La saison des crises

Au sortir d’un hiver marqué par de graves pénuries alimentaires, le régime s’emploie, comme d’habitude, à susciter un élan de ferveur nationaliste en provoquant le frère ennemi du Sud. Cette fois, il a eu la main un peu lourde : 46 morts dans le torpillage d’une corvette.

Portrait de Kim Jong-Il exposé au War Memorial, à Séoul, le 23 Mai. © Jo Yong Hak/Reuters

Portrait de Kim Jong-Il exposé au War Memorial, à Séoul, le 23 Mai. © Jo Yong Hak/Reuters

Publié le 3 juin 2010 Lecture : 4 minutes.

« La Corée du Nord a dépassé les limites et nous la ferons payer », a annoncé, le 21 mai, Kim Tae-young, le ministre sud-coréen de la Défense. Déclarations fermes d’un côté, menaces d’une guerre généralisée et mise en alerte des troupes nord-coréennes de l’autre… Entre Séoul et Pyongyang, la tension monte. À l’origine de cette violente escalade verbale, les conclusions rendues publiques le 20 mai de l’enquête internationale sur le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan, en mars (46 morts). Le constat des enquêteurs est sans appel : « Une torpille a été tirée par un sous-marin nord-coréen, il n’y a aucune autre explication possible. » Mais Pyongyang dément toute implication et crie à la falsification de preuves.

Les États-Unis ne comptent pas rester inactifs. Pour Hillary Clinton, l’attaque de la corvette est « une provocation inacceptable de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) à laquelle la communauté internationale a le devoir de répondre ». Une condamnation internationale unanime, certes, mais à laquelle manque un acteur de poids, décisif dans le dossier nord-coréen : la Chine, qui, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a le pouvoir de bloquer le vote de nouvelles sanctions.

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Car en dépit des efforts de la secrétaire d’État américaine, de passage à Pékin les 24 et 25 mai, la Chine semble résolue à gagner du temps. Le plus fidèle allié de la RPDC se trouve en effet dans une situation paradoxale. Les liens historiques entre les deux pays remontent à la guerre de Corée (1950-1953), au cours de laquelle les troupes chinoises étaient venues en aide à celles de leur voisine. Soixante ans plus tard, le soutien de Pékin est avant tout politique et économique. Le commerce bilatéral a fortement augmenté, en volume, au cours des dernières années (près de 41 % en 2008), en raison de la détérioration des rapports entre Tokyo et Pyongyang, mais aussi du durcissement des relations internationales. Ces échanges sont vitaux pour la survie du régime de Kim Jong-il, qui importe pratiquement tout de Chine, des brosses à dents au pétrole. La Corée du Nord représente quant à elle pour son voisin un réservoir de matières premières bon marché. Et une chance économique pour les provinces pauvres de Mandchourie, grâce à toutes sortes de trafics frontaliers.

Embarras à Pékin

Sur le plan géostratégique, enfin, la Chine redoute tout autant un effondrement de la Corée du Nord que la présence à ses portes d’une Corée réunifiée, forte et nucléarisée, qui pourrait en outre exprimer des revendications sur les régions historiquement coréennes de Mandchourie. Il est vrai que les provocations récurrentes de Pyongyang la plongent dans l’embarras. Mais l’existence même de cette zone-tampon stratégique constitue à ses yeux une réponse à l’interventionnisme des États-Unis dans le dossier de Taiwan. Autant de raisons qui incitent Pékin, pris en tenailles entre sa volonté de conserver son poids sur la scène internationale et ses obligations de soutien envers son turbulent voisin, à ne pas se départir d’une certaine circonspection.

Le durcissement de ton entre les deux Corées n’est pas nouveau. Il y a un an, presque jour pour jour (le 25 mai 2009), la Corée du Nord annonçait avoir procédé, avec succès, à un second essai nucléaire. Deux jours plus tard, ne se considérant plus liée par l’armistice de 1953, elle menaçait son frère ennemi du Sud d’une attaque militaire en cas de représailles…

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En fait, les relations entre les deux pays sont marquées par le retour cyclique de phases de provocation et d’apaisement. Le printemps, époque des anniversaires de Kim Jong-il (février) et de son père, Kim Il-sung (avril), est une période propice à l’exaltation d’un nationalisme populaire mis à l’épreuve par la dureté de l’hiver et les pénuries alimentaires. C’est la saison des crises qui se poursuit jusqu’au cœur de l’été, attisée par les manœuvres militaires organisées rituellement par la Corée du Sud et les États-Unis. Ces derniers n’ont d’ailleurs pas dérogé à la règle : des manœuvres navales conjointes, incluant des exercices anti-sous-marins, ont eu lieu le 27 mai. À Pyongyang, cette stratégie de la peur s’achève généralement à l’automne avec un nouveau coup de semonce, puis un revirement à l’approche de l’hiver, juste à temps pour attirer l’aide humanitaire internationale.

Pour Kim Jong-il, âgé et malade, l’actuelle crise du Cheonan revêt néanmoins une importance nouvelle. Cette montée en puissance de la rhétorique d’affrontement est capitale afin de souder les différentes tendances du régime derrière une démonstration de force patriotique, avant, peut-être, d’annoncer dans les prochains mois le nom de son successeur. D’après des sources sud-coréennes, il devrait s’agir de Kim Jong-un, son troisième fils.

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Sauver la face

Pour l’instant, la Chine gagne du temps. Sans doute réussira-t-elle, dans la grande tradition de la diplomatie asiatique, à négocier avec Washington une condamnation mesurée de l’incident : elle n’opposera pas son veto à l’adoption de nouvelles sanctions, mais interviendra aussitôt auprès de Pyongyang afin de calmer le jeu et d’obtenir que la Corée du Nord regagne la table des négociations sur la dénucléarisation de la péninsule, en échange d’un assouplissement immédiat des sanctions. Rappelons que les résolutions de l’ONU votées au lendemain des essais nucléaires de 2006 et 2009 – et appliquées depuis sans grande conviction – n’ont eu aucun effet sur l’attitude des Nord-Coréens. Cette solution permettrait donc à tous les protagonistes de sauver la face. Et, au bout du compte, de démontrer que le chantage du Cher Leader fonctionne toujours à merveille.

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