Moi, Mamadou, migrant de 16 ans passé par l’enfer libyen

En 2016, près de 181 000 migrants ont traversé la Méditerranée pour passer de l’Afrique à l’Europe. Environ 90 % d’entre eux sont passés par la Libye. Parmi eux, Mamadou, un jeune Gambien, arrivé à Paris en décembre 2016.

Sur le bateau d’une ONG en Méditerranée, au large des côtes libyennes, en janvier 2017. © Sima Diab/AP/SIPA

Sur le bateau d’une ONG en Méditerranée, au large des côtes libyennes, en janvier 2017. © Sima Diab/AP/SIPA

Publié le 8 mars 2017 Lecture : 5 minutes.

Mamadou a seulement 16 ans, mais il a déjà l’expression de ceux qui ont grandi trop vite. Originaire de Gambie, le jeune homme, qui a grandi au Sénégal, a parcouru en l’espace de trois mois plus de 7 000 km, en passant par sept pays, avant d’arriver à Paris.

Un périple qui a débuté fin septembre 2016, lorsqu’il décide de se lancer sur la route grâce au pécule (environ 480 000 francs CFA) hérité de son père, décédé brutalement en 2014. « L’Europe, pour moi, représentait la terre de la liberté et de tous les possibles », explique-t-il.

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En quelques jours, il rassemble ses affaires et fait ses adieux. « J’étais confiant à ce moment-là, se rappelle-t-il. Jamais je n’aurais imaginé à quel point ce serait dur. » Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger, Libye… Le trajet s’effectue à bord de camions bringuebalants ou de pick-up bondés. Un voyage parsemé d’embûches, où lui et ses compagnons d’infortune doivent faire face à la faim, à la soif et à la cupidité des passeurs et des forces de l’ordre.

Abandonnés dans le désert

Au Niger, Mamadou parvient jusqu’à Agadez, la grande ville qui précède l’entrée dans le désert. Dans ce paysage infini de sable et de rocaille, où les températures atteignent souvent plus de 40°C, il n’est pas rare de retrouver les corps sans vie de migrants abandonnés par les passeurs. « Ils ont des boussoles GPS, mais certains savent mal s’en servir, explique Mamadou. S’ils se perdent, ils préfèrent abandonner les migrants et rentrer à la maison ». En peu de temps, les malheureux meurent de soif avant d’avoir atteint la Libye.

Dans l’immensité du désert libyen, Mamadou et ses camarades manquent de tout : de nourriture, d’eau, de médicaments et de sommeil. Ils craignent aussi les Touaregs ou les Toubous, dont certains se livrent à des trafics illicites dans la région. « Tu n’as pas le choix, il faut être solidaire et te trouver des amis qui t’aideront, souligne-t-il. Sinon, tu meurs. »

Un endroit pire que la Libye, cela n’existe pas. Même les enfants nous jetaient des pierres.

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Certains tombent malades, notamment à cause de l’eau croupie qu’ils sont forcés de boire, d’autres s’effondrent épuisés. Deux n’en réchappent pas. Parmi eux, l’un de ses amis, âgé de 32 ans. « Nous l’avons enterré dans la ville de Gatrone (dans le sud-ouest de la Libye, ndlr) », se souvient Mamadou, les yeux soudain embués de larmes.

« Un endroit pire que la Libye, cela n’existe pas », dit-il. Son calvaire durera deux mois, ballotté de droite à gauche par des passeurs sans scrupules. « On dormait le plus souvent en périphérie des villes et des villages, là où il y a les bêtes. On ne nous donnait presque rien à manger, à part quelques biscuits qu’il fallait partager à plusieurs. Mais, au moins, nous étions loin des habitants, raconte-t-il. À leurs yeux, nous valons moins que des animaux. »

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Insultes, extorsions, agressions… La violence est quotidienne. « Même les enfants nous jetaient des pierres », affirme Mamadou.

