Soir de combat à Kinshasa

Dans les quartiers populaires de la capitale congolaise, l’organisation de combats de catch attire les foules et suscite des vocations. Reportage un samedi soir à Masina.

Publié le 16 décembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Dragon rouge contre Hosanna, Six Couleurs contre Nzondo, Ebende Molasso contre Poison, City Train contre Chinois : ce soir, les combats de catcheurs enfièvrent la petite cour en terre battue de La Pelouse, un bar-hôtel comme il y en a des centaines à Masina, commune chaude et populeuse de Kinshasa. La fanfare – deux trompettes, une grosse caisse et un sifflet – ne s’arrête pas. « Abandon, Dragon rouge abandon ! » Le chauffeur de salle hurle ses commentaires au micro, parfois en lingala. Adultes, adolescents, enfants, les 300 spectateurs – des hommes surtout –, debout, se pressent contre le ring à mesure que la tension monte. Ça crie, ça rigole, ça chante, ça siffle. Les petits se dressent sur la pointe des pieds. Les plus âgés suent la Skol, la bière servie par le maître des lieux, Monsieur José, qui trône sur une pile de trois chaises en plastique à côté d’une jeune fille pulpeuse, le derrière moulé dans un jean blanc. Trois cents francs congolais (0,50 dollar), c’est le prix que Monsieur José et Vasco, l’organisateur, font payer pour voir les stars locales du catch.

Duels en fanfare

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Parmi les héros du ring, une héroïne : la costaude Sukanamwana, 34 ans, presque aussi large que haute (1,50 m environ), membre du club Les Guerriers. Attendue par le public arrivé trois heures plus tôt, elle grimpe sur scène vers 22 heures. Cris, applaudissements. Ses bourrelets enveloppés dans un justaucorps bleu remuent dans la pénombre du ring, à peine éclairé par deux ampoules fixées sur des bambous. Ses mollets débordent de ses chaussures de boxe. En face, l’adversaire (un homme) ne fera pas le poids, c’est sûr : Tatempoï, le corps recouvert de poudre blanche, porte un simple pagne en raphia qui donne à voir une silhouette fine, presque frêle.

L’arbitre a tout juste sifflé que Sukanamwana entame son numéro. Nonchalante, elle empoigne d’abord Tatempoï par le col et le met sans peine à terre. Puis, l’air d’un animal vorace que rien ne peut arrêter, le roue de coups et le traîne par les pieds. Étape suivante : faire un nœud avec les jambes de l’adversaire – autant que possible –, le retourner à plat ventre et sauter à cloche-pied sur son corps comme sur un trampoline. Le parquet, recouvert de tapis en mousse, claque sous la masse de la catcheuse. En chœur, la foule et la fanfare l’encouragent. Et voilà le pauvre Tatempoï qui se relève, les guiboles tremblantes. Un rai de lumière éclaire ses yeux tétanisés. Là, c’est le clou : « Sukana », avec son allure de tonneau, baisse son justaucorps, attrape son gros sein droit et l’approche de la bouche de sa victime. Tatempoï tremble de plus belle, comme parcouru de décharges électriques. Le sein et la bouche se rapprochent, se rapprochent et, sous les éclats de rire du public, Tatempoï finit par téter. C’en est trop pour lui, les charmes de la mère nourricière ont eu raison de sa virilité. « Abandon, abandon ! » En cinq minutes, Sukanamwana a gagné. Suivants !

Défait, Tatempoï ne finira pas sur une civière : comme dans le catch américain, dont ils s’inspirent vaguement, les combats version congolaise ne s’achèvent pas en bains de sang. Partitions écrites à l’avance par l’organisateur, les duels sont des mises en scène. Les cris d’orfraie des vaincus sont feints, les coups esquissés, les chutes calculées. Avec ses fétiches, son costume et sa mise en scène propres, chaque catcheur est un comédien qui joue un rôle : Petit Cimetière, dont le duel a précédé celui de Sukanamwana, c’est un peu le croque-mort, avec ce mini-cercueil qu’il dépose toujours sur le ring ; Ebende Molasso, visage noirci et corps enserré dans des chaînes métalliques, c’est le monstre enragé ; City Train (du nom d’une compagnie de bus de Kinshasa), l’invincible Monsieur Muscles à tatouages.

