Rwanda-France : ce qu’il faut savoir sur le nouveau témoin qui accuse Paul Kagame

Alors que les relations diplomatiques entre Paris et Kigali sont redevenues explosives, Jeune Afrique revient en détail sur la dernière pomme de discorde en date : un témoin, apparu in extremis devant la justice française, qui accuse le FPR d’être à l’origine de l’attentat du 6 avril 1994.

Paul Kagame, president de la Republique du Rwanda, a Kigali, lors d’une interview a Jeune Afrique, en mai 2017. © Vincent Fournier / Jeune Afrique-REA

Paul Kagame, president de la Republique du Rwanda, a Kigali, lors d’une interview a Jeune Afrique, en mai 2017. © Vincent Fournier / Jeune Afrique-REA

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Publié le 18 octobre 2017 Lecture : 5 minutes.

L’épave de l’appareil du président Juvénal Habyarimana, tué dans un attentat le 6 avril 1994. © Bouju/AP/Sipa
Issu du dossier

Attentat du 6 avril 1994 : retour sur l’enquête de la discorde entre la France et le Rwanda

Le 6 avril 1994, l’attentat contre le président rwandais Juvénal Habyarimana donnait le signal de départ au génocide contre les Tutsi. Retrouvez tous nos articles sur ce dossier qui empoisonne depuis vingt ans les relations entre Paris et Kigali.

Sommaire

Apparu tardivement dans la procédure ouverte à Paris en 1998, James Munyandinda (alias Jackson Munyeragwe) accuse l’actuel président rwandais, Paul Kagame, d’être le commanditaire de l’attentat commis le 6 avril 1994 contre l’avion de l’ancien président Juvénal Habyarimana – lequel avait servi de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsis.

Entendu par le juge français Jean-Marc Herbaut les 8 et 21 mars 2017, il a notamment affirmé avoir assisté personnellement au chargement  des missiles sol-air qui auraient servi à commettre ce crime. Le magistrat français, qui a hérité du dossier instruit à l’origine par Jean-Louis Bruguière, entend convoquer en décembre le ministre rwandais de la Défense, James Kabarebe, afin d’être confronté à James Munyandinda. Au risque de provoquer une rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda.

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Alors que la réaction officielle des autorités rwandaises se fait toujours attendre, Jeune Afrique revient sur le parcours de ce « témoin de la 23e année » et sur les circonstances de son arrivée dans le dossier.

1. Quelle fonction occupait James Munyandinda en 1994 ?

A la veille du génocide, James Munyandinda était un jeune soldat ayant rejoint les rangs de l’Armée patriotique rwandaise (APR), la rébellion essentiellement tutsie qui affrontait depuis octobre 1990 le régime de Juvénal Habyarimana.

Selon sa déposition, en février 1994 il faisait partie d’une équipe de dix hommes qui avaient pour mission de garder deux missiles SAM-16, contenus dans des caisses fermées avec des cadenas, entreposées au QG de la rébellion, à Mulindi (Nord).

Munyandinda affirme avoir vu ces missiles, dont il aurait conservé en mémoire, 23 ans plus tard, les numéros de série. En outre, il aurait participé à leur chargement dans un camion de l’APR en vue de leur acheminement vers Kigali, en février ou mars 1994, où ils auraient selon lui été utilisés pour abattre le Falcon 50 présidentiel.

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2. Dans quelles conditions a-t-il fait défection ?

Après le génocide, James Munyandinda poursuit sa carrière militaire dans la Rwanda Defence Force (RDF) jusqu’en 2008. Là, sa version diverge avec celle de nos sources à Kigali.

Devant le juge Herbaut, le témoin affirme qu’un haut responsable des services secrets l’a alors missionné pour une opération clandestine en Ouganda. Sa mission : liquider ou ramener de force au Rwanda le sergent Richard Kabano, dont il est proche, car ce dernier disséminerait des informations sensibles au sujet de massacres commis au Rwanda par l’armée. Après avoir fait mine d’accepter et avoir pénétré sur le territoire ougandais le 2 octobre 2008, Munyandinda affirme s’être volatilisé dans la nature et avoir vécu dans la clandestinité en Ouganda, de peur de risquer le même sort que Kabano – car il disposait, dit-il, du même type d’informations.

