Présidentielle au Cameroun : Douala, la frondeuse déclassée

Douala, la plus grande ville du Cameroun, épicentre historique de la contestation politique, court après son lustre perdu. Reportage.

La plus grande ville camerounaise est en pleine déprime. © AFP

La plus grande ville camerounaise est en pleine déprime. © AFP

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Publié le 12 octobre 2011 Lecture : 8 minutes.

Présidentielle camerounaise : Paul Biya, jusqu’à quand ?
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Présidentielle camerounaise : Paul Biya, jusqu’à quand ?

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Douala, le 18 septembre dernier. À l’entrée de l’aéroport, plusieurs centaines de jeunes sont agglutinés derrière des barrières de sécurité gardées par des policiers visiblement désabusés. En dépit du filtrage, on compte presque autant de personnes à l’intérieur du bâtiment qu’à l’extérieur. Les espaces réservés aux voyageurs fourmillent d’un monde dépenaillé vaguement inquiétant, d’une masse grouillante qui discute, s’égosille, s’apostrophe, va et vient sans but sous la chaleur poisseuse. Ici, tout se vend et s’échange sous le manteau, de la joaillerie aux devises, en passant par des cadenas de bagagerie, des cartes à puce destinées aux téléphones mobiles…

L’économie de la débrouille, qui a proliféré après les « villes mortes » durant la crise politique des années 1990, a eu raison du lustre de cette belle infrastructure, rongée par l’humidité, avec ses murs noircis, ses passerelles branlantes et désaffectées… Des travaux de réhabilitation sont en cours, mais ils aggravent l’inconfort des lieux. Ancienne handballeuse dont la carrière s’est prématurément arrêtée pour cause de grave blessure, Armelle passe une bonne partie de ses journées dans cette cour des miracles. Plus jeune, elle rêvait de jouer dans un championnat professionnel européen. Mais, à 30 ans, elle n’a jamais exercé d’activité salariée et vend des bijoux fabriqués par un associé sénégalais qui la rémunère à la commission. « Je fais partie de la génération sacrifiée », se plaint-elle, fataliste.

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Avec plus de 2,5 millions d’habitants, dont la moitié est âgée de moins de 20 ans, la plus grande ville camerounaise – et de toute la sous-région – est en pleine déprime. Douala court après une prospérité qu’elle désespère de retrouver. Son économie ne crée pas assez d’emplois, tandis que sa démographie croît à un rythme soutenu. Ainsi, 22 % des jeunes sont au chômage. Les centaines de diplômés formés par son université d’État, créée en 1993, vivent d’expédients, la majorité enfourchant une moto-taxi pour survivre.

En août dernier, l’unité d’hémodialyse de l’hôpital général de la ville a annoncé qu’elle ne recevrait plus de patients.

Avec son développement anarchique, ses routes sans trottoirs, ses façades lépreuses, ses bars qui vendent du whisky frelaté en sachets, ses prostituées, ses nombreux guichets de paris équestres… Douala souffre, Douala s’enivre, Douala s’oublie. Le dernier cinéma, lui, a fermé en janvier 2009. Et sans soutien, les deux musées pourraient bien subir le même sort. Un hôpital de 750 lits, spécialisé dans la prise en charge de la mère et de l’enfant, est en cours de construction, mais les ­services sociaux sont globalement miséreux. En août dernier, l’unité d’hémodialyse de l’hôpital général de la ville a annoncé qu’elle ne recevrait plus de patients. Sa capacité d’accueil est saturée.

Certes, le gouvernement a accordé au groupe nigérian Dangote l’autorisation de construire dans la zone industrielle une cimenterie de 52 milliards de F CFA (environ 79 millions d’euros) et d’une capacité de production de 1,2 million de tonnes par an. Le projet d’un deuxième pont sur le Wouri, dont les eaux limoneuses séparent le centre-ville de la zone industrielle, est également sur le point de démarrer. Mais les véritables grands projets miniers, infrastructurels et agro-industriels annoncés sont localisés dans d’autres régions du pays. Le port en eau profonde de Kribi (Sud), dont les travaux devraient s’achever en 2013, va fatalement détourner l’essentiel du trafic de marchandises traitées aujourd’hui sur les quais de Douala, asphyxiant davantage le futur ex-poumon économique du pays. Même la compagnie Aluminium du Cameroun (Alucam), contrôlée par Rio Tinto Alcan, basée dans la ville voisine d’Édéa, va bientôt se détourner du port de Douala pour celui de Kribi. Pour l’instant, la trésorerie générale de Douala, qui centralise les recettes publiques de la région, expédie chaque jour un peu plus de 1 milliard de F CFA (1,5 million d’euros) dans les coffres du ministère des Finances, à Yaoundé. Jusqu’à quand ?

Opposition

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Chômage, sous-emploi, pauvreté, mal-vie sont les ingrédients qui ont déclenché les émeutes de la faim en février 2008, dont la répression a fait quarante morts, selon le décompte du gouvernement. Épicentre historique de la contestation politique au Cameroun, « Douala la frondeuse » pourrait encore mériter sa réputation en cette année électorale. « Une seule étincelle et vous verrez des hordes de moto-taximen en colère mettre à sac les services publics, incendier des entreprises, tout casser… », prévient Alphonse, huissier de justice à Bonanjo, le quartier des ministères. De fait, les coups de feu tirés par un groupe armé, le 29 septembre, sur le pont du Wouri, micro-incident qui a déclenché une véritable psychose dans la capitale économique, témoignent de cette tension palpable à l’approche de la présidentielle.

