Mankeur Ndiaye : « On ne peut pas extirper le Sénégal du Sahel »

Financement de l’Union africaine, lutte antiterroriste dans le Sahel, participation aux efforts de maintien de la paix sur le continent et crise du Golfe… Mankeur Ndiaye, ministre sénégalais des Affaires étrangères, revient pour Jeune Afrique sur les principaux dossiers internationaux dans lequel le pays est impliqué.

Mankeur Ndiaye, ministre sénégalais des Affaires étrangères, à Dakar en 2016. © Youri Lenquette pour JA

Mankeur Ndiaye, ministre sénégalais des Affaires étrangères, à Dakar en 2016. © Youri Lenquette pour JA

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Publié le 7 juillet 2017 Lecture : 9 minutes.

Le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye, est actuellement à Paris pour une visite de travail de trois jours. Il a notamment rencontré la nouvelle ministre française des Armées, Florence Parly, afin d’évoquer la préparation du prochain Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité, qui se tiendra les 12 et 13 novembre prochain.

Il évoque pour Jeune Afrique les demandes répétées du Sénégal à intégrer le G5 Sahel, sans succès jusqu’à maintenant. Il plaide également pour un renforcement du mandat de la Minusma au Mali, et dit son inquiétude face à la réduction des budgets des opérations de maintien de la paix des Nations unies, dont le pays est l’un des principaux contributeurs en homme en Afrique de l’Ouest.

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Il se défend également de tout « suivisme » dans la crise qui sévit dans le Golfe, depuis l’offensive diplomatique lancée par l’Arabie saoudite contre le Qatar. Interview.

Jeune Afrique : Le sommet du G5 Sahel qui s’est tenu à Bamako le 2 juillet a été essentiellement consacré aux questions du financement de la force conjointe. Vous avez plaidé en 2016 pour que le Sénégal y soit intégré, au moins au rang de pays observateur. Pour l’instant sans succès.

Mankeur Ndiaye : Ce que je tiens à préciser, au nom du Sénégal, c’est que nous, nous respectons la liberté d’association des États au plan international. (…) Nous avons la volonté de travailler avec le G5 Sahel, comme avec tout autre cadre organisé qui s’engage dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent dans le Sahel et au-delà du Sahel, en Afrique et dans le monde en général.

Nous sommes, avec les cinq pays du G5 Sahel, dans un cadre plus élargi, que l’on appelle le processus de Nouakchott [lancé par la Commission de l’Union africaine en mars 2013, il rassemble 11 pays, NDLR] qui travaille sur ces mêmes questions de sécurité sur le continent. Dans ce processus, il y a les cinq pays du G5 Sahel.

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L’objectif que nous visons tous est le même : défaire les groupes terroristes, éviter que l’Afrique soit le ventre mou du terrorisme. Nos États sont des États fragiles. Nous sommes tous exposés aux menaces. Aucun pays isolé ne peut assurer à lui seul sa sécurité. Il faut donc que l’on travaille de manière coordonnée, quel que soit le cadre que l’on prend… Et le Sénégal fait partie intégrante du Sahel. On ne peut pas extirper le Sénégal du Sahel.

Pensez-vous que l’absence du Sénégal soit un handicap à l’atteinte des objectifs du G5 Sahel ?

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Nous, nous voyons les choses toujours positivement. Que peut-on faire ensemble ? Quel parti peut-on tirer de l’existence du G5, dans un Sahel marqué par tous les trafics, qui minent la sécurité et la stabilité de nos États. Nous ne voulons pas voir les choses en opposition avec tel ou tel. C’est un processus qui vient d’être mis en place et nous appuyons son action. Nous avons soutenu au Conseil de sécurité, en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité, la résolution sur la mise en place de la force conjointe du G5. Et cette résolution a été adoptée avec l’appui actif du Sénégal.

Quel est le poids du Sénégal dans les opérations de maintien de la paix actuellement en cours sur le continent africain ?