En l'espace de trois mois, Mamadou a parcouru plus de 7 000 km. © Le trajet effectué par Mamadou, sur Google Maps/capture d’écran

En l'espace de trois mois, Mamadou a parcouru plus de 7 000 km. © Le trajet effectué par Mamadou, sur Google Maps/capture d’écran

Passeurs et miliciens

Les passeurs, qui prennent soin de ne jamais révéler leur identité, confisquent les téléphones portables, par crainte que les migrants ne les prennent en photo et dénoncent leurs crimes. « Je les ai vus en train d’en torturer avec des fils électriques, confie Mamadou. Ils appelaient la famille en même temps pour les forcer à leur envoyer de l’argent. »

Leur crainte à tous : être arrêté par la police et finir dans un centre de rétention pour migrants. Une fois, Mamadou parviendra à échapper à une arrestation. « Les passeurs sont souvent de mèche avec les autorités, explique-t-il. L’un d’entre eux nous a entraînés vers un barrage tenu par des policiers. Au dernier moment, j’ai pu sauter et m’enfuir. »

Dans le chaos libyen, des milices de toutes sortes ont surgi ces dernières années. L’exploitation des migrants est devenue une de leurs spécialités. Arrêtés arbitrairement, ceux-ci sont parqués dans des immeubles ou des camps, avant d’être vendus au plus offrant. Dans un mémo diplomatique, qui a récemment fuité dans la presse, l’ambassadeur allemand au Niger Michael Feiner comparait les conditions de vie des migrants en Libye à celles « d’un camp de concentration ».

« Lorsque nous sommes arrivés à Sebha, des pick-ups nous suivaient avec des hommes armés à bord, se souvient Mamadou. C’étaient des miliciens. Nous nous sommes cachés sous des couvertures et, heureusement, ils n’ont rien vu. »

Plutôt mourir que rester en Libye

Après trois mois de voyage arrive le moment de la traversée de la Méditerranée. Celle-ci a lieu dans la nuit noire, depuis une plage du nord-ouest de la Libye. Mamadou doit débourser aux passeurs environ 300 000 francs CFA (456 euros environ). Entre 120 et 160 migrants, « c’est difficile à dire », s’entassent dans un petit bateau pneumatique. Parmi eux, des enfants, des femmes, des malades…

Beaucoup n’ont jamais vu la mer et sont pris de panique au moment de monter à bord. Une pluie de coups s’abat sur eux pour balayer leurs craintes. « C’était la première fois que je voyais la mer. Je ne sais pas nager et j’avais très peur, raconte Mamadou. Mais je préférais prendre le risque de me noyer plutôt que de rester en Libye. »

J’étais à côté du moteur, je ne pouvais pas bouger.

Dans le bateau, la promiscuité est totale. « Moi, j’étais à côté du moteur, les vapeurs d’essence m’ont brûlé les fesses. J’avais du mal à respirer. Mais je ne pouvais pas bouger », relate Mamadou. La Sicile se trouve à environ 300 km des côtes libyennes. Pour se diriger dans l’immensité de la mer Méditerranée, les migrants utilisent une dérisoire boussole.

18 heures en mer

Les heures s’écoulent désespérément. Leur salut vient finalement d’un bateau espagnol, qui les récupère après environ 18h dans les flots. « Certains restent un, deux, trois jours en mer… », affirme Mamadou. Ils sont remis aux gardes-côtes italiens et débarquent finalement en Sicile.

Après plusieurs semaines, le jeune homme met le cap vers la France, où il est pris en charge par une association qui l’héberge parfois en Seine-Saint-Denis. Le reste du temps, il dort dehors avec les autres migrants, du côté de la porte de La Chapelle, à Paris.

Désormais, le jeune homme doit régulariser sa situation auprès des autorités françaises et, pourquoi pas, reprendre sa scolarité. Un autre parcours du combattant, qui ne semble pas faire peur à Mamadou. « Grâce à Dieu, j’ai eu beaucoup de chance, dit-il. Maintenant, je suis soulagé. »

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