Procès de Laurent Gbagbo : les avocats de l’État de Côte d’Ivoire s’expriment

Me Jean-Paul Benoit et Me Jean-Pierre Mignard, avocats de la Côte d’Ivoire, évoquent pour Jeune Afrique le procès de Laurent Gbagbo devant la CPI.

Me Jean-Pierre Mignard et Me Jean-Paul Benoit. © Montage JA

Me Jean-Pierre Mignard et Me Jean-Paul Benoit. © Montage JA

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Publié le 3 juillet 2017 Lecture : 7 minutes.

Le procès de Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale (CPI) a débuté en janvier 2016. N’est-il pas trop long ?

JP Benoit : C’est long oui. Trop long, peut être. La justice de la CPI n’est pas une justice politique. La CPI ne met pas en oeuvre une justice expéditive et politique. À juste titre, les juges sont très soucieux de leur indépendance judiciaire, intellectuelle, philosophique et politique. Tout comme de la garantie rigoureuse des droits de la défense. À La Haye, Laurent Gbagbo est jugé de manière beaucoup plus sereine et équitable que s’il l’avait été par une juridiction ivoirienne au lendemain des événements post- électoraux.

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On peut noter objectivement que les avocats de Gbagbo multiplient les incidents de procédure. À deux plusieurs reprises, l’avocat de la défense a demandé à ce qu’on reprenne la procédure et qu’on lui donne de nouveaux délais importants pour mieux analyser et apprécier la qualité des témoins cités par le procureur. On ne peut pas à la fois dire que le procès est trop long et en même temps organiser la lenteur de la procédure. Je l’ai d’ailleurs fait remarquer publiquement.

Jean-Pierre Mignard : C’est une procédure d’une minutie rarement atteinte, sans aucune complaisance à l’égard de l’accusation. D’ailleurs, à chaque fois qu’il y eu des renvois, ils ont été demandés par la défense. Bien souvent, j’ai trouvé la Cour bien généreuse avec eux. Mais il est vrai que le luxe de précaution que prend la CPI peut contredire les nécessités du temps de justice, lequel s’il est trop long peut apparaître comme inutile.

Les appels à la libération de Laurent Gbagbo se multiplient depuis plusieurs mois…

JP Benoit : Il y a effectivement eu une initiative au nom de « la solidarité socialiste » d’un certain nombre de chefs d’État africains, qui aurait été conduite par Alpha Condé. Il aurait été demandé à ce que cette demande soit relayée par François Hollande, alors Président. Ce dernier s’y est opposé. J’ai dit publiquement que cette démarche était totalement inopportune et contre-productive. Je connais bien Alpha Condé pour qui j’ai de la considération et de l’amitié. Je pense qu’il l’a compris. Tout ceci fait partie de l’agitation , notamment via les réseaux sociaux, autour du procès de Laurent Gbagbo.

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JP Mignard : Cette démarche est très intéressante. Au-delà du cas Gbagbo, ces chefs d’État ne se disent-ils pas aussi que la CPI est lointaine, inaccessible donc pas sujette aux pressions ? On a peut être affaire à une réaction nationaliste qui correspond à un souverainiste orienté dans le but de transférer ces procédures en Afrique. Pourquoi pas d’ailleurs. Le procès Hissène Habré s’est fait. Les juridictions internationales et continentales peuvent cohabiter. D’ailleurs, cette collaboration est bénéfique. Elle peut permettre d’accélérer la mise en place des juridictions régionales en Afrique capables de faire le travail de la CPI avec le même souci d’indépendance, la même qualité et la même rigueur.

Quelle est la position de l’État de Côte d’Ivoire sur une éventuelle libération de Laurent Gbagbo ? 

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JP Benoit : À ce stade, la position du président Ouattara et de l’État ivoirien est inchangée : le procès de Laurent Gbagbo doit se dérouler normalement à la CPI sans tentative de pressions ou d’instrumentalisation de quelque nature qu’elle soit.. Mais dans toute procédure, quand quelqu’un est en détention, son défenseur a toujours la possibilité de demander une libération conditionnelle ou une assignation à résidence.

Une telle demande est effectivement pendante mais la chambre d’appel n’a pas encore été saisie. Il y aura des vacances judiciaires du 22 juillet au 14 août. Je pense qu’après cette période le procès sera repris. À ce moment-là, la Cour, sur ce sujet, aura l’obligation de consulter l’État de Côte d’Ivoire. Nous produirons donc un mémoire pour répondre aux questions ou aux demandes de la Cour.

JP Mignard : Le débat est ouvert. Le but n’est pas de faire souffrir M. Gbagbo, mais de faire en sorte qu’il reste à la disposition de la justice. La chambre d’appel prendra sa décision sur des critères objectifs.

Si la position des juges évoluaient. Laurent Gbagbo serait-il remis en liberté provisoire ?