Le Sénégal est le troisième contributeur de troupes en Afrique, le premier contributeur en Afrique de l’Ouest, il est le septième contributeur de troupes au monde. Et aujourd’hui, nous allons avoir le plus fort contingent au Mali, dans le cadre de la Minusma, avec le redéploiement de notre contingent qui était en Côte d’Ivoire dans le cadre de l’Onuci. Nous allons déployer entre 1 300 et 1 400 hommes, très bientôt. Le rôle que nous jouons dans la sécurité en Afrique est un rôle fondamental, reconnu et souligné par toute la communauté internationale.

Il faut que les forces que nous déployons sur le terrain soient protégées, qu’elles aient un mandat qui leur permette de riposter et de résister

Craignez-vous les conséquences, déjà visibles au Darfour, de la réduction des budgets des opérations de maintien de la paix imposée par les États-Unis ?

Oui, c’est une inquiétude qui a été exprimée par beaucoup de pays aux Nations unies. Ces coupes sombres dans les opérations de maintien de la paix ont commencé à se manifester. Il y a le cas du Darfour, mais cela va être le cas d’autres opérations à travers le monde. Ce sont des opérations qui coûtent extrêmement cher, et les États-Unis en sont le principal contributeur. Donc, face à cette nouvelle politique du président Trump, nous sommes en train de discuter et de voir comment éviter de porter préjudice aux opérations en cours.

Je pense qu’il faudrait également que l’on adapte ces opérations au contexte actuel, en tenant compte des contraintes budgétaires. Mais surtout, il faudrait que l’on réfléchisse à leur adaptation aux contextes changeants. Qu’est-ce qu’une opération de maintien de la paix dans un pays confronté aux attaques terroristes, jihadistes ? Ces opérations méritent d’être revues et adaptées dans des contextes de conflits asymétriques.

Vous avez également plaidé, à de nombreuses reprises, pour une modification du mandat de la Minusma au Mali. Pourquoi ?

Il faut que les forces que nous déployons sur le terrain soient protégées, qu’elles aient un mandat qui leur permette de riposter et de résister. Pour le Mali, nous avons toujours demandé à ce que le mandat de la Minusma soit un mandat robuste. Des changements y ont été apportés, mais nous pensons qu’il faut encore d’avantage de robustesse. Il faut aussi d’avantage d’équipements militaires, d’avantage de moyens humains et de moyens de surveillance. Parce que l’on ne peut pas gagner la lutte contre le terrorisme si l’on n’a pas les bons renseignements. Nous nous félicitons de la prorogation du mandat de la Minusma.

En matière de terrorisme, les pays les plus grands au monde n’ont pas été épargnés. Il  n’y a pas de sécurité à 100%.

Le Sénégal n’a pas été touché directement par les attentats, mais plusieurs jihadistes présumés y ont été arrêtés ces derniers mois. Quel est le niveau de risque actuellement dans le pays ? Craignez-vous le retour des Sénégalais qui combattaient dans les brigades de l’EI en Libye ?

Ce sont des questions de sécurité nationale, sur lesquelles je ne peux me prononcer de manière ouverte et publique. Mais nous avons conscience des risques. Nous sommes dans une région agitée, qui fait l’objet au quotidien de menaces. Nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de cette menace, extrêmement importante et sérieuse. Nous développons des moyens pour résister, pour nous préparer à toute éventualité.

En matière de terrorisme, il n’y a pas de sécurité à 100%, mais il faut se préparer. Il faut aussi mettre l’accent sur la prévention et l’éducation des population, l’éducation de la jeunesse. Il faut faire face aux situations qui peuvent pousser des jeunes gens à s’engager dans des mouvements jihadistes, régler la question de l’emploi des jeunes dans nos pays, lutter contre la pauvreté et l’extrême pauvreté, ce sont aussi des instruments pour lutter contre la propagation du jihadisme.

