Algérie : Abdelaziz Bouteflika, à pas comptés

Si l’Algérie est resté en marge du Printemps arabe, le pouvoir a senti le vent du boulet. En réponse au mécontentement populaire, le chef de l’État Abdelaziz Bouteflika a lancé un processus de réformes. À son rythme, et dans la concertation. Avec prudence, comme d’habitude.

Le président n’est pas trop remis en cause par les critiques, le « système », lui, oui. © Fayez Nureldine/AFP

Le président n’est pas trop remis en cause par les critiques, le « système », lui, oui. © Fayez Nureldine/AFP

Publié le 15 novembre 2011 Lecture : 6 minutes.

L’Algérie va-t-elle vraiment changer ?
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L’Algérie va-t-elle vraiment changer ?

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Réseaux sociaux, Facebook ou Twitter, et médias traditionnels, des plus sérieux aux tabloïds, nationaux ou étrangers, se sont longuement interrogés sur les capacités de résistance du pays d’Abdelaziz Bouteflika aux vents révolutionnaires qui soufflent sur le monde arabe. Chancelleries et officines, spécialistes de l’Algérie et éditorialistes plus ou moins avisés ont abondamment commenté cette absence de contagion, épargnant un État que l’on disait, avec une étonnante légèreté, fragile. Cela dit, le « système » algérien a pris bonne note de l’actualité régionale. En janvier 2011, deux coups de semonce l’ont sorti d’une douce léthargie institutionnelle et du confort douillet qu’assure l’opulence du Fonds de régulation des recettes, où s’accumulent les surplus des revenus pétroliers (un bas de laine estimé à près de 48 milliards d’euros fin 2010), et d’une réserve de change de 174 milliards de dollars (121 milliards d’euros). Première alerte, le 5 janvier. Des émeutes contre la cherté de la vie embrasent Bab el-Oued, quartier populaire de la capitale, puis s’étendent au reste du territoire, plongeant dans le chaos 20 des 48 wilayas (préfectures) du pays, livrées aux casseurs et aux pilleurs. Mais le mouvement ne fédère pas. Pis : il provoque le désaveu populaire.

Le pouvoir n’a pas le temps de profiter de ce retour au calme. Le 14, l’impensable arrive : le peuple tunisien contraint son dictateur, Zine el-Abidine Ben Ali, à la fuite. Les certitudes sont ébranlées et les sphères décisionnelles s’accordent sur la nécessité d’un changement. Le président Abdelaziz Bouteflika prend la mesure de l’ampleur du séisme. Le 3 février, il convoque un Conseil des ministres pour répondre aux « inquiétudes et impatiences » de la population. Dans la foulée, il annonce la levée de l’état d’urgence, en vigueur depuis près de deux décennies, et son intention d’introduire « des réformes politiques visant à consolider la pratique démocratique ».

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Une partie de l’opposition, emmenée par le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, de Saïd Sadi) et quelques organisations de la société civile, tente d’imposer le changement par la rue. Mais la faiblesse de la mobilisation a raison des velléités révolutionnaires, car opinion et classe politique sont d’accord sur un point : « Si changement il doit y avoir, autant qu’il se fasse de manière ordonnée et pacifique, affirme Me Miloud Brahimi, ancien président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme. La violence et l’instabilité ? Ici, les gens estiment avoir déjà donné. »

Affaibli

Dans son adresse au peuple algérien, la première depuis plus de cinq ans, Abdelaziz Bouteflika détaille, le 15 avril, la feuille de route des profondes réformes qui devraient renforcer la pratique démocratique. Mais ce jour-là, plus que le contenu du discours, c’est l’image et le son de la retransmission qui traumatisent l’opinion. Le chef de l’État apparaît physiquement affaibli, sa voix est quasi inaudible, le verbe hésitant. Incarnation de la diplomatie flamboyante des années Boumédiène avant de devenir le bâtisseur de ce début de millénaire et l’artisan de la réconciliation nationale, Boutef est donc cet homme en apparence diminué. Celui qui avait promis, un jour, de transmettre le pouvoir aux générations postindépendance – sa génération à lui, qui a mené la guerre de libération, instrument suprême de légitimation, est toujours en place – donne l’impression d’avoir entamé le processus de réformes sous la pression d’une santé précaire plus que d’une quelconque menace de contagion révolutionnaire. Quelques voix s’en émeuvent, évoquant une situation d’empêchement. Mais là non plus, l’opinion ne suit pas.

