Mali : au procès de Sanogo, le fantôme des Bérets rouges

Ils seront dix-huit sur le banc des accusés, à partir de mercredi. Mais c’est inévitable, on ne parlera que de l’un d’entre eux : Amadou Haya Sanogo.

Amadou Haya Sanogo en mars 2012. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Amadou Haya Sanogo en mars 2012. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Publié le 29 novembre 2016 Lecture : 7 minutes.

Certains devront répondre des crimes d’enlèvement et d’assassinat. Ils seront sommés d’expliquer pourquoi, à la nuit tombée, ils ont fait monter 21 hommes dans un camion militaire, comment, quelques kilomètres plus loin, ils les ont fait descendre, et de quelle manière ils leur ont froidement tiré dessus après les avoir jetés dans deux fosses fraîchement creusées. Ils raconteront tout cela à la barre, mais à chacun de leurs mots, c’est vers un autre homme que les regards se tourneront.

Amadou Haya Sanogo, capitaine sans avenir soudainement porté aux nues par une partie de la population pour avoir fait tomber, un peu par hasard, un chef d’État en fin de parcours, Amadou Toumani Touré (ATT), et tout aussi vite renvoyé à son terne destin une fois le pouvoir rendu aux civils, sera au cœur du procès qui s’ouvre ce mercredi 30 novembre à Sikasso, loin de l’agitation bamakoise, dans une salle de spectacle transformée pour l’occasion en tribunal.

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Crime circonstancié

Attendu depuis que le chef du défunt Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE), la junte au pouvoir en 2012, a été jeté en prison, il y a tout juste trois ans, le 27 novembre 2013 – quelques semaines seulement après avoir définitivement perdu le peu de pouvoir qui lui restait -, ce procès en dira long tant sur l’état de la justice malienne, rongée depuis des années par la corruption, que sur la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta, minée par l’absence de résultats.

Les partisans de Sanogo – ils sont encore bruyants, à défaut d’être nombreux – tenteront de le réduire au procès d’un homme ou d’un régime et dénonceront une justice des vainqueurs. La teneur des audiences, qui pourraient durer plusieurs semaines, dira s’ils auront eu raison. En attendant, c’est une toute autre réalité que révèle l’arrêt de mise en accusation et de renvoi devant la cour d’Assises signé le 22 décembre 2015 par trois magistrats de la cour d’appel de Bamako. Car c’est bien à un crime circonstancié que le juge d’instruction, Yaya Karembe, s’est intéressé durant près de deux ans. Un des épisodes les plus noirs de l’histoire récente du Mali.

Tentative de contre-putsch

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Les faits remontent aux premiers jours de la junte, quand tout était encore flou. Dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2012, cinq semaines après la mutinerie d’un quarteron de sous-officiers ayant abouti à un surprenant putsch, des éléments du Régiment de commandos-parachutistes (33e RCP), les fameux « Bérets rouges », fidèles au président déchu, tentent, sous le commandement du colonel Abdine Guindo, de renverser les putschistes. Un premier groupe monte à l’assaut du camp de Kati, le quartier général de la junte. Un autre tente de prendre le contrôle de l’ORTM, la radio-télévision nationale. C’est un fiasco : à l’issue de féroces combats, les Bérets rouges doivent abdiquer. Certains ont perdu la vie. D’autres sont blessés. Beaucoup sont fait prisonniers. Pour leur plus grand malheur.

Deux jours plus tard, alors que la tension n’est pas retombée, l’adjudant-chef Mamadou Kone se voit remettre une liste comprenant 21 noms. Certains sont détenus au camp de Kati. D’autres sont hospitalisés à l’hôpital Gabriel Touré. Ordre lui est donné de rassembler ces hommes. Et de creuser une fosse dans les environs de Diago, un village situé à quelques kilomètres de Kati.

On leur attache les mains dans le dos. On leur bande les yeux. Puis on les fait monter dans le camion

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Tard dans la nuit, un camion militaire arrive devant le bâtiment du camp de Kati où ont été rassemblés les condamnés à mort. A l’appel de leur nom, ils sortent de leur cellule. On leur attache les mains dans le dos. On leur bande les yeux. Puis on les fait monter dans le camion. L’un d’eux, Mohamed Diarra, échappera miraculeusement à la mort. Sorti des rangs pour une raison qui semble avoir échappé aux enquêteurs, il sera remplacé par un lieutenant, Aboubacar Kola Cissé, qui était gardé, lui, à l’école d’application de Kati.

Tests ADN

Le camion roule dans la nuit noire. Pas longtemps. Bientôt, on les fait descendre. On les jette dans deux fosses tout juste creusées. Et on tire. À coup de rafales. Puis on recouvre de terre les corps encore chauds. Vingt mois et une élection plus tard, en pleine nuit une fois de plus, et alors que Sanogo et ses proches ont déjà été incarcérés, les squelettes seront exhumés. Des tests ADN menés par le FBI confirmeront ce dont les juges étaient persuadés après la fouille de la fosse commune, notamment après avoir retrouvé la pièce d’identité d’une des victimes : ces cadavres sont bien ceux des Bérets rouges.

