Elikia M’Bokolo : « Un vrai chef d’État n’a ni amis ni famille »

Une mauvaise communication et une politique de « tolérance zéro » à géométrie variable : telles sont, pour Elikia M’Bokolo, historien d’origine congolaise, les principales erreurs de Joseph Kabila.

E. M’Bokolo, spécialiste du continent, est directeur d’études à l’EHESS de Paris. © Vincent Fournier pour J.A.

E. M’Bokolo, spécialiste du continent, est directeur d’études à l’EHESS de Paris. © Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 22 novembre 2011 Lecture : 4 minutes.

Présidentielle et législatives 2011 en RDC
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Présidentielle et législatives 2011 en RDC

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Jeune Afrique : En 2006, Joseph Kabila a été élu sur deux engagements : le retour à la paix en RDC et les cinq chantiers (infra­structures, eau et électricité, santé et éducation, habitat, emploi). Quel bilan tirez-vous de son mandat ?

Elikia M’Bokolo : S’il reste des poches de belligérance dans l’est du Congo, les violences meurtrières qui ont caractérisé la décennie 2000 sont en voie d’apaisement dans les autres provinces. Les efforts de l’État et de la communauté internationale ont produit des effets. Il ne faut pas, non plus, négliger un autre aspect, qui me paraît essentiel : les Congolais en ont assez de la guerre et ont compris que prendre les armes n’était pas la solution pour conquérir ou contester le pouvoir.

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Et sur les cinq chantiers ?

Il y a eu une erreur d’affichage. Il aurait été plus pertinent de retenir trois chantiers – cinq, c’est beaucoup ! – ou de tout miser sur les infrastructures, le chantier le plus visible. D’ailleurs, je remarque que les travaux d’infrastructures ont été accélérés ces deux dernières années. Est-ce que cela a été fait exprès ? En tout cas, les partisans de Kabila et une bonne partie de l’opinion estiment qu’il faut laisser le chef de l’État exécuter son deuxième et dernier mandat, selon la Constitution, pour poursuivre ce qui a été entrepris. Pour ce qui est des questions sociales, avec la croissance démographique et l’exode rural, la misère s’est développée.

L’accord conclu en 2007 avec les Chinois, portant sur 9 milliards de dollars (6,3 milliards d’euros) avant d’être ramené à 6 milliards, a fâché les partenaires traditionnels de la RD Congo, et les investissements promis par Pékin tardent à venir. Ce deal était-il une erreur ?

Beaucoup d’entreprises chinoises se sont installées ces deux dernières années. Les travaux engagés sont visibles, notamment à Kinshasa, mais les Congolais ont également l’impression qu’il y a trop de Chinois dans le pays, d’autant qu’ils ne se contentent plus des grands chantiers puisqu’ils sont aussi dans le petit commerce. Autres problèmes : ces grands chantiers devaient créer de l’emploi, or beaucoup de jeunes ont postulé en vain, et générer des transferts de technologie, ce qui n’a pas été le cas. Sur tous ces aspects, le pouvoir a très mal communiqué.

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« Revisitation » des contrats miniers, éviction de First Quantum, bras de fer entre la Gécamines et Forrest… On a l’impression que la gestion des dossiers économiques échappe aux règles de la transparence et de la libre concurrence.

Au début de son mandat, le chef de l’État avait lancé un slogan qui avait fait mouche : « tolérance zéro ». Les Congolais ont attendu que ce principe s’applique effectivement à des personnes du pouvoir. Cela n’a pas été le cas. À Kinshasa, on sait qui a construit tel ou tel immeuble. Cela gangrène le régime dans un pays qui reste très pauvre. Toutes ces affaires qui se chiffrent en millions de dollars sont malvenues. Joseph Kabila aurait dû taper du poing sur la table et donner une punition exemplaire à quelques personnes très bien placées.

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Le peut-il ? Le veut-il ? Les personnes citées dans certaines affaires font partie de son entourage très proche.

Sa difficulté à renouveler son entourage peut lasser l’opinion. Si Kabila l’emportait pour ce dernier mandat, il partirait la tête haute s’il nettoyait ses écuries. Il faudrait également qu’il soit mieux conseillé, s’il peut l’être. Au Congo comme ailleurs, ce sont souvent les plus proches qui font le plus de tort : les frères, les sœurs, les épouses, la belle-famille. Un vrai chef d’État n’a ni amis ni famille, il n’a que des collaborateurs qu’il peut récuser à sa guise. Je pense que Kabila a le sens de l’État et de la nation, mais il y a un tel secret autour de lui que nous savons peu de choses sur ses capacités de travail, le temps qu’il passe sur les dossiers…

Et pourtant Joseph Kabila a toutes les chances d’être réélu. Est-ce juste en raison du mode de scrutin à un tour, ou plus largement de son équation politique ?

C’est un peu tout cela. Il y aura probablement dans l’opinion un réflexe de type légitimiste : laissons-le encore cinq ans au pouvoir pour qu’il finisse le travail. L’autre aspect concerne l’opposition, qui, dans une élection à un seul tour, était dans l’obligation de s’unir autour de celui qui avait le plus de chances. De ce point de vue, Étienne Tshisekedi, en s’imposant comme le candidat naturel et historique, n’a pas joué le jeu. Il fallait s’entendre sur un candidat et sur une juste répartition des postes en cas de victoire. Au lieu de cela, nous avons un président sortant qui tient les rênes de l’État et une dizaine de représentants de l’opposition aux programmes flous et qui passent une bonne partie de leur temps à se taper dessus. C’est idiot et suicidaire. Cela garantit en quelque sorte la réélection du chef de l’État.

Selon vous, quel ticket de l’opposition aurait été le plus performant ?

Une candidature de Léon Kengo wa Dondo soutenue explicitement par Étienne Tshisekedi.

En cas de victoire de Kabila à la présidentielle et de l’opposition aux législatives – un scénario probable –, on se dirige vers une cohabitation. Ce pourrait être un facteur d’apaisement…

Pas du tout, je redoute ce scénario. La classe politique congolaise se caractérise par sa vénalité, son affairisme et un juridisme pointilleux. Pour toutes ces raisons, en cas de cohabitation, nous perdrions au moins un an en débats sur tel ou tel article de la Constitution. Et l’exécutif à deux têtes s’enfermerait dans un immobilisme sans fin. La classe politique congolaise n’est pas assez mûre pour une cohabitation.

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Propos receuillis par Philippe Perdrix

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