Côte d’Ivoire : ce que le général Mangou a dit à la barre de la CPI

C’est un officier général très attendu qui témoigne depuis lundi à la barre de la Cour pénale internationale (CPI) dans le procès de l’ex-chef de l’État ivoirien Laurent Gbagbo et de son bras droit, Charles Blé Goudé. Voici ce qu’il a dit le premier jour de son audition.

Philippe Mangou salue ses troupes à Abidjan, le 9 novembre 2004. © SCHALK VAN ZUYDAM/AP/SIPA

Philippe Mangou salue ses troupes à Abidjan, le 9 novembre 2004. © SCHALK VAN ZUYDAM/AP/SIPA

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Publié le 25 septembre 2017 Lecture : 10 minutes.

Le général Philippe Mangou, 65 ans, a été un acteur majeur de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Chef d’état-major des armées nommé en novembre 2004 par Laurent Gbagbo, il a occupé ce poste jusqu’en mars 2011, quelques semaines avant l’arrestation de l’ex-chef de l’État, le 11 avril 2011, par les ex-Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, loyales à Alassane Ouattara), appuyées par la force française Licorne.

« Mangou, le témoin-clé qui va couler Gbagbo », titrait avant la première audience le journal Le Patriote, publication proche du Rassemblement des républicains (RDR, parti présidentiel). De son côté, Le Temps, proche du Front populaire ivoirien (FPI), ressortant une ancienne déclaration de l’officier, préférait rappeler que celui-ci ne peut « pas poignarder le président Laurent Gbagbo dans le dos ».

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Laurent Gbagbo est poursuivi pour quatre chefs de crimes contre l’humanité (meurtre, viol, tentative de meurtre et persécution) perpétrés à Abidjan, conjointement avec les membres de son entourage immédiat et par l’intermédiaire des forces qui lui sont restées fidèles. Quant à Blé Goudé, qui était son ministre de la Jeunesse au moment des faits, il aurait engagé sa responsabilité pénale individuelle pour ces crimes, « alternativement en tant que coauteur indirect », avec son Alliance des jeunes patriotes, présentée par certains comme une milice à la solde du pouvoir Gbagbo.

Face à Bensouda

Le témoignage de Mangou, à partir du lundi 25 septembre, vient après ceux d’autres généraux clés du dispositif sécuritaire mis en place par Laurent Gbagbo. Les généraux Brédou M’Bia, ex-directeur général de la Police, Georges Guiai Bi Poin, commandant de l’ex-Centre de coordination des opérations de sécurité (Cecos, unité mixte d’élite) et Édouard Kassaraté, ex-commandant supérieur de la gendarmerie, ont davantage usé de la langue de bois, évoquant même par moments, pour le dernier cité, des trous de mémoire.

Nommé ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Gabon, en mai 2012 par le président Alassane Ouattara, Mangou se retrouve ainsi face à la procureur Fatou Bensouda et à son équipe qui n’ont qu’un but : obtenir de sa part des témoignages sur les responsabilités pénales individuelles de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, notamment dans la répression meurtrière d’une marche des partisans d’Alassane Ouattara sur la Radiotélévision ivoirienne (RTI, télévision publique) ou d’une manifestation de femmes visées par un bombardement au mortier, dans un secteur densément peuplé d’Abobo, commune populaire d’Abidjan.

 Je jouais un rôle de coordinateur

Dès l’entame de l’audience, visiblement à l’aise, le général Mangou a laissé entendre aux juges que de nombreuses informations sensibles ne lui étaient pas remontées, quand bien même il était le chef d’état-major des armées. Il a surtout fait remarquer que certains officiers supérieurs de l’armée, en l’occurrence le général Bruno Dogbo Blé qui l’a remplacé à la tête de l’état-major des armées (et qui a été condamné en avril dernier par un tribunal d’Abidjan à 18 ans de prison dans l’affaire du rapt du Novotel) prenaient directement leurs ordres auprès de l’ex-couple présidentiel.

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Voici en détail ce qu’il a dit de ses rapports avec Laurent Gbagbo, de ses relations avec ses anciens collaborateurs au sein de l’état-major des armées, de l’armement des ex-Forces de défense et de sécurité (FDS, restées fidèles à Laurent Gbagbo lors de la crise de 2011)…

Son rôle lors de la crise postélectorale

« Lors de la crise postélectorale, on avait deux grandes entités. Les unités qui étaient sur le théâtre des opérations dont le commandant de théâtre était le capitaine de vaisseau major Konan Boniface. Les unités qui avaient été formées et déployées dans tout Abidjan y compris Abobo pour la sécurisation de la ville d’Abidjan, et pour l’intervention au niveau d’Abobo qui, elles, étaient placées sous l’entière responsabilité du général de brigade Détho Letho Firmin. Ces deux officiers étaient sur le terrain avec leurs hommes. Chacun faisait sa planification, sa conduite des opérations. Le chef d’état-major que j’étais, était à l’état-major dans un Centre opérationnel qui lui est propre, le CPCO qui est le Centre de planification et de coordination des opérations et non de conduite comme cela a été dit ici.

