De Wade à Sall : en diplomatie, chacun son style

La diplomatie telle qu’il la conçoit est à mille lieues de celle d’Abdoulaye Wade. Macky Sall ne se rêve pas en cador sous-régional, il n’est pas aussi flamboyant que son prédécesseur. Mais la discrétion n’empêche pas l’efficacité.

Macky Sall avec Barack Obama. © SAUL LOEB / AFP

Macky Sall avec Barack Obama. © SAUL LOEB / AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 24 décembre 2014 Lecture : 7 minutes.

Avis de tempête sur le sommet de la Francophonie, le 29 novembre, à Dakar. Alpha Condé est là, mais il ne pardonne pas à Macky Sall sa décision du 21 août. Ce jour-là, pour contenir l’épidémie d’Ebola, le chef de l’État sénégalais a décidé de fermer la frontière terrestre entre leurs deux pays. Poignées de main furtives, visages fermés…

Le président guinéen est furieux et ne le cache pas : dans son discours à la tribune, il ne prononce pas une seule fois le nom de Macky Sall, qui est pourtant l’hôte du sommet. Il faudra tout l’entregent de l’ancien président Abdou Diouf pour que, le 1er décembre, les deux hommes acceptent finalement de déjeuner ensemble au Palais de la République, à Dakar.

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"Je comprends que cette décision [de fermer la frontière] ne plaise pas aux Guinéens, explique aujourd’hui le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye. Mais quand l’Organisation mondiale de la santé [OMS] a dit que la maladie était devenue incontrôlable, nous avons voulu protéger les gens qui vivent au Sénégal. Nous avons prévenu nos voisins guinéens. Les deux présidents se sont parlé plusieurs fois. Et aujourd’hui, le Sénégal s’apprête à envoyer une mission ministérielle à Conakry en vue d’une réouverture progressive. La preuve que nous sommes solidaires, c’est que nous avons versé 1 million de dollars [près de 807 000 euros] dans le fonds créé par la sous-région contre Ebola."

Une grosse erreur diplomatique

Pourquoi le Sénégal verrouille-t-il encore sa frontière avec la Guinée, alors que le Mali la laisse ouverte ? "La politique nationale est prioritaire, explique Mankeur Ndiaye. Le président a été élu [et bien élu, avec quelque 65 % des voix] pour répondre aux aspirations du peuple. Au quotidien, il se bat d’abord pour le Plan Sénégal émergent. Il ne va pas se jeter corps et âme sur les dossiers internationaux."

Alors l’opposition peut protester. Souleymane Ndéné Ndiaye, le dernier Premier ministre d’Abdoulaye Wade, peut même lancer : "Après l’arrivée d’Ebola, le premier devoir du président sénégalais, c’était de se rendre à Conakry, comme l’a fait François Hollande. En n’y allant pas, il a commis une grosse erreur diplomatique." Macky Sall s’en fiche. Le jour où il a fermé la frontière, il en a mesuré les conséquences. Mais il s’est dit : "Les Sénégalais d’abord."

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Qu’il est loin, le panafricanisme cher à Abdoulaye Wade. Fini l’époque où le pays se sacrifiait pour ses voisins. En 2007, le Sénégal s’était porté candidat à l’un des dix postes de membres non permanents au Conseil de sécurité de l’ONU. De l’avis général, c’était son tour. Mais le Burkinabè Blaise Compaoré avait alors demandé à son "frère" Abdoulaye Wade de lui céder la place. Et le président sénégalais de l’époque avait accepté. Pourquoi ? "Parce que c’était la conception de Wade, commente aujourd’hui Mankeur Ndiaye. Pour lui, le Burkina Faso ou le Sénégal, c’était pareil. Pourvu que ce soit un pays africain." À présent, le Sénégal se porte candidat pour un siège au Conseil en 2016-2017. Et il ne laissera sa place à personne !

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Évidemment, cette politique du chacun pour soi ne ravit pas tout le monde. "Où est le leadership de Macky Sall sur le continent ? s’interroge Souleymane Ndéné Ndiaye. Abdoulaye Wade avait une autre dimension. Il a été à l’initiative du Nepad [Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique], et si Macky Sall a pu représenter l’Afrique au dernier G20 à Brisbane [en Australie], c’est justement au nom du Nepad.

Du temps de Wade, rien ne se faisait en Afrique sans que son avis soit requis." Réplique de Mankeur Ndiaye : "Je rends hommage à ce qu’a fait le président Wade pour le Nepad. Mais de son temps, le Sénégal menait une diplomatie du microphone, de la provocation et de l’arrogance. Tout ou presque était subordonné à son obsession de devenir Prix Nobel de la paix. Aujourd’hui, le Sénégal conduit une diplomatie tranquille, posée. Et l’on peut être à la fois courtois et ferme." Mais Macky Sall n’a-t-il pas tout de même un problème de leadership, voire de confiance en lui ? "Pas du tout. Si c’était le cas, il ne se serait pas opposé à Wade et ne l’aurait pas vaincu ! Mais il est vrai que le succès du dernier sommet de la Francophonie va renforcer son leadership."

