère, de paix et de stabilité, avec des institutions fortes.

L’Institut Mandela est une  marque déposée qui n’a pas besoin de reconnaissance de qui que ce soit.  C’est un label africain qui s’est fixé des objectifs sans se soucier des préjugés mal placés. Il s’est bâti sur un socle de valeurs intangibles, parmi lesquelles l’honnêteté et la vérité. Les personnes mal intentionnées qui distillent des mensonges et des contrevérités sur notre Institut ne pourront jamais entamer ni entacher sa crédibilité, qui suscite de la jalousie des gens qui aimeraient décerner les Prix à notre place pour des raisons mercantiles.

La diffamation n’a jamais servi la vérité. L’intox n’est pas la bonne information. Toutefois, vos agissements, ne pourront jamais corroder notre détermination à servir l’Afrique.  Le sens de notre action est dicté par le futur et non pas par des considérations secondaires aux antipodes des principes journalistiques. C’est «l’afro-responsabilité » qui nous anime.   Notre pensée stratégique se concentre sur les grandes questions qui interpellent l’Afrique  et le monde en constante mutation.

Enfin, retenons que : « Les grands esprits discutent des idées ; les esprits moyens discutent des événements ; les petits esprits discutent des gens », nous apprend Eleanor Roosevelt.  En plus, chacun a la place qu’il mérite ou veut occuper dans ce monde. Pour conclure, disons que les baves du crapaud ne pourront jamais atteindre la blanche Colombe ! »

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Nelson Mandela, en 2007. © Theana Calitz/AP/SIPA

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