Le rapport des forces au sein de la sphère politique, dominée par une large majorité présidentielle face à une opposition fortement divisée, et l’absence de remise en cause, dans l’opinion, de la personne de Boutef – les critiques visant essentiellement le « système » – emportent les réticences exprimées par quelques titres de la presse indépendante.

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En deux temps

Malade ou pas, affaibli ou non, Abdelaziz Bouteflika impose « ses » réformes au rythme que ce chantre de la prudence et de la méthode des pas comptés juge compatible avec « les grands équilibres ». Au gouvernement, il confie l’élaboration de trois lois organiques concernant le régime électoral, le statut des partis politiques et la place de la femme dans les instances élues. En outre, l’exécutif est chargé de préparer des projets de lois relatifs au mouvement associatif, pour renforcer la démocratie participative, et aux incompatibilités avec le mandat de parlementaire, ainsi qu’un projet de révision du code de la wilaya, pour réformer la gestion locale des territoires et circonscriptions.

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Un nouveau code de l’information dépénalisant les délits de presse et ouvrant l’espace audiovisuel au secteur privé – sans doute l’aspect le plus spectaculaire des réformes, avec la levée de l’état d’urgence – est par ailleurs concocté par l’équipe du Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Ces textes figurent sur l’agenda de l’actuelle législature ; autrement dit, ils devraient être votés avant mars 2012.                                                                                                                                                         Une manifestation à Alger, le 26 mars.(crédits AFP)

Quant à la « mère des réformes », la révision de la Constitution, le calendrier fixé par Abdelaziz Bouteflika la met au programme de la future Assemblée populaire nationale (APN, Chambre basse du Parlement), qui devrait être élue en mars 2012 selon le nouveau régime électoral (supervision du scrutin par des magistrats en lieu et place de l’administration jugée partiale, urnes transparentes et observateurs étrangers).En procédant de la sorte, Abdelaziz Bouteflika désamorce les critiques. Une grande partie de la classe politique, allant des nationalistes du Front national algérien (FNA, de Moussa Touati) aux trotskistes du Parti des travailleurs (PT, de Louisa Hanoune), en passant par les islamistes d’El-Islah, juge en effet l’actuelle APN illégitime, car les législatives de 2007 avaient été entachées de fraudes à grande échelle. « Une telle assemblée n’est pas qualifiée pour mener des réformes de cette importance », dénonce Louisa Hanoune, qui siège elle-même à l’APN.

Par ailleurs, la revendication d’une Assemblée constituante, portée depuis des lustres par le Front des forces socialistes (FFS, de Hocine Aït Ahmed) et par le PT, revient au goût du jour. Le cheminement de la révolution tunisienne n’y est pas étranger. Bouteflika juge le procédé quelque peu risqué et esquisse les limites que ne doit pas franchir le législateur algérien : le caractère républicain de l’État, le triptyque composant l’identité nationale (islamité, arabité et amazighité), le multipartisme, les droits de l’homme et l’intégrité du territoire national. Quant à la question de la laïcité, elle est évacuée par le maintien de l’article 2 de l’actuelle Constitution : « L’islam est la religion de l’État. » Tout le reste est susceptible de révision.

La méthode Boutef se singularise par une concertation tous azimuts : consultations avec la classe politique et des personnalités nationales à propos de la révision de la loi fondamentale, états généraux de la société civile, assises régionales pour le développement local et organisation de la démocratie participative orchestrées dans tout le pays par le Conseil national économique et social (Cnes). « Nous ne voulons pas que le pouvoir organise le débat, nous voulons qu’il le permette, atténue Mokrane Aït Larbi, ex-sénateur et opposant de toujours. La méfiance entre gouvernés et gouvernants est telle que toute initiative de l’exécutif est systématiquement sujette à caution. » Pourtant, les débats régionaux s’avèrent d’une extrême utilité et les échanges, le plus souvent vifs, sont retransmis au JT de 20 heures, grand-messe de l’information quotidienne.

MIni-constituante

Pendant ce temps, au Parlement, les partis de la majorité tentent d’édulcorer les textes en introduisant des amendements, par exemple pour que le quota envisagé de femmes candidates lors des scrutins de listes soit inférieur à 30 %, ou pour limiter les cas d’incompatibilité avec le mandat parlementaire. Quant à la « mère des réformes », après les consultations menées par Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la nation (Sénat), du 21 mai au 21 juin, un rapport reprenant toutes les propositions d’amendement à la Constitution a été soumis en juillet à Abdelaziz Bouteflika qui devrait le transmettre, à son tour, à une commission de juristes chargés d’émettre des recommandations. Le texte né de ce processus constituera la priorité de la future APN qui a, d’ores et déjà, des allures de mini-Assemblée constituante.

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