JP Benoit : Je l’ignore à ce jour. Toutefois, j’imagine que l’on s’orienterait non pas vers une libération conditionnelle mais plutôt vers une assignation à résidence surveillée. C’est ce que la Cour et le procureur pourraient envisager. Mais, à mon avis, si une assignation à résidence était décidée, elle devrait être très encadrée, garantir la représentation de Laurent Gbagbo devant la Cour et sa sécurité et qu’elle ne provoque pas des troubles graves à l’ordre public dans un certain nombre de pays africains, notamment en Côte d’Ivoire.

JP Mignard : Le seul point sur lequel la Côte d’ivoire peut avoir son mot à dire concerne les conséquences sur son sol. Il ne faut pas que Gbagbo se mette à organiser des manifestations à Abidjan ! Toutefois, nous ne nous faisons pas d’illusion. Si la Cour venait à accéder à cette demande, en prenant une décision souveraine et acceptable pour la Côte d’Ivoire, la défense estimera que c’est une victoire. D’un autre côté, ils ne pourront plus utiliser l’argument de la victimisation de Laurent Gbagbo.

Dans quel pays pourrait atterrir Laurent Gbagbo ?

JP Benoit : La solution la plus simple serait qu’il reste aux Pays-Bas.

Dans une interview à Médiapart, Laurent Gbagbo a déclaré être un « otage » à la Haye « pour permettre à Ouattara d’être à la présidence » et aux Français de continuer à avoir la mainmise sur la Côte d’Ivoire ». Comment réagissez-vous à ces propos ?

JP Mignard : C’est tout simplement injurieux vis-à-vis de la Cour. Je ne suis pas sûr que sa déclaration soit très habile.

JP Benoit : C’est une argumentation que Laurent Gbagbo a ressassée sans arrêt dans sa vie politique quand il était Président et depuis lors. Cela n’apporte rien de nouveau. Gbagbo n’est l’otage de personne, si ce n’est de lui-même. S’il avait accepté le résultat de l’élection présidentielle, reconnue par l’ensemble de la communauté internationale, il ne serait pas là où il est. Il aurait épargné beaucoup de souffrances au peuple ivoirien. C’est lui qui a créé son propre malheur et celui de ses concitoyens.

Quand Gbagbo était chef de l’Etat, il avait les meilleures relations avec les entreprises françaises, certains hommes politiques, et les instituts de sondages français (qui lui ont d’ailleurs fait croire qu’il gagnerait). Ce fut une sorte de double langage permanent.

La première partie du procès est consacrée à l’accusation. Pourtant, on a l’impression que cette période a surtout gonflé le moral de la défense et des partisans de Laurent Gbagbo…

JP Mignard : Tant mieux pour eux. On va voir désormais ce que valent leurs témoins. Dans un procès, il y a des cycles. Un procès ne s’apprécie que lorsque l’ensemble des parties a été entendu.

JP Benoit : Comme dans toute procédure, on cite des témoins. Certains peuvent être impressionnés devant la Cour, d’autres peuvent changer de discours et d’autres maintenir − ce qui fut le cas pour la majorité d’entre eux −, leurs accusations.

Pour les pro-Gbagbo, la thèse de l’accusation s’est effondrée…

JP Mignard : C’est un simple propos de prétoire comme il y a des propos de comptoir. On entend ça dans tous les procès.

JP Benoit : Avant même le début de l’audition des témoins, maître Altit expliquait qu’il n’y avait pas matière à procès. Laissons les juges décider en toute indépendance.

Depuis le début du procès, les couacs se sont multipliés pour l’accusation… Le dernier témoignage d’un expert néerlandais Até Kloosterman a par exemple révélé qu’aucune trace de sang n’était présente sur le t-shirt d’une des victimes de la marche des femmes d’Abobo et a semblé tempérer la thèse de l’accusation…

JP Mignard : Si cela est vrai, la CPI aura permis de le savoir. Devant quelle autre juridiction cela aurait-il été possible ?

Venons enfin au cas de Simone Gbagbo, condamnée à 20 ans de prison dans une procédure, acquittée dans une autre et que la CPI souhaite toujours juger…

JP Benoit : Le président Ouattara a toujours refusé d’envoyer Simone Gbagbo à La Haye. Elle-même souhaitait être jugée en Côte d’Ivoire. Ses rapports avec Laurent Gbagbo relèvent d’un conseiller conjugal et non pas de la justice internationale. Même si elle a eu de l’influence, elle n’avait aucun pouvoir exécutif dans la chaîne hiérarchique de commandement. Et cela apparaît clairement dans le procès.

JP Mignard : Juger Simone Gbagbo à La Haye aurait été une source de confusion.

La Cour peut-elle abandonner les charges contre elles ?

JP Benoit : Nous allons produire un mémoire à cet effet. Simone Gbagbo a été jugée en Côte d’Ivoire pour les mêmes incriminations (crimes de guerre, crimes contre l’Humanité) qu’à la CPI. Nous souhaitons que la Cour en prenne acte.

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Cour pénale internationale, à la Haye, Pays-Bas. © Mike Corder/AP/SIPA

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