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Les autorités rwandaises livrent une toute autre version. En octobre 2008, James Munyandinda, qui a alors le grade de sergent, est parti suivre, à son initiative, une formation en comptabilité et finances en Angleterre, à l’Université de Coventry – ce qu’il ne mentionne pas devant le juge français. Au terme de celle-ci, en août 2009, il fait défection de l’armée rwandaise. Sa présence en Ouganda est attestée depuis 2010 au moins.

Contacté par courriel, James Munyandinda n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

3. Est-il lié à l’opposition rwandaise en exil ?

Depuis qu’il a quitté l’armée rwandaise, James Munyandinda a adopté un nouveau nom : Jackson Munyeragwe. Au cours des dernières années, il se présentait comme le secrétaire général du Rwandan Protocol for a Rwandan Kingdom (RPRK). Créé en 2007 par un certain Eugène Nkubito, ce groupuscule monarchiste violemment hostile au régime de Kigali est animé depuis l’Ouganda et le Royaume-Uni, et ses responsables gèrent également un site Internet et une radio en ligne. James Munyandinda dispose aussi de comptes sur Facebook et Twitter, sous son nom d’emprunt.

Si la plupart de ses écrits sont publiés en kinyarwanda, les textes en anglais dont il est l’auteur permettent de le classer parmi les détracteurs les plus virulents de Paul Kagame. Si l’on n’y trouve nulle mention d’une ambition visant à instaurer une monarchie constitutionnelle au « pays des Mille Collines », l’essentiel de sa production vise apparemment à diaboliser le président rwandais, qualifié de « despote », de « criminel » ou encore de « terroriste ».

Une position de nature à questionner les motivations de son intervention dans le dossier de l’attentat.

Son groupuscule semble par ailleurs entretenir des liens avec les deux principaux partis d’opposition en exil, les FDU-Inkingi de Victoire Ingabire et le Rwanda National Congress (RNC) de Théogène Rudasingwa et Kayumba Nyamwasa – qualifié de mouvement « terroriste » à Kigali.

4. James Munyandinda a-t-il des liens avec les milieux négationnistes, voire génocidaires ?

Malgré son parcours d’ancien rebelle au sein de l’APR ayant combattu les auteurs du génocide, James Munyandinda a publié différents écrits ouvertement négationnistes.

C’est ainsi qu’en janvier 2015, dans une lettre ouverte à l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, proche du régime rwandais, James Munyandinda n’hésitait pas à affirmer, à propos du rôle du FPR durant le génocide : « Quand l’extermination des Tutsis de l’intérieur a commencé au Rwanda, Paul Kagame […] a envoyé au peloton d’exécution certains de mes frères d’armes qui s’étaient aventurés à sauver des Tutsis des massacres ; il a également ordonné à des soldats de l’APR, dont certains membres de sa garde rapprochée, de tuer le maximum de Tutsis possible. […] Au lendemain du génocide, comble du cynisme, il s’est présenté comme le héros qui l’avait stoppé. Et il a ensuite ordonné à certains de ses hommes de tuer des civils hutus innocents à travers tout le pays. »

Lorsqu’il s’est présenté devant le juge Herbaut, James Munyandinda était par ailleurs domicilié chez l’avocat parisien Fabrice Epstein. Ce dernier a défendu, lors de ses deux procès en France, le Rwandais Pascal Simbikangwa, condamné à 25 ans de prison pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité. Et il défendra en appel Octavien Ngenzi, condamné en première instance à la prison à perpétuité pour génocide et crimes contre l’humanité.

Selon l’avocat, contacté par Jeune Afrique, Munyandinda se serait tourné vers lui dans le cadre d’une procédure de demande d’asile en France, sans lien aucun avec sa déposition concernant l’attentat. Mais Fabrice Epstein n’a pas donné suite aux questions que nous lui avons adressées par SMS et par mail sur les circonstances de leur mise en relation et les raisons pour lesquelles son client a déposé tardivement en France une demande d’asile, alors qu’il se répand sur Internet depuis plusieurs années contre le régime rwandais.

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