Dans ce dossier
50 ans, 50 lecteurs, 50 regards sur J.A.
En ce temps-là, au début des années 1970, c’était l’Afrique en friche, en effervescence postcoloniale, celle des premiers coups d’État, de l’exercice solitaire, voire dictatorial, du pouvoir, de la banalisation du parti unique, l’Afrique, déjà, de la concupiscence et de la concussion. La presse – on ne disait pas encore « les médias » –, loin d’être un contre-pouvoir, était partout bâillonnée. Exit toute quête de la vérité, tout débat contradictoire, tout journalisme indépendant.
Je devais avoir 17 ans lorsque, dans la chambre d’un copain étudiant, j’entrepris de tourner une à une les pages d’un hebdo à l’appellation prédestinée : Jeune Afrique. Un article signé Jean-Pierre Ndiaye, sociologue et journaliste, traitant du Sénégal, retint mon attention et suscita grandement mon intérêt. Exerçant un rare droit à l’insolence – une nouveauté pour moi –, l’auteur dénonçait ce qu’il appelait en substance l’imposture du gouvernement de Senghor. Pour moi, jeune Sénégalais s’ouvrant à peine à la chose publique et habitué plutôt à une information aseptisée, J.A. constituait une formidable découverte mais surtout, à partir de ce moment, devenait un outil précieux et utile qui m’aiderait à mieux comprendre comment et où battait le cœur de l’Afrique, et, accessoirement, celui du monde. Les signatures me devinrent familières, comme celles de Béchir Ben Yahmed, Siradiou Diallo ou Sennen Andriamirado, entre autres, qui contribuèrent dans mon esprit à nourrir la vraie mythologie du journalisme.
Sans doute, avec le temps et l’âge, j’ai appris à faire la part des choses. Sans doute – et non sans quelque raison –, « le déni de journalisme » (l’oubli ou le choix de certains événements ou faits plutôt que d’autres) a parfois été opposé à J.A. Difficile peut-être aussi pour un organe de presse de s’affranchir de toute tutelle politique ou financière, et J.A. ne pourrait pas complètement échapper à cette réalité d’aujourd’hui. Mais, en dépit de l’époque et de ses caractéristiques, le mobile du journaliste de J.A. est doublement resté le même : la rigueur professionnelle et la passion d’un métier. Et, suprême coquetterie : le journal est bien écrit, les textes toujours harmonieux dans leur mouvement, débarrassés de toute impureté grammaticale ou syntaxique. Bon anniversaire !