Mali : le Boeing de la coke

Un avion-cargo rempli de cocaïne a atterri en plein désert. L’équipage s’est volatilisé, ainsi que le chargement. Restent d’embarrassantes questions pour les autorités de la région.

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Christophe Boisbouvier

Publié le 26 novembre 2009 Lecture : 3 minutes.

En général, c’est dans les films (Le Clan des Siciliens) ou dans les bandes dessinées (Vol 714 pour Sydney). Mais cette fois, c’est pour de vrai. Selon la police anti-drogue, des trafiquants de cocaïne venus du Venezuela ont posé un Boeing – sans doute un long-courrier 707 – en plein désert, début novembre, dans le nord-est du Mali. Pas de piste d’atterrissage. Juste une grande étendue plate remblayée à la diable et quelques balises alentour. L’avion s’est-il enfoncé dans la latérite ? Les réacteurs ont-ils avalé du gravier ? En tout cas, après le déchargement, le pilote n’a pas réussi à faire redécoller sa machine. Les trafiquants ont alors mis le feu à l’appareil pour effacer toutes traces. Puis ils se sont volatilisés à bord de véhicules 4×4 chargés de leur précieuse marchandise (un kilo de cocaïne raffinée vaut 40 000 dollars – l’avion devait en contenir plusieurs tonnes).

Au palais de Koulouba, Amadou Toumani Touré (ATT) a très mal pris la nouvelle. « Il a piqué une grosse colère », confie l’un de ses proches. « Mais qui sont ces gens qui veulent donner du Mali l’image d’un pays de narcotrafiquants, comme la Guinée-Bissau ? », a lancé le président malien en privé. Aussitôt, il a envoyé à Gao l’un de ses hommes de confiance, le général Kafougouna Koné, ministre de l’Administration territoriale. Et très vite, les gendarmes ont identifié celui qui a aménagé sommairement l’aire d’atterrissage – un entrepreneur qui a pignon sur rue à Gao. « On m’a dit que la piste servirait à des petits avions d’évacuation sanitaire », a-t-il expliqué. « Qui c’est, “on” ? — Un commerçant arabe qui circule entre Gao et Kidal… »

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Dans cette région désertique du nord-est du Mali, la communauté arabe est influente. En avril dernier, c’est l’un de ses membres, un notable de Tarkint, qui a négocié la libération très périlleuse de Robert Fowler et Louis Guay, les deux otages canadiens d’Al-Qaïda. Comme le Boeing a atterri précisément dans cette zone de Tarkint, à une centaine de kilomètres au nord de Gao, le rapprochement est tentant. Mais attention aux amalgames. « Si les trafiquants ont eu l’audace de poser un gros-porteur, c’est parce que leurs complices ne sont pas seulement de simples commerçants », analyse un haut fonctionnaire de Bamako. « Il est évident qu’ils ont des contacts au plus haut niveau, peut-être même à la Sécurité d’État ».

L’appareil a échappé aux radars

Y avait-il aussi des complices dans une tour de contrôle de la sous-région ? Pas sûr. « Officiellement, toute l’Afrique de l’Ouest est couverte par des radars de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique (Asecna). En réalité, il y a des zones d’ombre, notamment dans le nord de la Mauritanie, confie un pilote malien. Si l’équipage de l’avion n’a communiqué avec aucune tour, il a pu voler incognito depuis les côtes de l’Atlantique jusqu’à Gao. »

Le coup est tellement spectaculaire que toutes les polices sont sur les dents. Le 6 novembre, quand la presse malienne a révélé l’affaire, ATT a essayé d’étouffer le scandale. Aucun communiqué officiel n’est paru, comme s’il ne s’était rien passé ! Mais dix jours plus tard, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a craché le morceau à Dakar. Et aujourd’hui, Gao grouille de détectives. Les enquêteurs maliens sont épaulés par des limiers d’Interpol et par des experts américains de la Drug Enforcement Administration (DEA) venus spécialement d’Arlington (Virginie), via Niamey.

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Jusqu’à présent, les narcotrafiquants d’Amérique latine ne traversaient l’Atlantique qu’à bord de petits bimoteurs à hélice. Dans l’archipel des Bijagos, au large de Bissau, ils ne déchargeaient que quelques dizaines de kilos de cocaïne par rotation. Cette fois, avec ce Boeing du désert, ce sont plusieurs tonnes de cocaïne qui sont arrivées d’un coup. Au Venezuela, le président Chávez – qui a expulsé la DEA de son pays il y a quatre ans – ne peut plus fermer les yeux. Son ministre de l’Intérieur, Tareck el-Aissami, a annoncé l’ouverture d’une enquête. Côté africain, outre le Mali, plusieurs pays sont sur la piste des 4×4 : l’Algérie, le Niger et la Libye. Les trafiquants ont de l’audace, mais ils risquent de la payer cash.

Lire aussi les premières réactions du président malien Amadou Toumani Touré.

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