Mali : dans la région de Mopti, « l’État ne contrôle plus rien »

Le Yaaral n’a pas eu lieu cette année. Initialement prévue pour le 26 novembre, cette fête ancestrale qui célèbre la traversée du Niger par les troupeaux et leurs bergers et leur retour sur la rive droite du fleuve, une fois que la saison des pluies est passée, a été annulée au dernier moment. Trop risqué.

Une vue du fleuve Niger au niveau de Mopti, en 2004. © BEN CURTIS/AP/SIPA

Une vue du fleuve Niger au niveau de Mopti, en 2004. © BEN CURTIS/AP/SIPA

Publié le 14 décembre 2016 Lecture : 5 minutes.

« Des bergers avaient reçu des menaces. Les jihadistes les avaient appelés sur leur propre téléphone pour leur dire de ne pas y participer. La plupart ont donc décidé de traverser plus tôt, sans dire quand, afin d’éviter les attaques », explique le sociologue Bréma Ely Dicko, spécialiste de la zone.

Proclamé « chef d’œuvre du patrimoine culturel immatériel de l’humanité » par l’Unesco en 2005, classé au patrimoine culturel national depuis huit ans, ce rendez-vous, très prisé par les Peuls du Macina, a tout pour déplaire aux extrémistes religieux : on y danse, on y chante et les femmes s’y font belles…

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Aujourd’hui, dans le delta intérieur du Niger, une zone difficile d’accès et inondée une partie de l’année, investie depuis deux ans par les groupes jihadistes, tout cela est synonyme de danger. « L’État, dans cette zone, ne contrôle plus rien », constate un élu local ayant requis l’anonymat, exilé comme tant d’autres à Bamako pour sa propre sécurité.

Prêches et menaces

À Diafarabé, dans le cercle de Ténenkou, là même où les festivités sont traditionnellement ouvertes, il n’y a plus aucune présence de l’État malien : ni services sociaux, ni école, ni poste de gendarmerie. Les hommes se réclamant d’Hamadoun Koufa, le chef présumé de la katiba Macina d’Ansar Eddine (dont on ignore s’il est toujours en vie), y viennent régulièrement prêcher ce qu’ils croient être la bonne parole.

Et menacer, au passage. « Si vous rouvrez l’école, on tuera tous les enseignants », promettent-ils avant de repartir sur leurs motos chinoises. « Les gens ont peur, souligne l’élu local. Et ils ne font plus confiance à l’armée, qui ne fait généralement que passer, et qui voit en tout Peul un jihadiste (lire encadré). »

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Plus au sud, dans le Hayré et le Seeno, près de la frontière avec le Burkina, des sources locales affirment que le discours des « gens de Koufa » commence à gagner du terrain. « Ils viennent régulièrement prêcher dans les mosquées. Ils disent que le pouvoir de la Diina (une référence à l’Empire théocratique du Macina, ndlr) va bientôt arriver, que tout ira mieux. Et ça plait à certains », raconte un habitant de la zone de Mondoro.

Un discours d’autant plus séduisant que l’armée, là aussi, est présente à temps partiel. « Les soldats ont installé un petit camp peu avant les élections locales (du 20 novembre), raconte un habitant de Boulikessi. Puis ils sont repartis dès le lendemain de l’élection. Un jour après, les panneaux solaires qui avaient été installés dans le village pour fournir de l’électricité étaient volés par des bandits. »

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Vote perturbé

Dans la région de Mopti, nombreux ont été les endroits où l’on n’a pas pu voter le 20 novembre. Dans un village, des élus locaux ont eu la peur de leur vie. « Quatre hommes sont arrivés, des Peuls et des Tamasheqs. Ils ont détruit le matériel du bureau de vote et ils nous ont dit qu’on avait de la chance d’être musulmans. Si on avait été chrétiens, ils nous auraient tués », raconte l’un d’eux, rencontré à Bamako.

Les assassinats ciblés se sont multipliés ces dernières semaines, surtout lors de la campagne électorale. Ils touchent aussi bien des élus, des représentants de l’État que des informateurs de l’armée.

