Côte d’Ivoire : dix dates pour comprendre la relation entre Henri Konan Bédié et ADO

Comme à son habitude avant chaque grande décision, Alassane Ouattara a pris soin de consulter Henri Konan Bédié sur son projet de nouvelle Constitution. S’ils apparaissent aujourd’hui comme de véritables alliés politiques, les deux hommes n’ont pas toujours été en aussi bons termes. Retour sur un quart de siècle de relations tumultueuses.

Henri Konan Bédié, à son domicile de Daoukro, octobre 2015. © SYLVAIN CHERKAOUI POUR J.A.

Henri Konan Bédié, à son domicile de Daoukro, octobre 2015. © SYLVAIN CHERKAOUI POUR J.A.

Publié le 20 octobre 2016 Lecture : 5 minutes.

Décembre 1993 : la succession d’Houphouët-Boigny aiguise leurs ambitions

Félix Houphouët-Boigny © Presse inter/Archives J.A.

Félix Houphouët-Boigny © Presse inter/Archives J.A.

Le 7 décembre 1993, le père de la nation ivoirienne rend son dernier souffle. Quelques mois avant, la perspective de sa succession a attisé les tensions entre Henri Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara, tous deux sur la ligne de départ pour occuper le siège qu’il savent bientôt vacant.

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Interrogé sur ses ambitions présidentielles en 1992, le Premier ministre Ouattara avait savamment éludé la question. « Chaque chose en son temps », s’était-il amusé, se gardant bien de répondre précisément.

À la mort de Félix Houphouët-Boigny, la Constitution ne laisse pas de place au doute. Conformément à l’article 11 du texte, l’intérim revient à Henri Konan Bédié, alors président de l’Assemblée nationale.

Alassane Ouattara part au Fonds monétaire international, où il sera nommé directeur général adjoint, pendant que son rival prend la tête du PDCI-RDA, qu’il dirige toujours aujourd’hui.

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Octobre 1995 : Bédié écarte Ouattara de la course et devient président

Henri Konan Bédié, président de l'Assemblée nationale ivoirienne (1980-1993). © Archives JA

Henri Konan Bédié, président de l'Assemblée nationale ivoirienne (1980-1993). © Archives JA

Le 22 octobre 1995, Henri Konan Bédié est élu président de la République. Il remporte 96,44 % des suffrages devant Francis Wodié, seul candidat n’ayant pas boycotté l’élection.

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La plupart des autres prétendants, dont Laurent Gbagbo, avaient refusé de concourir à l’élection pour protester contre le nouveau code électoral concocté par Bédié. La nouvelle législation exhume le concept d’ « ivoirité », écartant ainsi la candidature du principal rival de Bédié : Ouattara.

1999 : Ouattara rentre au pays et prend la tête du RDR

Quatre ans plus tard, Alassane Ouattara quitte le FMI pour rentrer en Côte d’Ivoire. Il prend alors la tête du Rassemblement des républicains (RDR), le parti libéral fondé par Djéni Kobina en 1994. En ligne de mire : la présidentielle de 2000.

Mais quelques mois plus tard, l’ancien Premier ministre devient la cible d’une virulente campagne de presse orchestrée par ses opposants, qui l’accusent d’être de nationalité burkinabé. « ADO », comme l’appellent ses partisans, tombe alors sous le coup d’un mandat d’arrêt pour « faux et usage de faux » en ce qui concerne ses pièces d’identité.

24 décembre 1999 : la chute de Bédié

Le général Robert Gueï, le 26 septembre 2000 à Abidjan. © JEAN-MARC BOUJU/AP/SIPA/AP/SIPA

Le général Robert Gueï, le 26 septembre 2000 à Abidjan. © JEAN-MARC BOUJU/AP/SIPA/AP/SIPA

À la veille de Noël 1999, les calculs politiques de chacun en vue de l’élection de 2000 sont bouleversés. Robert Gueï, ancien chef d’état-major mis à l’écart en 1995, destitue Henri Konan Bédié et s’empare du pouvoir. Konan Bédié ne peut s’empêcher de soupçonner Alassane Ouattara d’avoir un lien avec les putschistes, une accusation dont ce dernier s’est toujours défendu.

L’élection présidentielle de 2000 approche à grands pas. La candidature d’Alassane Ouattara est écartée pour « nationalité douteuse » et Konan Bédié est également mis hors jeu à cause de son exil français. Robert Gueï néglige toutefois un autre adversaire, Laurent Gbagbo. C’est finalement le leader du FPI qui remportera le scrutin avec 59,36% des suffrages.

