Les jours des « cars rapides » sénégalais sont comptés. Polluants et dangereux, ils devraient disparaître de la circulation d’ici 2018 et être remplacés par des bus en provenance d’Asie. Peints et décorés selon un rite très particulier, certains de ces vieux Renault Saviem sont considérés comme des œuvres d’art.
Dans ce contexte, l’un d’entre eux rejoindra à partir du mois d’octobre la collection permanente du musée de l’Homme à Paris. À cette occasion, les deux chercheurs à l’origine du projet, la Sénégalaise Ndiabou Sega Touré et le Français Alain Epelboin, décryptent pour Jeune Afrique les symboles qui ornent ces cars bariolés.
La nature et les couleurs
Exporté d’Europe à destination des pays du Sud dans l’après-guerre, le Saviem a rapidement pris les couleurs jaunes et bleues de Dakar. « Lorsqu’on décrypte les motifs, on trouve d’abord des fleurs, des fruits et des animaux. Il semble que cela corresponde aux broderies des jeunes filles de bonnes familles », explique l’anthropologue du musée de l’Homme, Alain Epelboin.

Le car rapide sera visible par le public le 17 octobre. © Serge Bahuchet
Religion et grigris
Difficile aussi d’imaginer un car rapide sans mention religieuse. Les « Al-hamdoulillahi », la mosquée de Touba ou les versets du Coran y figurent en bonne place. Il en va de même pour les principales confréries religieuses. « Si le visage de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie des mourides, apparaît sur le car, c’est une façon pour son propriétaire d’affirmer son appartenance à cette dernière », explique Ndiabou Sega Touré, professeure de l’université Cheick Anta Diop de Dakar.
Des références qui côtoient les amulettes et autres grigris protecteurs. « Le car rapide véhicule aussi un syncrétisme religieux », explique Ndiabou Sega Touré. La chercheuse en veut pour preuve la représentation d’un enfant en plein apprentissage du Coran. « Quand on y regarde de plus près, il porte une amulette, symbole de croyances occultes », explique Ndiabou Sega Touré.

L'enfant portant une amulette autour du cou et apprenant le Coran. © Alain Epelboin
La lutte et le football
Les références au sport sont également omniprésentes. Sans surprise, ce sont surtout la lutte et le football, les deux sports les plus populaires, qui colorent le plus souvent les carrosseries. À l’image de la victoire du Sénégal sur la France lors de la Coupe du monde de football en 2002. « Cette victoire a marqué les esprits : lorsque la France a perdu, il y a eu comme une sorte de revanche. Cela dit, la victoire de la France contre le Brésil lors du Mondial de 1998 est aussi très représentée sur les cars rapides, car les Sénégalais supportent fréquemment la France. Un reflet des relations ambiguës entre les deux pays », assure Ndiabou Sega Touré.

La lutte © @Alain Epelboin
Des motifs qui résument l’histoire du pays
Tous ces symboles dessinent la frise du Sénégal, affirment les deux universitaires. « Ces motifs résument l’histoire du pays, c’est un étendard national », souligne Alain Epelboin.
L’histoire de l’indépendance jouxte ainsi la représentation d’événements plus sombres. Le massacre des tirailleurs sénégalais par les troupes françaises en 1944 ou encore le naufrage meurtrier du « Joola » rappellent l’histoire douloureuse du pays.
Sans oublier les événements plus récents, puisque la représentation des drames de l’immigration clandestine figure elle aussi sur les engins. Et si les cars rapides doivent disparaître de la circulation d’ici 2018, rien n’empêchera les Sénégalais de continuer à inscrire leur histoire sur des bus de marques indiennes et chinoises.

Galerie du car rapide exposé à Paris. A gauche, le naufrage du Diola; à droite, les migrants morts en mer. © Alain Epelboin