« Ce serait une dangereuse erreur pour les djihadistes de s’éloigner des peuples. Nous devrions leur pardonner, nous rapprocher d’eux et les supplier de nous écouter, car séparer le mouvement djihadiste du mouvement musulman populaire signerait notre fin. »
Cette réflexion, postée par le cyber-prédicateur radical Abou Moundhir al-Shanqiti le 31 janvier sur un forum djihadiste (et traduite par SITE, l’institut américain de surveillance des sites islamistes), semble témoigner de la crainte de marginalisation des djihadistes après le début des soulèvements populaires et pacifiques dans le monde arabe.
Silence gêné
Car le mouvement djihadiste (comme, sur ce point, de nombreux gouvernements occidentaux) semble n’avoir rien vu venir et est largement dépassé par les manifestations en Tunisie, Égypte, Jordanie ou encore au Yémen.
« Al-Qaïda a été complètement prise de court par la contestation populaire dans le monde arabe », remarque Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris et à l’Université Columbia. « Elle est d’ailleurs pratiquement silencieuse sur ce sujet, car incapable de proférer le moindre commentaire d’actualité, tant cette nouvelle donne la dépasse. »
Pour Dominique Thomas, spécialiste de l’islamisme radical à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, France), « les groupes djihadistes sont à la croisée des chemins : si les événements font boule de neige, suscitent des vocations démocratiques dans la région et que les peuples parviennent à renverser des dictatures sous la seule pression de la rue, ce sera une réfutation cinglante de leurs thèses ».
« Si c’est par le peuple que les régimes tombent, Al-Qaïda et les groupes djihadistes auront du mal à rebondir et à adapter leur discours », ajoute-t-il.
Les leaders d’Al-Qaïda sont « sans doute embarrassés, estime-t-il encore. Il va falloir que Ben Laden ou mieux l’Égyptien Al-Zawahiri s’expriment rapidement, faute de quoi leur discours perdra toute substance ».
Islamisme non-violent
Surtout, les mots d’ordres des manifestants (la démocratie, les élections et la transparence du pouvoir) sont très éloignés des revendications d’Al-Qaïda.
Les Frères musulmans, qui viennent de réintégrer le jeu politique égyptien, avaient quant à eux su se couler dans le mouvement et ses revendications.
Ils « condamnent tous la violence politique, rappelle Maha Azzam, du programme "Moyen-Orient" du centre de réflexion londonien Chatham House. […] Si la transition est pacifique, si cela aboutit à un système politique incluant tout le monde, cela se fera au détriment des groupes radicaux », affirme-t-elle.
En revanche, soulignent ces experts, un échec du mouvement démocratique, une répression aveugle ou des coups d’État militaires seraient une aubaine et une validation de leurs thèses pour les partisans de l’islamisme radical. (avec AFP)