Dans le public, l’ambiance est souvent bon enfant. Quand elle débarque dans la cour déjà bondée de La Pelouse, Hortense Saïdi, commandante au sous-commissariat local, prend d’abord un air énervé : « Personne ne m’a informée de ces combats ! » Un duel et un verre de Skol plus tard, elle rigole avec ses voisins quand Dragon rouge arrache le slip de Hosanna (ce dernier l’avait passé sur un pantalon, il ne se retrouvera pas nu). Mais parfois, l’ambiance dégénère. Les spectateurs se divisent, un clan prend fait et cause pour le vaincu, l’autre pour le vainqueur, et l’on s’affronte à coups de pierres. Puis la police, alertée, met fin au spectacle.

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Pour éviter une rixe à La Pelouse, le catcheur City Train fait aussi le « préfet de discipline ». En maillot blanc et pantalon de camouflage, il filtre les entrées quand il ne combat pas. De l’autre côté de la grille, une foule trépigne. Mais la cour est déjà pleine… Car ici comme dans toute la RD Congo, le catch est populaire. C’est un divertissement, on y va comme au spectacle. Le prix des places, dépassant rarement 500 francs congolais, est accessible au plus grand nombre.â©Côté organisation, la recette est simple. Il suffit d’une autorisation de la commune, d’un ring, d’un petit espace – la cour de La Pelouse ne fait pas plus de 100 m2 – et d’un bon stock de bière. Quant aux catcheurs, ils sont faciles à trouver. À Kinshasa, on compte au moins un club par commune. Chacun a sa renommée. Le plus réputé, c’est sans doute Tout va changer : c’est là que s’entraîne Edingwe, LE roi du catch, déjà sacré champion de RD Congo. Entre clubs de la capitale, mais aussi des autres grandes villes du pays, on se rencontre toute l’année. Parfois pour des tournois sponsorisés – souvent par des marques de bière, de conserves – ou, comme à La Pelouse, sans autre raison que le divertissement.

700 dollars de cachet

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Comme pour Monsieur José, le gérant, qui va récupérer 10 % des recettes de la soirée – le reste allant à Vasco, l’organisateur –, le catch est une source de revenus pour les combattants. Mabokotomo, 24 ans, l’une des stars de La Pelouse qu’une nuée d’enfants a suivie à son arrivée, peut obtenir des cachets de 700 dollars quand les duels sont sponsorisés. Sinon, il reçoit un petit pourcentage du total des entrées. Et puis il y a les casiers de bière, les boîtes de conserve, les télévisions… Rien de juteux, mais de quoi partager avec la famille – quatre frères et sœurs – et vivre bon an mal an. Au besoin, Mabokotomo complète en faisant le chauffeur de taxi.

Dread locks, buste moulé dans un débardeur Dolce Gabana, pendentif autour du cou, ce gamin de Matete – une commune populaire de Kinshasa – dit pratiquer le catch comme un métier. Après deux ans de judo et six de lutte, il a commencé en 2000. D’abord à Tout va changer, puis aux Guerriers. Il a combattu dans toutes les grandes villes du pays. En décembre, il devait se produire au Congo-Brazzaville, où son sport est également populaire. Jouant les professionnels, Mabokotomo explique qu’il « assiste à beaucoup de combats », car « tous les catcheurs sont des adversaires ». Son rêve : combattre aux États-Unis. Mais avec sa tenue de scène congolaise, longue coiffe en tête de serpent, pagne rouge et poudre blanche. Il faut être prudent car, comme il le dit, « les Américains aussi ont leurs talismans ».

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