Économie

Le qat, botte secrète de l’Éthiopie

Très prisé dans la Corne de l’Afrique, le qat, plante énergisante, est devenu un produit clé. Bien plus rémunérateur que le café.

Mis à jour le 24 mai 2013 à 18:42

Les feuilles vertes doivent être consommées dans les 48 heures suivant la récolte. © Crispin-Hughes-Panos-REA

Un nouveau type de commerçant est apparu ces dernières années dans les rues d’Addis-Abeba. Ces vendeurs se déplacent à vélo et transportent sous le bras des bottes de qat (prononcer « tchat »), aux rameaux ornés de feuilles vertes. Cette plante énergisante, considérée comme une drogue dans la plupart des pays européens – mais légale au Royaume-Uni -, se consomme généralement dans les khat bet (« maisons du qat ») ou à domicile. Aux heures les plus chaudes de la journée ou tard dans la nuit, de plus en plus d’Éthiopiens (un tiers des habitants, selon une étude réalisée en 2000) mâchent longuement et en groupe ces feuilles amères. La joue gonflée, l’oeil écarquillé, les consommateurs ont la faim coupée et l’esprit stimulé. Ils tiennent des discussions animées pendant de longues heures.

Réprouvée par l’Église orthodoxe, très puissante sous l’empire, la mastication du qat est longtemps restée marginale – elle était toutefois plus répandue dans les minorités musulmanes de l’Est. Mais au cours des trente dernières années elle a progressivement envahi tout le pays. Avec les livreurs à domicile, elle gagne désormais les classes moyennes, des consommateurs qui ne veulent pas être vus dans la rue avec leur botte. On en trouve pour toutes les bourses, en fonction de la qualité, de la provenance et de la fraîcheur – les feuilles devant être consommées dans les quarante-huit heures suivant leur récolte.

« Le berceau historique de la production de qat est la région de Dire Dawa [sur la route de Djibouti et de la Somalie, où se trouvent les principaux consommateurs, NDLR], explique Atlaw Alemu, professeur d’économie à l’université d’Addis-Abeba. Mais depuis peu, on trouve par exemple du qat estampillé Bahir Dar [région des hauts plateaux], une ville qui n’a jamais eu de tradition en la matière ! »

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En pleine expansion, la culture du qat se substitue progressivement à celle du café, traditionnel produit d’exportation de l’Éthiopie. Pour les producteurs, les avantages sont multiples. Arbuste à feuillage persistant, le qat peut se récolter toute l’année, alors que ce n’est possible qu’une fois par an pour le café. Son commerce – légal en Éthiopie comme dans le reste de la Corne de l’Afrique – n’est pas régulé comme celui des grains d’arabica, que les producteurs sont contraints de vendre à la Bourse éthiopienne des matières premières (ECX) afin qu’ils soient exportés. Enfin et surtout, le qat se vend plus cher que les autres produits agricoles d’exportation (voir graphique) tant la demande régionale est importante. En effet, si le café reste de loin le principal produit à l’export (générant 832 millions de dollars, soit près de 639 millions d’euros, pour l’année 2011-2012), son prix sur les marchés internationaux a chuté de plus de 20 % depuis un an.

Rentrées fiscales

Résultat, le qat, devenu le deuxième produit agricole d’exportation en 2000, continue de progresser : les quantités vendues à l’étranger sont passées de 208 tonnes en 1992 à 16 000 t en 2000 et plus de 40 000 t en 2012. « La culture du qat arrange tout le monde. Les agriculteurs gagnent mieux leur vie, la demande des consommateurs augmente et l’État en retire des rentrées fiscales », résume Atlaw Alemu. Si les contrebandiers contrôlent une partie des exportations, l’État reste en effet l’un des grands bénéficiaires de la filière, d’autant qu’une bonne part des exportations est réalisée par la compagnie nationale, Ethiopian Airlines (lire p. 63).

Cela n’empêche pas les négociants de dégager de belles marges. Suhura Ismail Khan, femme d’affaires très puissante dans le business de la feuille verte – à laquelle elle dit n’avoir jamais goûté -, a ainsi pu investir dans la création d’une petite compagnie aérienne pour exporter plus facilement vers la Somalie. En 2011, elle confiait au quotidien allemand Die Welt que, alors qu’elle venait d’être élue femme d’affaires de l’année, elle avait reçu une note d’arriérés d’impôts de 48 millions de birrs, soit près de 2 millions d’euros.