Un difficile pari libéral

Le royaume mise sur l’ouverture économique. Ses priorités : moderniser le pays et s’attaquer au problème de la pauvreté, à coups de programmes stratégiques. Qui élabore ces plans pour demain ? L’État se donne-t-il les moyens de ses ambitions ?

Publié le 16 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Maroc 2020: Demain commence aujourd’hui
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Maroc 2020: Demain commence aujourd’hui

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« Quand il est urgent, c’est déjà trop tard ! » Ahmed Lahlimi Alami, haut-commissaire au Plan, aime à citer Talleyrand, ministre visionnaire de Napoléon, pour justifier l’élaboration de scénarios futuristes dont l’intérêt est de guider les décideurs du royaume. Économiste de formation, francophile, socialiste convaincu, ce proche de feu Abderrahim Bouabid et d’Abderrahmane Youssoufi a été nommé en octobre 2003 par le roi Mohammed VI pour rénover un système de production de statistiques peu performant. Il en a profité pour mettre en place des outils de prospective (jusqu’en 2030), de planification stratégique et d’évaluation afin d’accompagner les priorités du pays pour les années à venir : investissements porteurs, emplois productifs, enseignements utiles et création de conditions de vie dignes pour tous… Des travaux du haut-commissariat au Plan (HCP) ne sortent pas de recettes miracles, mais de l’application de principes de bonne gouvernance, de modernisation de l’économie et d’ouverture sur le monde.
Vaste chantier ! D’autant que le bilan des cinquante années d’indépendance n’est guère flatteur. À la tête d’une équipe d’une vingtaine d’experts, le conseiller de M6 Meziane Belfqih, qui était déjà en fonctions sous Hassan II, a posé un regard approfondi et dépassionné sur la période postcoloniale, débouchant sur la remise d’un rapport du cinquantenaire, en 2006. Ce document dénonce l’inégalité des classes, qualifie la pauvreté de persistante et consacre la faillite des politiques d’éducation et de santé. Quant à l’agriculture, elle apparaît archaïque et empêtrée dans un mode de gestion féodale. Le constat est simple : si rien n’est fait, le Maroc va droit dans le mur. La montée de l’extrémisme, symbolisé par les attentats de Casablanca du 16 mai 2003, n’a fait que renforcer l’impérieuse nécessité de moderniser le pays et de s’attaquer au problème de la pauvreté.

Virage à 90 degrés

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Soutenue et conseillée par les pays occidentaux et les institutions financières internationales, la monarchie a fait le pari de l’ouverture économique. M6 a nommé en 2003 un Premier ministre-chef d’entreprise, Driss Jettou, pour lancer l’impulsion libérale. Aux rênes d’un gouvernement renouvelé, comprenant des quadras à la tête bien faite, il a initié une série de programmes, « Émergence », « Azur », autant de plans stratégiques visant à développer les secteurs industriel, touristique, du commerce et des services (voir p. 66) pour rendre l’économie moins dépendante de l’agriculture et des caprices du ciel. Profitant d’une situation géographique favorable, à l’entrée du détroit de Gibraltar, l’ambition du royaume est de devenir la principale plate-forme d’exportation sud-méditerranéenne. Pour y parvenir, les pouvoirs publics misent sur les avantages comparatifs du pays (faibles coûts salariaux, proximité avec l’Europe et le Moyen-Orient) et d’ambitieuses politiques tournées vers le libre-échange avec les pays arabes, l’Union européenne et les États-Unis.
Les premiers effets de ce virage à 90 degrés se font sentir. Après avoir connu une croissance molle entre 1960 et 2000 (1,8 % en moyenne), le pays a progressé de 5 % en moyenne entre 2002 et 2006, et sa croissance devrait dépasser les 6 % en 2008.
Pourtant rien n’est encore gagné. D’autant que le pays est aujourd’hui exposé de plein fouet aux tumultes de la mondialisation et aux effets pervers du capitalisme. La flambée des cours du pétrole et la hausse des produits agricoles produisent de l’inflation et grèvent le budget des ménages autant qu’elles attisent le mécontentement à l’égard du nouveau gouvernement d’Abbas El Fassi, issu des législatives de septembre 2007. Les autorités ont de plus en plus de mal à assurer la paix sociale. Les dernières émeutes de Sefrou et de Sidi Ifni témoignent des malheurs d’une population exposée à la cherté de la vie et au chômage.
« Si la dynamique actuelle est maintenue et si les réformes de l’enseignement, du monde rural et de la gouvernance aboutissent, le royaume réussira à entrer dans une dynamique de développement durable », prévoit néanmoins le haut-commissaire au Plan. Et de miser sur le maintien d’un taux de croissance de plus de 6 % jusqu’en 2015 et de 7,8 % par la suite. De quoi créer les 250 000 emplois annuels nécessaires pour résorber la pauvreté et permettre l’émergence d’une classe moyenne. En attendant, les autorités se trouvent confrontées à deux défis majeurs : trouver les ressources hydriques et énergétiques (voir pp. 69 et 70) nécessaires pour éviter les pénuries annoncées.
Reste enfin une inconnue politique que les cabinets McKenzie et McKinsey, très impliqués dans la définition des grandes politiques de développement du royaume et les études prospectives du HCP, ne font qu’effleurer. Le pays pourrait connaître une situation inédite dans les prochaines années, avec l’arrivée possible à la primature de Fouad Ali El Himma, ami de Sa Majesté, qui a lancé le Mouvement pour tous les démocrates (MTD), ralliant à lui plusieurs ministres et grands patrons du royaume. Son rassemblement, qui préfigure la création d’un parti, s’est assigné comme objectif de rassembler les forces de progrès pour contrecarrer les ambitions politiques des islamistes. Quelle serait alors la réaction des partis historiques comme l’Istiqlal et l’Union socialiste des forces populaires (USFP) ou du Parti pour la justice et le développement (PJD, islamiste), attachés aux principes démocratiques ? Difficile de lire dans le marc de café…

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