Monsieur le président, cher Alpha…

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 22 novembre 2010 Lecture : 3 minutes.

Merci, tout d’abord, de ne pas t’offusquer d’un tutoiement qui, j’en conviens, ne sied guère au chef de l’État que les Guinéens se sont donné le 7 novembre dernier. Il faudra pourtant que je m’y habitue : si un jour tu reviens nous rendre visite à Jeune Afrique, ce ne sera plus en retard ou à l’improviste, après avoir déposé tes cabas à l’entrée, plaisanté avec Dione à la réception, exigé « Soudan est là ? » d’une voix de stentor, avalé un chateaubriand à la brasserie du coin et hélé un taxi pour te conduire à l’aéroport, direction Ouaga, Dakar ou Conakry. Tu seras précédé de ton protocole, accompagné de tes ministres, entouré de tes gardes du corps et à l’heure au rendez-vous – ou pas, puisque les présidents n’ont pas d’heure. Ce jour-là, sois-en sûr, le vouvoiement sera de rigueur, ta vie aura bien changé et depuis longtemps déjà, tu ne répondras plus toi-même sur ton portable – comme tu l’as encore fait ce matin.

Merci, ensuite, de t’être fait élire alors que personne ou presque à l’extérieur de la Guinée n’y croyait. Ni l’Élysée, ni les journalistes, ni ce chef d’État d’un pays voisin du tien qui m’assurait il y a peu qu’« aucun dirigeant de la FEANF n’a jamais réussi en politique ». À leur décharge : passer de 18 % au premier tour à 52 % au second, on a rarement vu cela. Certes, on me dit que, pendant la campagne, certains de tes partisans se sont laissés aller à des débordements que ton idéologie et tes convictions réprouvent. Je suis sûr, connaissant ton horreur d’un ethnocentrisme dont tu as tant souffert par le passé, qu’il ne s’agissait là que d’une simple contradiction secondaire (le marxiste que tu as été comprend de quoi il s’agit) et de l’un de ces petits accommodements avec la grande morale que tout candidat se doit de faire pour gagner. Je te fais confiance pour que ton slogan devienne réalité : « Ensemble, changeons la Guinée ».

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Merci, aussi, pour nous avoir malgré tout réconcilié avec l’essentiel, à savoir la politique. Quand un opposant aussi conséquent que toi, qui a connu l’exil, la prison, la clandestinité et la condamnation à mort, dernier représentant sur le continent d’une espèce en voie de disparition, parvient enfin au pouvoir par des voies légales, on se dit qu’il y a quelque part une morale dans ce monde de brutes. Certes, tu n’es pas un naïf, camarade Alpha, encore moins un « idiot utile », comme disait Lénine. Tu as connu la tentation des armes, tu as passé des alliances qui, sans être germano-soviétiques, n’en étaient pas moins surprenantes. Tu as pris, pour mener ton combat, l’argent où il se trouvait, c’est-à-dire auprès de chefs d’État qui n’étaient pas des modèles de vertu. Mais tu ne t’es pas enrichi, tu ne t’es jamais soumis et surtout tu ne t’es jamais compromis sur l’essentiel : ta certitude d’incarner seul la véritable rupture avec le passé.

Merci, enfin, de ce que tu vas faire, toi qui t’es donné cinq ans, l’espace d’un mandat, pour amener la Guinée en lambeaux au seuil des pays émergents. Tu aimes à citer cette phrase d’un ambassadeur américain à Conakry qui, interrogé sur la fameuse immaturité démocratique de l’Afrique, répondait ceci : « Nous avons instauré la démocratie dans mon pays quand nous n’avions ni école, ni route, ni même un minimum de tissu économique. La démocratie est une question de volonté. » Monsieur le président démocratiquement élu : ta volonté a permis de réussir ce rendez-vous avec ton destin que tu attendais depuis si longtemps. Mais sache qu’au regard des attentes immenses de tes dix millions de compatriotes ton séjour de vingt-neuf mois dans les geôles de Lansana Conté pourra parfois t’apparaître comme une sinécure. Tu es au pied d’un mur à reconstruire. Merci d’en être le maçon.

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