« Quand Yaoundé respire, le Cameroun vit », avait lancé Paul Biya au visage de ce fief de l’opposition lors de la campagne présidentielle de 1992. Depuis, le fossé a semblé se creuser entre les deux métropoles rivales. « La fracture entre l’élite politique ou administrative fortunée et le pays réel est frappante », estime Pierre Abanda Kpama, chef d’entreprise à Douala et président du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem), qui soutient la candidature d’Anicet Ekanè. Pis, l’antienne du « tous pourris » est devenue le moteur de l’abstention : plus de 70 % des personnes inscrites ne sont pas allées voter lors des législatives et municipales de 2007, faute d’alternative crédible. Incapable de régler ses querelles de leadership, l’opposition s’est présentée une fois encore en rang dispersé à la présidentielle du 9 octobre. Albert Dzongang, représentant de la Dynamique pour la renaissance nationale, s’était dit prêt à se désister pour un concurrent mieux placé. Finalement, il y est allé. Au final, combien de prétendants narcissiques ont accepté de renoncer ? Pas John Fru Ndi, qui n’envisageait de candidature unique de l’opposition qu’autour de sa personne.

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Les divisions de l’opposition sont l’une des causes de la démobilisation de l’électorat. Aux législatives de 2007, la ville ne comptait « que » 621 000 personnes inscrites sur les listes électorales. Pour cette présidentielle, Elections Cameroon (Elecam) a enregistré quelque 200 000 nouvelles inscriptions. Pourtant, au moins six des vingt-trois candidats sont de Douala, dont le député Jean-Jacques Ekindi, ­l’UPCéiste marxisant Anicet Ekanè, le dissident Albert Dzongang, la femme d’affaires Édith Kah Walla, mais aussi l’avocat Jean de Dieu Momo, qui se battit en vain pour faire condamner une dizaine de militaires soupçonnés en 2001 d’avoir exécuté sans jugement neuf jeunes du bidonville de Bépanda.

Le candidat rêvé, c’était le cardinal Christian Tumi, dont la popularité et le charisme auraient pu susciter l’engouement des foules.

Le candidat rêvé, c’était le cardinal Christian Tumi, dont la popularité et le charisme auraient pu susciter l’engouement des foules. L’archevêque émérite de 81 ans a résisté à ceux qui, depuis des années, le pressent de ranger sa mitre d’ecclésiastique engagé pour se lancer à la conquête de l’orgueilleux palais d’Etoudi. Il n’a pas cédé aux appels pressants et a même refusé de siéger au conseil d’Elecam, gardant ses distances avec l’ensemble du processus électoral. Mais il pourrait bientôt sortir de son silence.

Paul Biya joue donc sur du velours. Avantage du sortant, il a longtemps tenu secrète la date du scrutin, avant d’accélérer brutalement le tempo, laissant à ses rivaux moins d’une semaine pour confectionner et déposer leurs dossiers de candidature. Néanmoins, « rien n’est gagné d’avance », veut croire Abanda Kpama car « les millions de diplômés de moins de 40 ans qui sont au chômage à travers le pays ne voteront pas Biya ».

Grimace des patrons

De fait, le président sortant sait qu’il ne peut compter sur les voix de la métropole économique. Aussi dans cette élection à un seul tour a-t-il intérêt à faire carton plein dans les régions qui lui sont favorables, à savoir le Centre, le Sud, l’Est, mais aussi les trois provinces du Grand Nord, fief de son allié Bello Bouba Maïgari, de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP). Pour éviter un émiettement des voix, il a demandé et obtenu que Bello, ministre d’État sans discontinuer depuis décembre 1997, renonce à se présenter. « L’épidémie de choléra qui a causé plusieurs centaines de morts en 2010 dans ces trois provinces a cristallisé un profond ressentiment des populations à l’égard du pouvoir », explique Saïdou Maïdadi, vice-président de l’Alliance des forces progressistes (AFP), qui soutient la candidature de Bernard Muna. « Pas question ! Nous devons présenter un candidat face à Biya », a tonné, lors du congrès tenu début septembre, une partie de l’UNDP, troisième parti du pays en nombre de suffrages exprimés tous scrutins confondus. Confronté à la fronde de ses camarades, le leader peul a alors appelé à la rescousse René Emmanuel Sadi et Grégoire Owona, les dirigeants du parti présidentiel, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Ils ont pris la parole pour calmer les esprits et assurer que l’accord de gouvernement liant les deux formations politiques serait reconduit après l’élection.

L’idée communément admise est que Biya va rempiler pour un ultime septennat, mais qu’il n’ira pas au bout de son mandat.

Au sein des grandes entreprises, majoritairement basées à Douala, les patrons font aussi la grimace. Pour eux, ces petits arrangements politiciens n’augurent pas d’une nouvelle dynamique, car ils sont la principale cause de l’inertie qui grippe l’activité économique. L’idée communément admise, qui se murmurait même jusque dans les couloirs du congrès du RDPC, les 15 et 16 septembre dernier, est que Biya va rempiler pour un ultime septennat, mais qu’il n’ira pas au bout de son mandat.

Dans la perspective de cette succession attendue, les places sont chères. Coup de tonnerre, Françoise Foning, la puissante maire du 5e arrondissement de Douala, a ainsi été recalée du bureau politique. On a soupçonné René Emmanuel Sadi d’avoir manœuvré pour placer ses fidèles. « Le président Biya nous a demandé de conforter les personnalités déjà en poste et de récompenser et promouvoir celles qui ont travaillé. Notre travail n’a d’autre finalité que la victoire de Paul Biya », assure Dieudonné Oyono, universitaire et conseiller de Sadi.

Cette agitation politicienne n’a pas l’air de concerner Armelle, qui veut coûte que coûte quitter le pays. « Cette année, ils ont promis de recruter 25 000 jeunes dans la fonction publique. Avec 300 000 candidatures enregistrées, quelles sont mes chances ? Il n’y a pas d’avenir ici. »

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