Trois hommes, trois militaires, ont reconnu les faits : l’adjudant-chef Fousseyni Diarra, dit « Fouss », 43 ans au moment du crime ; son « petit » (en d’autres termes : son protégé), Tiémoko Adama Diarra, 30 ans ; et un autre adjudant-chef, Mamadou Koné, 47 ans. Ils sont accusés d’enlèvement et d’assassinat. Seront-ils aussi bavards à l’audience, face au juge, et avec dans le dos le regard inquiet de leurs co-accusés et celui, horrifié, des familles des victimes, que durant l’instruction ?

Au juge Karembe, Koné a donné le nom de deux autres militaires qui, selon lui, auraient participé à la tuerie : Lassana Singaré (47 ans en 2012) et Cheikna Siby (48 ans). Ceux-là n’ont jamais cessé de nier ces accusations, mais ils répondront eux-aussi des crimes d’enlèvement et d’assassinat. Issa Tangara (24 ans au moment des faits), l’homme qui est allé chercher les blessés à l’hôpital pour les envoyer à la mort, est accusé pour sa part d’enlèvement.

Quel commanditaire ?

Ces six hommes n’étaient que des exécutants. L’enjeu du procès est de savoir qui leur a donné l’ordre de tuer. C’est donc vers les douze autres prévenus, tous accusés de complicité d’enlèvement et d’assassinat, que les regards seront rivés durant les audiences. Et plus particulièrement vers l’un d’entre eux, leur chef à tous au moment des faits. Au cours de l’instruction, Sanogo n’a cessé de nier son implication dans cette affaire. Selon son entourage, il continuera de crier son innocence face aux juges.

« Il est déterminé à livrer la vérité sur cet épisode, indique l’un d’eux. Il est même heureux de pouvoir édifier le peuple malien et défendre son honneur ». Mais pour les juges ayant mené l’enquête, il ne fait aucun doute que « la décision prise d’enlever et d’exécuter les 21 bérets rouges est une décision prise par les responsables » de la junte. Selon l’arrêt de mise en accusation, Sanogo, qui, de l’aveu même de certains de ses co-accusés, « recevait les informations en temps réel » dans les heures et les jours qui ont suivi l’assaut des para-commandos, ne pouvait ignorer l’existence d’une liste d’hommes à abattre.

D’autres figures de la junte (qui ont toute nié les accusations) seront à ses côtés, comme Christophe Dembele, le plus célèbre des gardes du corps de Sanogo, Amadou Konaré, qui fut longtemps présenté comme le numéro 2 du CNRDRE, et qui en fut son porte-parole, ou encore Blonkoro Samaké. Ce gendarme, qui était un proche de Sanogo, est accusé d’avoir remis la liste fatidique à Soïba Diarra, lequel l’aurait transmise à Mamadou Koné.

Nous voulons un procès équitable, juste et transparent, et un verdict raisonnable, rien d’autre

Yamoussa Camara, qui était à l’époque ministre de la Défense, et Ibrahima Dahirou Dembele, qui était le chef d’état-major, devront pour leur part expliquer pourquoi ils ont, selon l’accusation, tenté de dissimuler ces disparitions en signant des actes envoyant au nord, dans le cadre de l’opération Badenko, certains des bérets rouges dont le cadavre pourrissait depuis plusieurs jours déjà sous la terre de Diago, et que leurs proches cherchaient désespérément dans tous les hôpitaux, toutes les casernes et toutes les prisons de la capitale.

Aujourd’hui, ces mêmes proches attendent deux choses de ce procès : que la vérité éclate au grand jour et que justice soit rendue. « Nous voulons un procès équitable, juste et transparent, et un verdict raisonnable, rien d’autre », affirme l’un d’eux, Yacouba Dembele. Les accusés encourent la peine de mort, mais on assure, en haut lieu, qu’elle ne sera pas requise, et qu’ils pourraient être condamnés, tout au plus, à la perpétuité.

Pourquoi Sikasso ?

Officiellement, le procès se tiendra à Sikasso, à plus de 4 heures de route de Bamako, pour des raisons d’ordre organisationnel. « Sikasso relève de la compétence territoriale de la cour d’appel de Bamako, et il se trouve qu’une session de la cour d’assises était déjà prévue à Bamako dans la même période, nous devions donc délocaliser », explique le procureur général, Lamine Mamadou Coulibaly. Mais personne n’est dupe. « Ils ont délocalisé le procès pour éviter les mouvements de foule en faveur de Sanogo », estime Me Moctar Mariko, l’avocat des parties civiles, et peut-être même « pour éviter une trop forte médiatisation », veut croire un partisan de Sanogo. Un proche du président Ibrahim Boubacar Keïta admet de son côté qu’il s’agit « d’éviter les tentatives d’instrumentalisations et les remous ».

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