Le couple Gbagbo en pleine campagne pour l'élection présidentielle de 2000, que Laurent Gbagbo remportera. © François Rojon/AFP

Le couple Gbagbo en pleine campagne pour l'élection présidentielle de 2000, que Laurent Gbagbo remportera. © François Rojon/AFP

2003 : la réconciliation de Marcoussis

Il faudra attendre les accords de Marcoussis, après la tentative de coup d’État des Forces nouvelles en 2002, pour qu’Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié renouent lentement le dialogue. « Bédié n’était pas tendre avec la rébellion, mais Ouattara lui a donné son rôle de grand frère, et cela a décrispé leur relation », avait raconté à Jeune Afrique un témoin de leur rencontre au Ghana, quelques semaines après la rencontre de Marcoussis.

Les deux ennemis scellent leur alliance avec un objectif commun, battre Laurent Gbagbo. Quelques mois plus tard, le 25 mars 2004, les militants de leurs partis respectifs, le RDR et le PDCI, défilent ensemble dans les rues d’Abidjan. La manifestation se soldera par un bain de sang : selon un rapport des Nations unies, au moins 120 personnes seront tuées dans la féroce répression qui s’ensuivra.

Mai 2005 : alliance entre ADO et HKB pour contrer Laurent Gbagbo à la présidentielle

Leur rapprochement scellé, les deux hommes passent à l’étape suivante : la réconciliation de la famille houphouétiste. Elle aura lieu à Paris, en mai 2005, lors d’une cérémonie dans la grande salle cossue des salons Hoche.

Après une décennie de brouille et de ressentiment, les deux hommes officialisent la naissance de la plateforme politique du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Leur objectif : battre Laurent Gbagbo, leur ennemi commun, à la présidentielle prévue quelques mois plus tard.

Novembre 2010 : Bédié appelle à voter Ouattara

Henri et Henriette Konan Bédié lors de la campagne pour la présidentielle, le 27 octobre 2010, à Abidjan. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Henri et Henriette Konan Bédié lors de la campagne pour la présidentielle, le 27 octobre 2010, à Abidjan. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Le scrutin aura finalement lieu en 2010. Au terme du premier tour, Gbagbo recueille 38 % des suffrages, Ouattara 32 %. Loin derrière, Bédié arrive en troisième position. Après plusieurs contestations, l’ancien président applique les statuts du RHDP et finit par apporter son soutien à Alassane Ouattara.

Cinq ans après sa disqualification, le Sphinx de Daoukro garde toutefois un souvenir amer de cet épisode. « Lorsqu’en 2010, pour des raisons que j’ignore, j’ai été écarté au premier tour des élections présidentielles, j’ai demandé aux militants du PDCI de rallier la candidature d’Alassane Ouattara, et ils l’ont fait », affirmait-il en octobre 2015 dans une interview à Jeune Afrique.

Décembre 2010 : la proximité du Golf Hôtel

Alassane Ouattara devant le Golf Hotel, le 8 décembre 2010. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Alassane Ouattara devant le Golf Hotel, le 8 décembre 2010. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Le refus de Laurent Gbagbo de céder le pouvoir à Alassane Ouattara, déclaré vainqueur de l’élection par la Commission électorale, conduira ADO et Henri Konan Bédié à prendre leurs quartiers au Golf Hôtel d’Abidjan.

Encerclé par les Casques bleus déployés pour assurer leur protection, l’établissement se transforme peu à peu en bunker, dans lequel les deux ennemis d’hier apprennent à cohabiter. « J’ai exprimé ma solidarité au président Ouattara en restant à ses côtés au Golf Hôtel, sous la menace des bombes. Nos appartements à l’hôtel étaient l’un en face de l’autre », racontait-il en octobre 2011 à Jeune Afrique.

Septembre 2014  : l’« appel de Daoukro »

Henri Konan-Bédié, président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), chez lui le 11 juin 2013. © Antonin BORGEAUD pour Jeune Afrique

Henri Konan-Bédié, président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), chez lui le 11 juin 2013. © Antonin BORGEAUD pour Jeune Afrique

La réconciliation sera définitivement scellée par « l’appel de Daoukro ». Le 17 septembre 2014, Bédié va au-delà des statuts du RHDP et annonce son ralliement à la candidature d’ADO pour l’élection présidentielle de 2015.

Le Sphinx de Daoukro sait qu’il prend des risques. Cet appel lui vaudra d’ailleurs d’être confronté à une sérieuse fronde de la part de certains membres du du PDCI, qui l’accusent alors de brader le parti.

La fusion du PDCI et du RDR en un parti unique 

Annoncée depuis des années, la fusion du PDCI et du RDR se concrétisera-t-elle un jour ? Si les deux hommes se plaisent désormais à afficher leur proximité au moindre crépitement de flash, le projet d’un grand parti houphouétiste est sans cesse repoussé.

ADO, 74 ans, et HKB, 82 ans, attendent peut-être de voir ce qui ressortira des législatives prévues en décembre 2016. Certains candidats pourraient en effet ne pas accepter de s’effacer au profit d’une candidature commune du RHDP, quitte à écorner l’image d’une grande famille houphouétiste réunie.

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