Subventions : Pourquoi l’Afrique doit s’en débarrasser

Peu ciblées, les mesures de contrôle des prix profitent trop souvent aux ménages aisés. Coûteuses, elles creusent les déficits. Les bailleurs de fonds appellent à les remplacer par des aides sociales directes.

Les subsides alimentaires coûtent plus de 4 milliards d’euros à l’État égyptien. © Mahmoud Khaled/Demotix/Corbis

Les subsides alimentaires coûtent plus de 4 milliards d’euros à l’État égyptien. © Mahmoud Khaled/Demotix/Corbis

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 13 juin 2013 Lecture : 6 minutes.

Antoinette Sayeh et Masood Ahmed n’ont plus que ces mots à la bouche : réforme des subventions. Depuis quelques mois, la directrice du département Afrique du Fonds monétaire international (FMI) et, dans une moindre mesure, son alter ego pour le Moyen-Orient et l’Asie centrale (qui supervise l’Afrique du Nord) sillonnent le continent pour prêcher ce qui est devenu la bonne parole des bailleurs de fonds. Jugées globalement inefficaces, les subventions sur les produits énergétiques et agricoles ont plombé les déficits d’États qui, jusqu’à la crise financière de 2008, avaient largement amélioré leurs marges budgétaires. En Angola, les seules aides aux prix de l’électricité et de l’essence représenteraient 8 % du PIB. Au Cameroun, celles accordées dans le secteur de l’énergie ont coûté 944 milliards de F CFA (1,4 milliard d’euros) en quatre ans, soit 7,3 % du PIB, au lieu des 333 milliards budgétés.

Autant d’argent que les États pourraient investir dans la santé ou l’éducation. Mais la suppression de ces subsides est plus aisée à recommander qu’à mettre en oeuvre. Comme d’autres pays avant lui, le Nigeria en a fait l’amère expérience l’année dernière. Confronté à une explosion du coût des subventions, passé de 1,3 % du PIB en 2006 à 4,7 % en 2011, le gouvernement avait décidé de répercuter la hausse des cours du pétrole sur les prix à la pompe, faisant grimper ceux-ci de 114 %. Après une semaine de quasi-insurrection, les autorités avaient dû faire en partie machine arrière : « Le Nigeria a augmenté les prix du carburant de 50 % l’an dernier, mais la subvention reste en place », résume Victor Lopes, économiste chez Standard Chartered. Dans le reste de l’Afrique, la situation n’est guère meilleure. Engluée depuis deux ans dans le marasme économique, la Tunisie a ainsi ajouté plusieurs produits à une liste de biens subventionnés déjà longue.

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Des subventions à la dérive

– L’État camerounais ne versant pas à la Sonara les sommes dues au titre des aides sur l’essence, la société avait accumulé 335 millions d’euros d’arriérés fin 2012.
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– Pour profiter du différentiel de prix, 12 millions de litres de lait subventionné auraient été illégalement exportés de Tunisie vers la Libye l’hiver dernier.
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Vulnérables

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« Étant donné la forte prévalence de la pauvreté dans de nombreux pays africains, analyse l’agence de notation Standard & Poor’s, des augmentations des prix des biens essentiels peuvent déclencher des troubles civils. Le plafonnement de ces prix via les subventions aide ainsi à maintenir la paix. » Ces aides ont en effet servi à limiter les conséquences de la flambée des prix internationaux, notamment sur les taux de pauvreté. Difficile d’oublier qu’entre janvier 2010 et décembre 2011 le prix du baril d’or noir (brent) a flambé de 37 %. Et qu’entre mi-2010 et mi-2012 celui du blé a quasiment doublé. Des évolutions brutales, insupportables pour des populations vulnérables. D

‘ailleurs, ce que critique aujourd’hui le FMI – et avec lui l’immense majorité des bailleurs – n’est pas l’objectif de ces politiques (protéger les plus pauvres) mais les méthodes employées. Selon les évaluations du Fonds, les 20 % de ménages africains les plus riches sont en effet les premiers bénéficiaires des aides sur les produits énergétiques, dont ils touchent près de la moitié. « Pourquoi subventionner les riches ? Mieux vaut élaborer, et ce n’est pas compliqué, des subventions qui s’adressent réellement à ceux pour qui c’est utile et mobiliser les importantes économies ainsi réalisées pour investir dans l’éducation, la santé, l’agriculture, la jeunesse, entre autres », soulignait récemment Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement (BAD), dans une interview à Jeune Afrique. L’essentiel des subventions en Afrique subsaharienne va ainsi au secteur de l’électricité alors que « seuls 30 % des ménages sont connectés au réseau », estime le FMI…

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Autre problème pointé du doigt : les abus et détournements massifs. Au Nigeria, les subventions à l’essence ont ainsi donné naissance à un vaste trafic avec les pays voisins, où les prix sont plus élevés. Ces pratiques, et d’autres, auraient coûté plus de 5 milliards d’euros à l’État entre 2009 et 2011, selon un rapport parlementaire. Et la première économie ouest-africaine est loin d’être la seule concernée.