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Macky Sall veut-il vraiment exercer un leadership en Afrique ? Apparemment, oui. En juin 2013, il a manifestement été très fier de recevoir Barack Obama, qui avait choisi le Sénégal comme première étape de la grande tournée africaine de son second mandat. Et il a su en tirer des dividendes. En août dernier, au sommet de Washington, les États-Unis ont choisi le Sénégal pour faire partie des six pays africains qui vont bénéficier d’un fonds annuel de 110 millions de dollars en faveur des opérations de maintien de la paix.

Le problème, c’est que le président sénégalais n’accepte pas toutes les servitudes d’un tel leadership. La preuve, cette frontière fermée avec la Guinée. Peut-être aussi son peu d’empressement à s’occuper du Burkina Faso. "Après la chute de Blaise, il n’a accepté d’être médiateur que par défaut, reconnaît l’un de ses proches. Au sommet d’Accra, le 6 novembre, le président ghanéen cherchait un chef d’État francophone crédible. Alassane Ouattara était trop impliqué. Il ne restait plus que lui !" Néanmoins, tous s’accordent à dire qu’à Ouagadougou, Macky a fait le job. Accompagné du constitutionnaliste sénégalais Ismaïla Madior Fall, il a poussé les parties burkinabè au compromis et convaincu la communauté internationale de ne pas sanctionner le nouveau régime de transition. "Fini la diplomatie flamboyante et désordonnée de Wade, résume l’historienne Penda Mbow, la représentante personnelle du chef de l’État sénégalais auprès de la Francophonie. Aujourd’hui, l’heure est à la discrétion et à l’efficacité."

300 experts en stratégie militaire dans un forum à Dakar

À force de discrétion, il arrive à Macky Sall de laisser passer les trains. En février dernier, lors d’un minisommet à Nouakchott, les présidents de Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad ont créé un "G5 du Sahel" pour coordonner leurs politiques de sécurité et de développement. Macky Sall s’en est trouvé fort dépité. "Nous n’avons été ni informés ni conviés, déplore son ministre des Affaires étrangères. Or, on ne peut pas extirper le Sénégal du Sahel. La preuve, c’est que l’envoyée spéciale du secrétaire général de l’ONU pour le Sahel vient de s’installer à Dakar.

Si certains pensent qu’ils peuvent monter une telle organisation sans nous, nous leur souhaitons bon vent. Mais je crois que d’autres ont compris que nous serons plus forts ensemble." Aujourd’hui, le Sénégal contre-attaque. Ce 15 décembre, la capitale sénégalaise accueillait quelque 300 experts en stratégie militaire dans un ambitieux forum – le premier du genre sur le continent. Objectif : faire de Dakar le Davos de la sécurité en Afrique.

"Guinée, Mali, Mauritanie… La politique de bon voisinage pourrait être meilleure", estime l’éditorialiste Babacar Justin Ndiaye, du site d’information dakaractu.com. Deux exceptions tout de même. Depuis la dernière présidentielle en Guinée-Bissau, Dakar a beaucoup fait pour le retour dans l’Union africaine de ce pays victime de putschs à répétition. Et avec la Gambie de l’imprévisible Yahya Jammeh, il y a une embellie.

La preuve, un projet de pont au-dessus du fleuve Gambie pour relier plus facilement Dakar et Ziguinchor ; et surtout, bien entendu, l’apaisement sur le front casamançais. Il est vrai que, pour Macky Sall, les affaires gambiennes relèvent avant tout de la politique nationale. "En fait, le rôle de grand sage de l’Afrique ou de cador, ça n’intéresse pas Macky, confie l’un de ses proches. Depuis la chute de Blaise, il y a une place à prendre. Mais pour l’instant, ses priorités sont ailleurs."


Au côté de François Hollande, à Gorée, en 2012. © Bertrand Langlois – Pool / Sipa

Avec Paris, la lune de miel

Après de fortes tensions sous Abdoulaye Wade, les relations franco-sénégalaises sont revenues au beau fixe. La preuve : les grandes manoeuvres de Hollande et de Macky en faveur de la candidate Michaëlle Jean lors du dernier sommet de l’OIF. À peine élu, en avril 2012, Macky Sall est allé saluer Nicolas Sarkozy à Paris. Puis il a reçu François Hollande à Dakar au mois d’octobre suivant. En janvier dernier, les députés sénégalais ont ratifié à l’unanimité le nouvel "accord de partenariat militaire" entre les deux pays.

"Je sais que les pro-Wade nous reprochent le retour aux liens coloniaux, mais la France est notre premier partenaire", explique le chef de la diplomatie sénégalaise, Mankeur Ndiaye. En juillet dernier, Macky Sall a accepté de signer l’accord de libre-échange Union européenne-Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Abdoulaye Wade, lui, ne voulait pas en entendre parler. La polémique continue.

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