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Finance : Ecobank face à son avenir
Ces jours-ci, la Bourse de Casablanca accueille une nouvelle valeur : Total Maroc. La filiale marocaine du pétrolier français a mis sur le marché, entre le 11 et le 15 mai, 15 % de son capital pour un prix ouvert entre 455 et 535 DH (entre 41 et 49 euros) par action. L’opération, qui était recommandée par pratiquement tous les analystes de la place en raison de la solidité financière de la compagnie et de ses bonnes perspectives, n’a pourtant pas fait l’unanimité auprès des petits porteurs. Ces derniers, très actifs dans le forum MarocBourse, qui compte une communauté de 3 600 boursicoteurs, grands et petits, avaient décrété trois mois auparavant un boycott de l’opération de Total, mais aussi de toutes celles qui se préparent dans le futur : celle de la société d’investissement de l’ex-ministre du tourisme Adil Douri, qui a été annoncée le 11 mai, mais aussi celle de Marsa Maroc, l’opérateur portuaire public.
Les boursicoteurs considèrent qu’ils ont été trompés.
En cause : leur grande déception par rapport aux résultats des dernières introductions (IPO, pour initial public offering) du marché. « À quelques exceptions près [Maroc Telecom, Label Vie ou Jlec], toutes les sociétés introduites en Bourse ces dix dernières années ont perdu de la valeur », explique le conseiller juridique et financier Karim Yousfi. C’est le cas par exemple des valeurs immobilières, pourtant considérées au moment de leur introduction comme les futures stars de la cote. Introduit à 685 DH, le groupe Alliances d’Alami Lazarak cote actuellement… 113 DH ! Idem pour la CGI, bras immobilier de la très puissante Caisse de dépôt et de gestion. Mise sur le marché en 2008 à un prix initial de 952 DH, la valeur s’apprête aujourd’hui à sortir carrément de la Bourse de Casablanca, sur la base d’un dernier cours qui ne dépasse pas 725 DH. Ces déconvenues ont été vécues aussi par des valeurs moins grosses comme la Snep de Miloud Chaâbi, passée de 1 250 DH en 2007 à 134 DH aujourd’hui, ou encore la valeur technologique M2M, qui cote actuellement à 204 DH, contre un prix d’introduction de 1 095 DH en 2007…
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En somme, les boursicoteurs considèrent qu’ils ont été trompés dans toutes ces opérations. Le même sentiment se dégage à Tunis, selon plusieurs petits porteurs interrogés, où la place boursière a connu des introductions record ces deux dernières années. Des IPO qui ont toutes ou presque tourné au cauchemar. Les cas les plus emblématiques restent à ce jour Syphax Air Line, Tawassol ou encore MIP. Le titre de la première a été introduit en avril 2013 à 10 dinars (4,80 euros), il cote actuellement à 3,90 dinars, soit une perte de plus de 60 %. Il en va de même pour le deuxième, spécialiste des infrastructures de télécommunications, dont la valeur a perdu 40 % entre son IPO de juillet 2014 et aujourd’hui. La situation est encore pire pour MIP, leader de l’affichage urbain en Tunisie.
Son action se négocie actuellement à Tunis à 1,30 dinar, contre 4,70 dinars lors de sa première cotation, en mai 2014, soit une contre-performance de plus de 72 %. La faute à qui ? « Aux banquiers d’affaires, qui survalorisent les titres au moment de leur introduction en Bourse pour satisfaire leurs clients, bien sûr, mais aussi pour tirer le maximum de commissions », tonne le Marocain Karim Yousfi. Réponse du berger à la bergère : « Le succès d’une introduction en Bourse ne se mesure pas par l’évolution du cours. Si tel était le cas, l’IPO de Facebook en 2013 serait l’opération financière la plus désastreuse de tous les temps », répond du tac au tac un banquier d’affaires marocain, qui a conduit plusieurs introductions en Bourse ces dix dernières années.
Pour lui comme pour la majorité des cols blancs du royaume, une introduction en Bourse sert d’abord à lever de l’argent, à institutionnaliser les tours de table des compagnies, à leur ouvrir de nouvelles fenêtres de financement pour leur développement futur, mais jamais à enrichir les porteurs du titre sur le court terme. « La Bourse n’est pas un casino », tranche notre interlocuteur. Analyste financier chez Alpha Mena, société d’analyse indépendante basée à Tunis et qui suit aussi le marché marocain, Kais Kriaa ne dit pas autre chose : « Quand on veut affirmer si une introduction en Bourse a réussi ou pas, il faut regarder sur le long terme. Les comportements des titres sur le court terme ne reflètent généralement pas la réalité d’une entreprise », explique-t-il. C’est d’autant plus vrai sur la place tunisienne, où les indices évoluent depuis quelques années au gré de la vie politique et sont ainsi complètement détachés de la réalité et des fondamentaux des sociétés cotées.
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Conflit d’intérêts
« Un banquier d’affaires fait simplement son métier. Quand il introduit une société en Bourse, il doit tirer la valeur vers le haut. Après, si le titre baisse, ce n’est pas réellement sa faute. C’est le marché qui ajuste la valeur du titre », assure Kais Kriaa. Pour lui, si quelqu’un doit porter le chapeau de ces échecs, c’est les boursicoteurs eux-mêmes. « À Tunis, la demande est portée essentiellement par les particuliers. Mais souvent la majorité d’entre eux ne sait pas ce qu’elle achète. Pour Syphax Air Lines, nous l’avons dit à maintes reprises. La compagnie a vendu du vent au marché et les gens ont pourtant suivi », insiste-t-il. C’est là qu’intervient la responsabilité d’un autre acteur du marché, et pas des moindres : l’analyste financier. Censés alerter leurs clients sur la cherté des valeurs introduites et la sincérité de leur business plan, les analystes financiers, aussi bien à Casablanca qu’à Tunis, sont une quasi-majorité à se contenter de relayer les éléments de langage des sociétés qui émettent les titres.
Normal, quand on sait que l’essentiel des entités d’intermédiation boursière dépend directement des banques. Une situation de conflit d’intérêts qui empêche les analystes de dire ce qu’ils pensent réellement. « Les situations de conflit d’intérêts sont très courantes, même dans les places les plus matures. Mais – j’insiste – un acheteur doit en principe être un connaisseur et ne doit pas se laisser séduire par les discours des banquiers et des analystes », explique Kais Kriaa. Pour le conseiller juridique et financier Karim Yousfi, les choses sont encore plus graves : « Non seulement nos analystes ne sont pas indépendants, mais ils sont souvent incompétents. Nous avons besoin sur nos marchés de vrais analystes, tonne-t-il, pas de chemises roses qui sortent directement des grandes écoles sans aucune expérience du terrain ! »