D’anciens combattants du Mujao repérés à quelques dizaines de km de Mondoro.

Il n’y a pas que Koufa dans cette région. Il y a également des milices d’auto-défense construites sur des bases communautaires (peules, bambaras, dogons), des bandits de grand chemin, mais aussi d’autres groupes jihadistes. D’anciens combattants du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ont été repérés à quelques dizaines de kilomètres de Mondoro.

Selon une source locale, ils pourraient être liés à Al-Mourabitoune, le groupe de Mokhtar Belmokhtar affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Mais ils pourraient tout aussi bien s’être ralliés à Abou Walid al-Sahraoui, un ancien du Mujao et d’Al-Mourabitoune qui a prêté allégeance à l’organisation État islamique (EI) l’année dernière et dont le fief se situe dans l’est du Mali.

Connexions

L’influence d’al-Sahraoui va grandissante dans le trou noir sécuritaire que constitue la frontière commune entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Il a mené plusieurs attaques ces derniers mois, au Niger et au Burkina, et selon une source sécuritaire malienne, « il gagne du terrain au Mali, en avançant vers l’ouest ».

Cette même source affirme que sa nouvelle notoriété liée à sa reconnaissance officielle par l’EI, lui permet de multiplier les recrues. « Il attire des Peuls qui viennent d’un peu partout : du Niger, du Nigeria, du Tchad », indique cette source. Mais il séduirait des jeunes issus d’autres communautés également : des Bozos, des Bambaras, des Mossi.

« Petit Tchafori », une autre figure du jihad bien connue dans la région, l’aurait récemment rejoint. Selon une source proche du président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, ce Nigérien avait été élargi par Niamey dans le plus grand secret en février dernier en échange de la libération de l’otage australienne, Jocelyn Elliott, enlevée avec son mari quelques semaines plus tôt à Djibo, au nord du Burkina, et détenue par une katiba d’Aqmi.

Le ralliement de cet homme à al-Sahraoui montre que les liens entre ce dernier et ses anciens alliés d’Aqmi ne sont peut-être pas complètement rompus. « Il y a probablement des connexions entre tous ces mouvements », souligne une source au sein de la Minusma.

Y’en-a-t-il aussi avec le nouveau groupe en gestation dans le nord du Burkina ? Selon une source locale, quelques dizaines d’hommes se réclamant du jihad auraient pris le maquis ces derniers mois. Ils se cacheraient dans une forêt difficile d’accès située près de Djibo, à cheval sur la frontière entre le Burkina et le Mali. Leur chef, un certain Ibrahim, serait un prêcheur connu de cette ville.

Proche de Koufa, Ibrahim avait été arrêté par les Français fin 2013 dans les environs de Tessalit (extrême nord du Mali). Il tentait de rejoindre les groupes jihadistes alors en pleine débandade. Après un séjour de deux ans dans les geôles de la DGSE à Bamako, il avait été libéré.

Les Peuls victimes d’amalgames

Les associations peules ne cessent de dénoncer les arrestations arbitraires menées par l’armée dans le centre du pays, dont seraient victimes de nombreux Peuls. « On les arrête sur dénonciation ou simplement parce qu’ils ont un prêche de Koufa dans leur téléphone ou qu’ils sont vêtus comme des bergers. On les interroge, on ne trouve rien contre eux, mais on les envoie quand même à Bamako, où ils restent en prison sans savoir ce qu’on leur reproche », résume un élu du delta intérieur du Niger exilé à Bamako.

Des exemples de ce type, l’ancien président de l’Assemblée nationale, Ali Nouhoum Diallo, une des figures peules de Bamako, en a des dizaines. « Ils sont gardés un mois en prison, puis ils sont libérés, comme si de rien n’était, s’insurge-t-il. Les Peuls sont entre le marteau et l’enclume. D’un côté l’armée. De l’autre les jihadistes. Cela ne peut plus durer. Il y a trop d’amalgame ».

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