Nous avons dit à l’UA qu’elle pouvait s’inspirer des expériences de l’Uemoa et de la Cedeao en matière de prélèvement communautaire de solidarité

Il faut également développer une réponse doctrinale vigoureuse au terrorisme. C’est extrêmement important. C’est tout le sens du Forum international de Dakar sur la Paix et la sécurité en Afrique dont la prochaine édition va se tenir à Dakar les 13 et 14 novembre prochain. En mai dernier, nous avons organisé un séminaire international à Dakar, en amenant des érudits de l’islam venant d’Egypte, du Qatar, d’Arabie saoudite, et bien sûr du Sénégal. Et ils ont démontré, sur la base des hadiths, que l’islam n’a rien à voir avec le terrorisme et que ceux qui utilisent l’islam pour mener des actions terroristes ne sont pas des musulmans. C’est cette réponse doctrinale que nous allons continuer de développer.

La question du financement – et donc de l’indépendance de l’UA – a été au cœur du sommet. Quel regard portez-vous sur l’initiative portée par Paul Kagamé ?

La volonté des chefs d’État africains, c’est de réussir l’indépendance financière de l’Union africaine. Qu’elle ne dépende plus, pour son fonctionnement et pour la mise en œuvre de ses programmes et de ses investissements, des financements extérieurs. C’est pourquoi le principe du prélèvement de 0 ,2% des importations éligibles a été adopté. Et il sera mis en œuvre, nous l’espérons, pour 2018.

Nous, pays de l’Afrique de l’Ouest, avons déjà l’expérience de ces prélèvements. Nous les pratiquons au sein de l’Uemoa et de la Cedeao, nous avons donc dit à l’Union africaine qu’elle pouvait s’inspirer des expériences de l’Uemoa et de la Cedeao en matière de prélèvement communautaire de solidarité.

Nous saluons le rapport du président Kagamé, des propositions fortes qui nous permettront, nous en sommes sûrs, de moderniser l’institution et de rationaliser ses travaux. Il y a beaucoup de discours, on perd beaucoup de temps, il faut rationaliser. Il faut que les chefs d’État réfléchissent sur deux ou trois thèmes, qu’ils donnent les orientations, à charge ensuite à la commission de les mettre en œuvre.

Cela veut-il dire plus de pouvoirs accordés à la Commission ?

Il faut effectivement beaucoup plus de pouvoir à la Commission, parce que c’est elle qui met en œuvre. Il faut qu’il y ait moins de résolutions, également. Il y a une inflation de résolutions qui, parfois, ne sont pas suivies d’effets. Il faut donc moins de résolutions, mais plus d’effort sur la mise en œuvre des résolutions déjà prises.

 Le Sénégal n’a pas suivi l’Arabie saoudite. Nous ne faisons pas du suivisme

Le Sénégal a été le seul pays ouest-africain à rejoindre la coalition conduite par l’Arabie saoudite dans la guerre qu’elle mène au Yémen. Combien d’hommes avez-vous actuellement sur le terrain, au Yémen ?

Je peux dire aujourd’hui que le Sénégal n’a aucun soldat au Yémen. Le Sénégal n’a jamais envoyé de soldat au Yémen. Le Sénégal avait exprimé la volonté, si c’était nécessaire, de déployer 2 100 hommes au Yémen. Mais les conditions ont changé, et le Sénégal n’a, actuellement, aucun homme sur le terrain.

L’Arabie saoudite et le Qatar sont engagés dans un bras de fer diplomatique qui tourne à la crise dans le Golfe. Pourquoi avoir suivi l’Arabie saoudite dans son offensive diplomatique contre le Qatar ?

Le Sénégal n’a pas suivi l’Arabie saoudite. Nous ne faisons pas du suivisme. Le Sénégal a pris position, en rappelant pour consultation son ambassadeur. Mais cela ne nous a pas empêché de travailler, également, pour promouvoir le dialogue et la recherche d’une solution politique négociée. L’Arabie saoudite, comme le Qatar, sont des pays amis du Sénégal. Nous sommes tous membres de l’Organisation de coopération islamique (OCI). Nous sommes toujours peinés quand des pays membres de la Oumma sont en difficulté, en contentieux, et nous prions pour qu’une solution soit trouvée le plus rapidement possible.

Nous saluons la médiation du Koweït, nous espérons que par le dialogue, une solution pacifique soit rapidement trouvée. Un Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’OCI se tient les 10 et 11 juillet à Abdijan. Nous espérons aussi que cette réunion aidera à trouver une solution négociée.

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