Les évolutions tardent

De fait, « plusieurs administrations africaines, comme celle du Maroc, semblent avoir des plans pour supprimer les subventions générales des prix [et favoriser des] dépenses d’aide sociale mieux ciblées sur les groupes les plus vulnérables », confirme Standard & Poor’s. Nizar Baraka, le ministre de l’Économie et des Finances du royaume chérifien, envisage ainsi de réactiver un système gelé depuis plus d’une décennie : réajuster à la hausse les prix des produits pétroliers dès que le baril franchit un certain seuil sur les marchés internationaux. La réforme de la Caisse de compensation, qui gère la politique de subventions et absorbe près de 20 % du budget national, est sur la liste du gouvernement. Mais en dehors de quelques aménagements l’an dernier, les évolutions tardent et, pendant ce temps, les comptes publics continuent de se détériorer, avec un déficit estimé à 7,1 % du PIB en 2012.

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Maroc : le débat sur les coupes budgétaires continue

Pourtant, les lignes des réformes à mener sont claires : évaluer les bénéfices et les coûts des subventions, communiquer massivement sur le sujet, réduire les subventions de manière progressive en commençant par les moins sensibles politiquement et mettre en place des aides sociales directes permettant de compenser la libéralisation des prix pour les populations les plus pauvres. La réussite de certains pays, comme le Brésil avec son programme Bolsa Família, montre le chemin. Brasília a mis un terme progressivement à sa politique de subventions en atténuant les conséquences les plus dommageables de cette évolution grâce à des bons d’essence et à des transferts sociaux. Le Kenya fut quant à lui avant-gardiste en élaborant, il y a une décennie, sa politique tarifaire évolutive dans le domaine de l’électricité : les clients consommant peu (a priori les moins aisés) paient beaucoup moins cher le kilowattheure. La réforme a permis de rétablir l’équilibre des sociétés exploitantes, d’augmenter les investissements et donc d’améliorer le service.

Avec la baisse des prix du pétrole et la modération relative de ceux des denrées, les autorités africaines voient s’ouvrir une fenêtre pour commencer à substituer aux subventions un système d’aides sociales ciblées. Le Ghana vient ainsi d’augmenter sans heurt les prix des carburants, avec des hausses entre 15 % et 50 %. Le pire aujourd’hui serait que les décideurs attendent une nouvelle flambée des prix internationaux pour réformer à la va-vite et sous la contrainte. Avec le risque d’un embrasement social général.

« Il y a eu des réformes réussies »

Raleigh PatrickPatrick Raleigh, analyste crédit chez Standard & Poor’s, collaborateur de l’équipe chargée de la notation des États africains, pointe les faiblesses du système.

Jeune Afrique : Les pays subsahariens et ceux du nord du continent font-ils face aux mêmes difficultés ?
Patrick Raleigh : Dans un passé récent, peu de pays subsahariens ont autant dépensé en subventions pour les produits énergétiques que l’Égypte et, dans une moindre mesure, le Maroc et la Tunisie. La raison ? Le contexte social qui prévaut depuis le début du Printemps arabe et qui a rendu les gouvernements plus enclins à répondre aux demandes populaires. En revanche, les revenus sont en général beaucoup plus faibles au sud du Sahara qu’au nord. On y trouve donc plus de ménages qui dépendent fortement des subventions, une situation qui peut rendre les gouvernements plus réticents à les supprimer.

Les aides les plus contestées sont celles portant sur l’énergie. Des pays ont-ils réussi à les réformer sans déclencher de contestations d’ampleur ?
La réforme des subventions énergétiques n’est pas facile et peut donner lieu à une opposition farouche, comme on l’a vu au Nigeria en 2012. Mais il y a aussi eu des réussites, en Afrique comme ailleurs. Par exemple, au cours des deux dernières décennies, le Brésil et l’Ouganda ont coupé leurs subventions énergétiques sans subir de grandes perturbations sociales.

Les subventions peuvent aussi être vues comme un outil de politique économique permettant de promouvoir les investissements dans certaines activités…
Bien sûr ! Celles sur les engrais, très répandues, peuvent avoir pour conséquence directe d’améliorer les récoltes. Et certains États subventionnent le fioul industriel dans l’espoir de doper la croissance. Mais la question est de savoir si cela constitue le moyen le plus efficace de promouvoir l’activité économique, ce qui n’est pas du tout certain dans bien des cas. Pour nous, ce qui compte, c’est l’impact sur le PIB par habitant et sur la croissance économique, car il s’agit de facteurs importants dans la notation souveraine.

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