Thierry Tanoh ou l’art de la contre-attaque
C’est de la présidence, dont il est un influent conseiller, que l’Ivoirien a appris avoir obtenu gain de cause face à Ecobank, son ancien employeur. Portrait d’un homme à l’avenir professionnel en suspens.
Finance : Ecobank face à son avenir
Un peu plus d’un an après la crise qui l’a ébranlé, le groupe panafricain renoue avec les performances. Mais il doit encore régler plusieurs problèmes pour se développer sereinement, notamment celui de sa gouvernance.
Dans son bureau installé au premier étage du palais de la présidence ivoirienne, à Abidjan, Thierry Tanoh goûte, ce 15 janvier, sa première victoire face à Ecobank, dont il a été éjecté de la direction générale un an plus tôt. Son avocat, Lassomann Soualiho Diomandé, du cabinet Lex Ways, vient de lui annoncer la condamnation du groupe panafricain par le tribunal de commerce d’Abidjan dans la procédure qu’il a engagée contre celui-ci pour « diffamation, atteinte à la réputation, à la crédibilité et à l’honneur ». Le groupe bancaire, son actionnaire Public Investment Corporation (PIC) et Daniel Matjila, directeur général de ce fonds de pension sud-africain, doivent lui verser solidairement 7,5 milliards de F CFA (11,4 millions d’euros) de dommages et intérêts.
Depuis son départ mouvementé de la direction d’Ecobank, en mars 2014, l’ancien vice-président Afrique subsaharienne et Europe de l’Ouest de la Société financière internationale (IFC, filiale de la Banque mondiale) s’était imposé le silence et une discrétion absolue, limitant ses apparitions en public. Mais il était loin d’avoir abdiqué.
Durant ces onze derniers mois, l’économiste a peaufiné sa revanche. Il a d’abord engagé une procédure judiciaire contre son ancien employeur pour rupture abusive de contrat devant le tribunal du travail de Lomé. Puis la diffusion, en mars 2014, d’une lettre de Daniel Matjila, administrateur d’Ecobank, dans le Financial Times et via Bloomberg, l’a incité à initier une deuxième action, cette fois dans son propre pays, pour diffamation, atteinte à la réputation, à la crédibilité et à l’honneur, réclamant 15 milliards de F CFA de dommages et intérêts. L’actuel patron de PIC, cible principale de la condamnation, y qualifiait Thierry Tanoh d’ »immature », de « menteur », de « manipulateur », d’ »escroc », le jugeant « inapte à exercer la profession de banquier ». D’après une source proche du dossier, « cette lettre humiliante a vexé Thierry Tanoh et a ruiné sa réputation dans le monde de la finance ».
—————>>> Lire également : Pourquoi le tribunal d’Abidjan a lourdement condamné Ecobank
Bras de fer
D’après Soualiho Diomandé, la décision de la justice ivoirienne satisfait son client, mais Thierry Tanoh est conscient que la bataille judiciaire est loin d’être terminée. Dans la foulée de l’annonce du délibéré du tribunal de commerce d’Abidjan, le groupe bancaire a d’ailleurs indiqué son intention de faire appel. La direction d’Ecobank, toujours très remontée contre son ancien dirigeant, préparerait une contre-offensive. Pour l’instant, l’heure n’est donc pas à la négociation.
Thierry Tanoh estime positif son bilan à la tête d’Ecobank, bien que son passage ait été un calvaire pour lui et sa famille, soutient un de ses proches.
En attendant le dénouement de ce bras de fer qui sera sans doute long (dans la procédure pendante à Lomé, un verdict est attendu le 3 février), Thierry Tanoh prend peu à peu ses marques au sein du cabinet présidentiel ivoirien, où il a été nommé secrétaire général adjoint avec rang protocolaire de ministre le 12 septembre.
Il a, selon ses proches, un droit de regard sur tous les dossiers. C’est lui qui pilote l’ensemble des affaires économiques, financières, budgétaires, industrielles, minières, pétrolières, énergétiques, commerciales et liées à l’emploi, de même que les relations avec les responsables des institutions internationales et du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici).
Pour ce faire, cet expert-comptable de formation, né d’une mère originaire du nord de la France et d’un père natif de Daoukro (Est), s’appuie, au sein de la cellule économique de la présidence, sur Jean-Luc Bédié (conseiller chargé des banques et des marchés financiers), Issac De (infrastructures) et Philippe Serey-Eiffel, secrétaire général adjoint qui gère des projets bien précis, tel le train urbain d’Abidjan.
Celui qui, pendant sa période sabbatique de six mois environ, avait songé à créer une société d’ingénierie financière, de conseil et d’investissement, bénéficie selon ses proches de l’entière confiance d’Alassane Ouattara. Selon nos informations, au plus fort de la crise, ce dernier a contacté son homologue sud-africain Jacob Zuma pour lui demander de défendre la cause de Thierry Tanoh auprès de son bras droit financier, qui n’est autre que… Daniel Matjila.
Si Thierry Tanoh a réussi à se faire une place à la présidence ivoirienne, il lui reste encore à convaincre certains acteurs de l’économie nationale.
En décembre, l’économiste ivoirien travaillait sur une étude concernant la dette intérieure remboursée aux entreprises du secteur privé dans le but de mesurer comment les fonds débloqués étaient recyclés dans l’économie. « En 2015, le privé devra augmenter sa contribution au PIB. L’enjeu majeur sera la réduction de l’informel », expliquait-il à un interlocuteur.
Si, depuis, Thierry Tanoh a réussi à se faire une place à la présidence ivoirienne, il lui reste encore à convaincre certains acteurs de l’économie nationale. Notamment les professionnels du secteur bancaire, qui le soupçonnent de vouloir leur mettre les autorités à dos.
« Thierry Tanoh n’a pas digéré sa mésaventure avec Ecobank. Nous le suspectons d’avoir inspiré le discours du chef de l’État lors de l’inauguration de la Maison de l’entreprise [siège de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire], en septembre, où le président a tancé durement les banques ivoiriennes », avance un patron du secteur qui a requis l’anonymat. Selon certains de ses proches, l’homme raconterait qu’il aurait pu couler l’établissement avec ce qu’il y a découvert. « Thierry estime positif son bilan à la tête d’Ecobank, bien que son passage ait été un calvaire pour lui et sa famille », soutient l’un d’eux.
Désormais se pose la question de son avenir professionnel. Ce poste de conseiller sera-t-il un tremplin vers une carrière politique ? À 52 ans, la tentation peut être forte, surtout quand on a pour parrain Henri Konan Bédié, ancien chef d’État et président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire.
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