Jean-Paul Goude : l’oeuvre aux Noires

Enfant chéri de la fin des années 1980, le publicitaire et créateur Jean-Paul Goude s’est souvent inspiré d’une Afrique fantasmée.  À l’occasion de la grande rétrospective que lui consacre le musée des Arts décoratifs de Paris, retour sur le parcours d’un homme qui aime les femmes, les couleurs, et les femmes de couleur.

Grande rétrospective Jean-Paul Goude aux Arts Décoratifs. © AFP

Grande rétrospective Jean-Paul Goude aux Arts Décoratifs. © AFP

Publié le 26 décembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Majestueuse, la gigantesque locomotive de bois noir trône au milieu de la nef du musée. En 1989, elle paradait sur les Champs-Élysées pour la cérémonie du bicentenaire de la Révolution française. Au rythme de quelque 800 tambours africains et français, des milliers d’artistes des cinq continents marchaient à l’unisson pendant que, sur la place de la Concorde, la soprano noire américaine Jessye Norman, drapée dans une robe aux couleurs de la France, reprenait La Marseillaise. En chef d’orchestre de cet éclatant défilé idéaliste, le sémillant Jean-Paul Goude, à la fois publicitaire, illustrateur, directeur artistique et réalisateur. « Je souhaitais que pour un soir on oublie son groupe ethnique afin de fêter ensemble l’anniversaire du 14 Juillet, confie l’artiste prolifique qui reçoit au musée des Arts décoratifs de Paris, où se tient sa première grande rétrospective après quarante ans de carrière. L’idée était de tout mélanger, encore une fois. »

Déjà au début des années 1980, dans ses premiers films publicitaires au rythme saccadé, Jean-Paul Goude imposait son rêve de société multiethnique, modelée à la mesure de ses fantasmes. En 1984, la serveuse qui sautille frénétiquement au bord d’une piscine pour promouvoir l’Orangina est maghrébine. En 1985, une Grace Jones mi-femme mi-robot chante au volant de sa Citroën, « la beauté sauvage ». Et, pour la marque de jeans Lee Cooper, les Noirs deviennent blancs et inversement. « Tous pareils, tous différents », sourit l’artiste précurseur avec espièglerie. Goude voue à l’Afrique une véritable fascination, qu’il retranscrit dans son œuvre. « C’est une Afrique imaginée. Je ne suis pas un voyageur, je n’ai jamais voyagé. Il est donc fort possible que la conception que j’en ai paraisse un peu désuète pour les gens qui connaissent la vraie Afrique. » Son approche du continent s’avère purement esthétique, presque simpliste, à l’image des petits pygmées des publicités pour les pellicules Kodak, ou de la série de photos montrant Naomi Campbell dans la savane, entourée de panthères et dansant avec des singes…

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Imaginaire

Pour tenter de comprendre l’attrait de Jean-Paul Goude pour l’Afrique, il faut remonter à cette enfance « heureuse » à laquelle il doit beaucoup. Né à Saint-Mandé (région parisienne) en 1940, il grandit dans une famille catholique non pratiquante, « conditionné par l’atmosphère coloniale » de l’époque. « Dire que le colonialisme a eu une emprise culturelle sur un segment de la population de ma génération, ce n’est pas des choses que l’on raconte. En France, on a honte de cette période. » Durant l’après-guerre, ses visites fréquentes au musée des Colonies de la Porte Dorée (fermé depuis) ainsi qu’au zoo de Vincennes nourrissent son imaginaire d’enfant. Son film favori ? Le Livre de la jungle du réalisateur d’origine hongroise Zoltan Korda. Les albums illustrés de sa jeunesse racontent aussi les colonies : il lit et relit Corentin, de Paul Cuvelier, l’histoire d’un petit Breton dont le meilleur ami est un hindou. « Je focalisais toujours sur le héros à la peau foncée. Cette attraction est un choix, c’est la règle d’or que l’on a dans son propre cerveau qui décide. » Lors de son premier séjour aux États-Unis, à 20 ans, le gamin de Saint-Mandé se passionne pour les familles noires qui se promènent à Central Park et se prend d’admiration pour un « groupe ethnique ».

Devenu homme, Goude tombe tout naturellement amoureux des femmes noires. En 1970, après des études aux Beaux-Arts, il se retrouve propulsé directeur artistique du magazine Esquire, à New York, où il s’installe. Embauché ensuite au New York Magazine, il rencontre sa muse, la reine du disco jamaïco-américaine Grace Jones, dont il devient le manager. « Je la trouvais très drôle, à la fois sublime de beauté et grotesque », se souvient Goude. Un jour, en visite chez sa mère à Paris, il se rend dans un magasin de luxe afin d’acheter des cadeaux pour Grace. Il est scandalisé lorsque la vendeuse raille ouvertement le physique atypique de sa compagne. Puisque Paris la moque, il vole au secours de sa belle en lui proposant de l’aider à relancer sa carrière en France. « C’était un challenge, à la fois de renverser la vapeur et de créer des spectacles, sourit-il. Voilà le niveau de ma vanité ! » Ainsi, par orgueil, celui qu’on surnomme le « lutin sautillant » construit de toutes pièces le personnage de Grace. Tour à tour panthère et boxeuse, encagée sur la couverture de l’autobiographie du maître, Jungle Fever (1981), elle fascine et scandalise. « Elle était à 100 % derrière moi, se souvient-il. Lorsque l’on a teinté de reggae les hits de la new wave, elle a décollé. Alors, les ego sont entrés en jeu. C’était inévitable, d’autant qu’elle commençait à me résister beaucoup. » Après Grace, ses égéries et, parfois, ses compagnes se prêteront au jeu de l’exotisme devant son objectif. Qu’il s’agisse de Toukie, de Radiah Frye, de Farida Khelfa ou de Naomi Campbell, la femme chez Goude est sa « créature », assujettie à un maître capable de toutes les fantaisies. Déformés pour être magnifiés, les corps imparfaits de ses modèles gagnent plusieurs vertèbres et quelques longueurs de jambes.

Préjugés

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Aujourd’hui, à 71 ans, l’idéaliste des débuts a fait place à un homme plutôt frileux. « La société multiethnique, ce n’est plus qu’un rêve, soupire-t-il. Malheureusement, les choses ont changé. Même moi, j’ai changé. » Goude confesse aujourd’hui avoir plus de préjugés qu’auparavant. Il pense nécessaire de se poser des questions sur l’immigration et s’effraie plus qu’il ne se réjouit du Printemps arabe. Sa vision du métier de publicitaire a également changé. Selon lui, avec l’avènement de la mondialisation, on ne vend plus une image mais une stratégie. La réclame se résume à la réclame. Mais le créateur utopiste n’est pas tout à fait mort. Il est désormais représenté par le double qu’il a enfanté, le personnage imaginaire de « Goudemalion » – une contraction de Goude et de Pygmalion, inventée par le philosophe Edgar Morin –, véritable héros de la rétrospective. Pour Goudemalion, « la femme noire, c’est l’ultime challenge, le trophée de la virilité. Jean-Paul n’est plus comme ça, il vit désormais ses fantasmes différemment ». 

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