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Moi, j’étais à l’état-major, ma guerre à moi, je la faisais sur la carte en fonction des renseignements de terrain que me donnait Konan Boniface qui est sur le théâtre des opérations et le général Détho Letho en ce qui concerne la gestion des unités au niveau d’Abidjan. Donc, je jouais un rôle de coordinateur, je coordonnais leurs actions. »

Ses rapports avec Gbagbo

« Je n’ai pas de relation particulière avec monsieur Gbagbo. La première fois que je voyais le président Gbagbo, c’était au lycée classique d’Abidjan. Il était professeur, moi j’y étais en tant qu’élève. Comme tout élève, on connaît son professeur de nom, des fois, de visage. Mais je savais que c’était un professeur au lycée classique. Je sais qu’à l’époque, nous avons eu même à faire un mouvement de grève parce que le président faisait cours en tant que professeur et cela n’a pas plu à la fille d’un ambassadeur. C’est un événement qui m’a marqué. Donc nous avons eu à faire la grève sans qu’on ne se parle et sans qu’on ne se salue. C’était le premier contact.

Lorsqu’est survenue la crise de 2002 [la rébellion des Forces nouvelles de Guillaume Soro, NDLR], j’étais sur le terrain. Certainement que le président a apprécié ce que mes hommes et moi faisions. Il m’a convoqué un jour pour me dire qu’il allait me confier une grande responsabilité au niveau de l’armée mais sans me préciser quoi que ce soit.

Avant de requérir l’armée, il faut bien réfléchir. Parce que quand une armée est requise, elle vient avec tous ses moyens

C’est sur réquisition du président de la République que les unités se sont déployées tant sur le théâtre des opérations qu’au niveau d’Abidjan et même au niveau d’Abobo. Je ne vous ferai pas l’injure de dire qu’une réquisition, c’est un ordre de l’autorité publique qui est un ordre formel, express, un ordre sans appel. On l’appelle ainsi parce que la réquisition a un caractère péremptoire. Donc, l’ordre reçu, nous nous exécutions. Nous rendions compte à celui qui est l’initiateur de la réquisition, au président de la République. Mais, il y a quand même une hiérarchie. Il y a le ministre de la Défense et le président de la République.

Quant à la question de savoir si l’armée disposait d’autorisations avant d’agir, je dis qu’on avait déjà l’autorisation, dès lors qu’on agissait sous réquisition. Dès l’instant où l’armée est requise, l’armée vient avec tous ses moyens. Quand vous enlevez les RPG, les mortiers, les chars, les avions, vous n’avez plus affaire à une armée mais à une force de première catégorie. C’est pour cela qu’avant de requérir l’armée, il faut bien réfléchir. Parce que quand une armée est requise, elle vient avec tous ses moyens.

Pour ce qui était de mon cas, puisque nous étions dans le feu de l’action, et compte tenu de l’urgence, je rendais compte à la fois au ministre de la Défense et au président de la République, pour être sûr que les deux étaient au même niveau d’information. »

Ses relations avec les autres généraux de la galaxie Gbagbo

« Le général Kassaraté [ex-commandant supérieur de la gendarmerie, NDLR] et le général Brédou, le directeur général de la police, n’ont pas joué franc jeu. Non pas que les gendarmes et les policiers ne voulaient pas travailler, pas du tout. Nous avons travaillé avec eux, ils ont été constamment sur le terrain. Mais le problème, c’était au niveau du chef qui ne voulait pas fournir d’effectif. J’ai dû, à l’état-major, organiser une réunion afin que chacun me fasse le point des effectifs. Sur un effectif d’environ 15 000 gendarmes, le général Kassaraté me donnait un effectif disponible de 500 personnes. Sur un effectif de près de 20 000 policiers, le général Brédou me donnait un effectif de 1250. J’ai dit mais qu’est-ce que c’est que ça ? À telle enseigne que le président Laurent Gbagbo lui-même, sentant cette supercherie, ne cessait de me demander si j’avais confiance en Kassaraté et en Brédou. Un jour, étant un peu exaspéré par les questions que me posait le président, j’ai dû lui dire : ‘Mais président, il faut les enlever pour qu’on mette d’autres personnes pour travailler’. Le président m’a dit : ‘Non, compte tenu de la période, je n’ai vraiment personne sous la main, je ne peux pas le faire’. Mais il faut reconnaître qu’ils n’ont pas été francs avec nous. Non pas parce qu’ils étaient avec l’autre camp. Ils surfaient sur un fil à la recherche d’une terre ferme où mettre les pieds.

