Crise au Burundi – Tom Perriello : « L’important, c’est que l’Union africaine continue d’exercer son leadership »

L’envoyé spécial de Barack Obama pour les Grands lacs, Tom Perriello, était présent à Addis-Abeba pour le sommet de l’Union africaine, les 30 et 31 janvier. Il répond aux questions de Jeune Afrique sur les deux dossiers chauds de la région : la crise au Burundi et le blocage du processus électoral en RD Congo.

Tom Perriello lors d’un discours à Bujumbura en novembre 2015. © STR/AP/SIPA

Tom Perriello lors d’un discours à Bujumbura en novembre 2015. © STR/AP/SIPA

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Publié le 3 février 2016 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Que pensez-vous des conclusions du sommet de l’Union africaine (UA) sur le Burundi ?

Tom Perriello : D’abord, je pense que cela a été une avancée assez importante puisque cela valide le leadership de l’UA pour essayer de régler une crise que le gouvernement burundais nie. Et puis l’UA fait un effort global pour la paix et la protection des civils dans ce pays. Même s’il y a eu des avancées et des reculs tout au long du week-end, l’important, c’est que l’UA continue d’exercer son leadership.

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N’êtes-vous pas déçu que l’envoi de la Mission africaine de prévention et de protection au Burundi (Maprobu) n’ait pas été décidé ?

D’abord, nous avons des divergences avec l’UA sur cela. Ensuite, je pense que très peu de gens s’attendaient vraiment à ce qu’un déploiement intégral soit décidé lors de ce sommet. La question était de savoir si on allait reculer de deux pas, ou avancer d’un. Et je pense que l’UA a avancé de deux pas.

Nkurunziza doit maintenant décider s’il veut adopter une position modérée ou être du côté des tenants d’une ligne dure

Vous avez rencontré le président Nkurunziza il y a quelques jours. Vous a-t-il donné l’impression de pouvoir changer d’avis et d’accepter cette force ?

Je pense qu’il a le sens des responsabilités en tant que leader de son pays. Il a une vision de ce qu’il veut pour le peuple burundais. Jusque-là, il ne voit pas l’intérêt de cette force. Mais je pense que les observateurs objectifs de la situation constatent que le gouvernement y a beaucoup plus intérêt que l’opposition. En réalité, les deux groupes qui se félicitaient le plus d’un éventuel recul de l’UA étaient les faucons du gouvernement et l’opposition armée. Les progrès renforcent en réalité les modérés. Et le président Nkurunziza doit maintenant décider s’il veut adopter cette position modérée ou être du côté des tenants d’une ligne dure.

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Le Burundi a accusé à de nombreuses reprises le Rwanda d’ingérence. Avez-vous des informations qui confirment cela ?

Il faut d’abord comprendre qu’à l’origine de la crise, il y a une scission au sein du parti au pouvoir. Celle-ci s’est faite entre ceux qui, au sein du gouvernement, voulaient poursuivre avec l’accord d’Arusha, qui a permis une décennie de paix, et les tenants d’une ligne dure. Les modérés ont quitté le parti pour rejoindre la société civile et l’opposition. Il y a eu beaucoup d’interventions de la part des pays voisins. Certaines étaient constructives, d’autre pas. Avec les Rwandais, nous avons fait part de nos inquiétudes sur la question des recrutements dans les camps de réfugiés.

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Une grande partie de la solution réside dans une Communauté de l’Afrique de l’Est unie qui permette aux discussions régionales d’avancer. Ceci étant, c’est une crise qui vient de l’intérieur du Burundi et la solution viendra de la réunion des parties burundaises, soutenues par les pays de la région.

Avez-vous des éléments qui démontrent un risque de génocide dans ce pays ?

Personne ne dit qu’un génocide a déjà commencé. Mais bien sûr, il vaut mieux intervenir avant que cela ne soit le cas. Cette crise est d’abord politique. Mais il y a toujours eu une composante ethnique parce que le gouvernement suspecte certains membres de la communauté minoritaire d’être contre lui. Nous surveillons cela.

À certains moments, la crise menaçait davantage de prendre une tournure ethnique. Le monde doit faire en sorte que cela n’arrive pas. Mais il y a un autre message que nous avons adressé au gouvernement concernant les cas de torture, d’exécutions extra-judiciaires et d’autres abus. Ils ne sont pas davantage acceptables quand ils concernent à égalité Hutus et Tutsis. Il y a déjà eu de graves crimes commis par le gouvernement et l’opposition.

En RD Congo, pensez-vous que l’élection présidentielle a encore des chances d’être organisée en novembre, comme le prévoit la Constitution ?

Nous pensons qu’il est important que des élections se déroulent dans les temps et selon la Constitution. Beaucoup de Congolais pensent encore que cela peut être le cas, même si de plus en plus en doutent. Nous pensons que la préparation des élections doit commencer immédiatement. Ce que nous savons c’est qu’aucun des obstacles n’est insurmontable. Tous ces défis ont déjà été relevés par le passé en RD Congo. Les principaux obstacles sont politiques, plutôt que techniques. Donc il faut se concentrer sur ce problème politique.

Le dialogue politique demandé par le président Kabila est-il utile pour cela ?

Le dialogue en tant que tel est toujours utile dans ces situations. Le premier appel au dialogue est venu de l’UDPS qui a proposé une feuille de route il y a un an. Donc la question est : quel type de dialogue ? Si un processus crédible est présenté, que les parties sont convaincues qu’il vise à préserver les intérêts du pays et la Constitution, je pense qu’ils se réuniront pour cela.

Si cela n’arrive pas, je pense que ce sera réglé par d’autres moyens. L’opposition a menacé d’utiliser ses droits constitutionnels à se rassembler et manifester. Mais tout le monde comprend bien que cela crée certains risques, de même que la stratégie du « glissement ». Il vaut donc mieux trouver un processus. Et il sera difficilement crédible s’il est contrôlé par une seule partie au dialogue.

Je pense que le président Kabila a un bilan remarquable

Le président Kabila peut-il être convaincu de quitter le pouvoir après que, d’une manière ou d’une autre, les présidents du Rwanda et du Burundi ont pu obtenir un troisième mandat ?

Le président Obama ne dit pas que, puisque tel président a eu droit à quatre mandats, lui aussi y a droit. Chacun doit respecter sa propre Constitution. Dans le cas du président Kabila, elle est très claire. Je pense aussi que le président Kabila a un bilan remarquable. Il a permis de sortir le pays d’une guerre civile pour l’amener vers une démocratie constitutionnelle. Il a relevé des défis tels que la lutte contre l’inflation et les violences faites aux femmes par des militaires. Il peut être fier. Et être celui qui réussit, là où d’autres ont échoué, à permettre une transition constitutionnelle, permettrait d’aller encore plus loin.

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