RDC : Joseph Kabila peut-il perdre les élections ?

Le bilan de Joseph Kabila est plus que mitigé, mais il affiche sa certitude d’être réélu. Fort du contrôle de l’appareil d’État, le président sortant de la RDC ne court guère de risque lors du scrutin à un seul tour du 28 novembre. D’autant que ses adversaires, divisés, lui facilitent la tâche.

Le président de la RDC, Joseph Kabila le 18 octobre 2011 à Kinshasa. © AFP

Le président de la RDC, Joseph Kabila le 18 octobre 2011 à Kinshasa. © AFP

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Publié le 22 novembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Présidentielle et législatives 2011 en RDC
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Présidentielle et législatives 2011 en RDC

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« Le peuple est dans la misère… Est-ce que cette population va effectivement nous reconduire ? Je crois bien que oui. Le peuple n’est pas dupe. » De sa voix un peu nasillarde, mi-désinvolte mi-métallique, l’air comme ça de ne pas y toucher, Joseph Kabila Kabange, président de la RDC, 40 ans, prononce parfois des phrases incroyables. Celle-là a été dite le 18 octobre à Kinshasa, lors d’une conférence de presse de près de trois heures au cours de laquelle le candidat à sa propre succession est apparu sûr de sa victoire et maître de ses nerfs, si ce n’est toujours de ses mots. 

Il ne s’engage sur rien, joue volontiers sur la fibre nationaliste et berce ses compatriotes du doux refrain de la richesse potentielle.

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Car tout est dans cet aveu : le constat d’échec et la certitude qu’il ne sera pas sanctionné le 28 novembre prochain dans les urnes opaques de la République démocratique du Congo (RD Congo). Cet homme étrange et complexe, au pouvoir depuis une décennie, a-t-il les moyens de son assurance ? Bilan mis à part, c’est une évidence. Dans le cadre d’une élection à tour unique et face à une opposition divisée, le sortant – on l’a une fois de plus vérifié au Cameroun – est toujours le vainqueur. Si l’on ajoute à cela l’écrasante disproportion des moyens financiers dont bénéficie le pouvoir en place, lequel maîtrise en outre la violence légitime de l’État (armée, police), les polémiques sur le degré de dépendance et d’impréparation de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), que dirige le controversé pasteur Daniel Ngoy Mulunda, paraissent presque anecdotiques.

Convaincu de sa victoire à la présidentielle (« là où je suis sûr, dit-il, c’est que je ne vais pas perdre ») dans un pays où la transparence électorale n’a guère progressé depuis la précédente consultation, en 2006, Joseph Kabila est sans doute moins confiant dans le résultat des législatives, autre enjeu de ce 28 novembre. Le chef de l’État peut certes – et il ne s’en prive pas – se targuer d’un taux de croissance de plus de 7 % en 2010, d’une inflation contenue en dessous des 10 % et d’un point d’achèvement de l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) atteint de haute lutte. Il peut aussi aligner les kilomètres de route réalisés dans le cadre de ses grands chantiers et rappeler à chaque occasion, « n’en déplaise à ceux pour qui il fait nuit même en plein jour », dans quelle situation se trouvait la RDC quand il fut parachuté à son sommet, un jour de janvier 2001. Ce lourd passif initial est d’ailleurs la seule aune à laquelle il accepte d’être jugé : « On a perdu une quarantaine d’années, expliquait-il le 18 octobre. Tout ce qu’on est en train de faire, c’est de rattraper le temps perdu. »

"Etoile polaire"

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Le très long discours-programme prononcé le 14 septembre par le fils du « Mzee » sous un chapiteau dressé dans sa résidence de gentleman-farmer de Kingakati-Buene, à 80 km de Kinshasa, est à cet égard éclairant. En guise de projet, une vision, celle de la « révolution de la modernité » qui transformera le Congo en « pays de référence à forte croissance » en 2030 et en… « puissance mondiale » en 2060. Via l’éducation, l’apprentissage de la citoyenneté et la création d’« incubateurs d’excellence » aux contours indéfinis, l’éléphant couché de l’Afrique centrale deviendra enfin cette « maison au sommet de la montagne », cette « étoile polaire dans la constellation des nations ». Tel Moïse guidant son troupeau vers la Terre promise, Joseph Kabila n’hésite pas à endosser le verbe d’un pasteur évangélique pour séduire un peuple qui, depuis l’indépendance, vit constamment dans le rêve de ce qu’il pourrait être et le scandale quotidien de ce qu’il est.

Le programme du candidat Kabila est à la fois flou et habile. Il ne s’engage sur rien, joue volontiers sur la fibre nationaliste et berce les Congolais du refrain entêtant de la richesse potentielle dont chaque citoyen se sent le propriétaire légitime. Lorsqu’il évoque les pharaons et leurs pyramides pour jurer qu’il réalisera l’extension du barrage d’Inga – « le grand Inga » –, le message qu’il envoie à ses compatriotes est clair : avec moi, vous serez maîtres de votre destin. La recette est connue, Mobutu l’ayant usée jusqu’à la corde. Mais elle marche encore, aussi simple que l’espoir, ce fondement essentiel sur lequel repose la volonté des Congolais de vivre ensemble. Une posture qui présente en outre l’avantage d’éviter de s’expliquer face à l’impitoyable bilan des chiffres et des classements.

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Un pays qui stagne

Au bord du gouffre il y a une décennie, la RD Congo y est toujours. La progression, réelle, du PIB par habitant masque mal l’inquiétante stagnation des indicateurs sociaux. Le pays que dirige Joseph Kabila est le dernier au classement de l’indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), le 178e (sur 183) dans celui du rapport « Doing Business » (facilité de faire des affaires) de la Banque mondiale, et occupe le 164e rang (sur 178) de celui de Transparency International (indice de perception de la corruption). On y vit en moyenne neuf ans de moins qu’au Congo-Brazzaville, sept de moins qu’au Rwanda, six de moins qu’au Niger, près de trois ans de moins qu’en Somalie, deux de moins qu’au Burundi. La durée moyenne de scolarisation, toujours selon le rapport 2011 du Pnud, y est de trois ans et demi, et le revenu national brut par habitant est à peine supérieur à celui du Liberia, infiniment moins bien doté. Comment est-il possible que, en dépit de la stabilisation politique acquise depuis la présidentielle de 2006, la RDC n’ait pu améliorer aucun de ces chiffres, allant même jusqu’à régresser pour les classements IDH et « Doing Business » ?

Pourquoi, près de onze ans après l’accession au pouvoir de Joseph Kabila, le principal défi demeure-t-il la reconstruction de l’État, et le principal handicap, l’absence généralisée d’esprit civique jusqu’au sommet de ce même État ? Fort du soutien résigné, faute de mieux, de la communauté des bailleurs de fonds et de l’appui intéressé de la Chine, le fils du « Mzee » peut se permettre de faire peu de cas de ses voisins avec qui il entretient des relations défiantes – y compris l’Afrique du Sud –, et dont certains ont secrètement soutenu tel ou tel de ses concurrents.

Aucune des personnalités qui se présentent contre lui n’ayant réussi à faire abstraction de son ego pour permettre à la mieux placée d’entre elles de jouer la seule carte qui puisse le mettre en danger – celle du candidat unique –, Joseph Kabila Kabange n’aura sans doute pas, cette fois-ci, à justifier de ses propres responsabilités dans ce naufrage social permanent. Le Titanic qu’est la RDC va donc vraisemblablement continuer sa route. Avec le même capitaine.

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