Chaque fois qu’on convoque Dogbo Blé pour une réunion, il dit qu’il est avec le président

Le général Dogbo Blé a été nommé par le président de la République [Gbagbo]. Dogbo Blé, il faut le dire, est mon cadet. Je connaissais Dogbo depuis les années 1980. J’étais à l’époque jeune capitaine au bataillon blindé quand Dogbo est arrivé de Saint-Cyr. Donc j’étais son chef, tant au niveau des escadrons qu’on commandait qu’au niveau de la fonction de chef de corps que j’ai tenu. Donc nous sommes de la même arme et il travaillait avec moi. Quand il est arrivé, dans l’appréciation, c’était un officier très intelligent, bien cultivé, un officier qui faisait preuve de détermination et de courage dans tout ce qu’il faisait. À l’époque, il était entièrement effacé. C’est à peine s’il ne rasait pas les murs. J’en ai fait mon fils à moi, puisque c’est moi qui fus son témoin de mariage, mais par la suite je n’ai pas reconnu son comportement. Il était l’interlocuteur privilégié du président de la République. Dogbo Blé étant en même temps commandant de la Garde républicaine et commandant du palais (présidentiel), il ne rendait compte qu’au président Laurent Gbagbo. Chaque fois qu’on le convoque pour une réunion, il dit qu’il est avec le président. Entre Dieu et l’ange, il est évident qu’on se tourne vers Dieu. D’ailleurs, en sept ans de commandement, Dogbo Blé n’a assisté que deux fois à une réunion de l’état-major. Il avait de fait, deux chefs : le président de la République et le chef d’état-major. »

Le blocus de l’hôtel du Golf, QG d’Alassane Ouattara

« Suite au compte rendu que j’ai fait au président Laurent Gbagbo pour lui dire que nos frères venaient à Abidjan, puis remontaient au Nord et que d’autres étaient au Golf, il a donné des instructions. Il a demandé de faire en sorte que les frères d’armes ne sortent pas du Golf. Il a demandé de faire en sorte que les militaires qui sont dedans ne sortent pas. Moi, j’ai traduit cette instruction en ordre militaire. Donc, le poste d’observation qui était là a été réajusté et on a mis un poste de contrôle.

Dans notre esprit, ça n’a jamais été un blocus. Le poste qui a été mis sur pied, je le précise bien, c’est un poste de contrôle. Et vous avez vu qu’on a demandé qu’on fasse le contrôle, pour demander à nos hommes de ne pas permettre aux militaires qui étaient au Golf d’aller en ville en armes pour faire quoi que ce soit et nous faire porter la responsabilité, de veiller à ce que des gens en armes n’entrent pas au Golf pour commettre des actes et nous faire porter la responsabilité. C’est vrai que quand on donne un ordre, il y a souvent des interprétations. Donc, quelquefois, quand un véhicule arrivait avec des vivres pour ceux qui étaient au Golf, des gens le bloquaient. Quand je suis informé, on laisse passer le véhicule. On n’a pas donné d’ordre dans ce sens pour priver les personnalités qui étaient au Golf de nourriture. »

Armements des ex-FDS

« Le président a nommé Guiai Bi Poin qui était à la fois commandant de l’École de gendarmerie et commandant du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos). J’ai proposé au président qu’il ne soit que seulement commandant du Cecos, je n’ai pas obtenu gain de cause. Mais en plus, dans le décret de création, le Cecos était placé sous la responsabilité directe du ministre de la Défense, pas du chef d’état-major, ni du commandant supérieur de la Gendarmerie. Et au fil des missions, on s’est même aperçu que le Cecos a été doté de mitrailleuses lourdes 12/7, des mitrailleuses qui peuvent effectuer des tirs jusqu’à 1 200 m. Le Cecos a été doté de RPG. On se sert des RPG pour lancer des roquettes non guidées. Les éléments du Cecos avaient même des grenades offensives et des grenades défensives.

Oui, le Cecos n’était plus dans le cadre de sa mission

Pour être clair avec vous, la mission première du Cecos, c’était la lutte contre le grand banditisme. Mais compte tenu de la dotation en matériel du Cecos, nous nous sommes servis du Cecos. Sinon, si on veut se référer au décret de création, oui, le Cecos n’était plus dans le cadre de sa mission. Le Cecos n’assurait plus sa mission de lutte contre le grand banditisme. La mission était revenue à la police et à la gendarmerie qui étaient tout aussi outillées pour mener ce genre de lutte. »

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