Rwanda : les introuvables révélations de Théogène Rudasingwa sur l’attentat du 6 avril 1994

Alors qu’un nouveau témoignage censé incriminer Paul Kagamé dans l’attentat du 6 avril 1994 apparaît fragile, « Jeune Afrique » dévoile le contenu de l’audition de l’opposant rwandais Théogène Rudasingwa par le juge Marc Trévidic, en avril 2012.

Théogène Rudasingwa. © AFP

Théogène Rudasingwa. © AFP

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Publié le 26 avril 2013 Lecture : 4 minutes.

L’épave de l’appareil du président Juvénal Habyarimana, tué dans un attentat le 6 avril 1994. © Bouju/AP/Sipa
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Attentat du 6 avril 1994 : retour sur l’enquête de la discorde entre la France et le Rwanda

Le 6 avril 1994, l’attentat contre le président rwandais Juvénal Habyarimana donnait le signal de départ au génocide contre les Tutsi. Retrouvez tous nos articles sur ce dossier qui empoisonne depuis vingt ans les relations entre Paris et Kigali.

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La réaction ne s’est pas fait attendre. Moins de quinze jours après la diffusion par Canal+ d’une enquête qui déconstruit méthodiquement la thèse du juge Jean-Louis Bruguière attribuant au Front patriotique rwandais (FPR, à l’époque mouvement politico-militaire essentiellement tutsi) la responsabilité de l’attentat du 6 avril 1994, un transfuge de l’ex-rébellion sort du bois pour tenter de la ressusciter.

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Selon l’hebdomadaire Marianne, Jean-Marie Micombero affirme que «  ce sont bien ses anciens compagnons du FPR qui sont à l’origine de l’attentat  » contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, « mais aussi du meurtre de trois Français, deux jours plus tard [les gendarmes Jean-Paul Maïer et Alain Didot et l’épouse du second, Gilda Didot, NDLR] ». Micombero, écrit Marianne, appartenait à l’époque à « une petite section chargée du renseignement et dépendant directement du high command de Kagamé », ce qui lui aurait permis de disposer d’informations de première main sur ces deux épisodes jamais élucidés.

L’hebdomadaire omet toutefois de préciser que le pedigree de ce témoin-miracle incite à prendre son témoignage avec prudence. Condamné en 2007 par une cour militaire rwandaise pour  falsification de documents –  peine ramenée à un an de prison en appel, l’homme ayant plaidé coupable  –, il s’est installé en Belgique il y a deux ans et a rejoint le Congrès national rwandais (CNR) de Théogène Rudasingwa, l’un des principaux mouvements de l’opposition en exil. Selon des sources au sein de l’armée rwandaise, Micombero, qui n’était qu’un simple sergent en 1994, n’a jamais appartenu à une unité de renseignement et ne pouvait, vu son grade, avoir accès aux communications stratégiques du haut commandement.

Une audition vide de révélations

Son témoignage n’est pas sans rappeler celui de son camarade de parti, Théogène Rudasingwa. Fin 2011, cet ancien secrétaire général du FPR avait claironné sur sa page Facebook qu’il détenait des éléments accablants démontrant la responsabilité dans l’attentat de Paul Kagamé. Le 20 avril 2012, Rudasingwa était entendu à Paris par le juge Marc Trévidic. Le procès-verbal de son audition, que Jeune Afrique a pu consulter via l’un des Rwandais mis en examen, offre une illustration saisissante des témoignages à géométrie variable qui se sont accumulés dans ce dossier. Face au magistrat antiterroriste, loin des révélations accablantes promises aux médias, Rudasingwa n’apportait en effet aucun élément sérieux susceptible de faire progresser l’enquête.

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Lorsque Marc Trévidic lui demande de quelles informations il dispose pour attribuer ce crime à son ancien mentor, Rudasingwa se borne à évoquer une confidence que lui aurait faite l’actuel président rwandais lors d’un tête-à-tête. « Paul Kagamé m’a dit [en juillet 1994] qu’il avait décidé l’attentat parce qu’il savait qu’Arusha [les accords de paix signés en août 1993 dans cette ville tanzanienne, NDLR] n’allait pas marcher. Il m’a dit qu’il avait pensé que si on supprimait la tête du régime, le régime tomberait. » Pour le reste, l’ancien cadre du FPR affirme avoir obtenu des informations par des officiers qu’il se refuse à nommer, invoquant des craintes pour leur sécurité.

"Je ne sais pas"

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Quand le juge d’instruction cherche à savoir « quels éléments sur l’attentat » ces personnes lui auraient confiées, Rudasingwa botte en touche : « Je préfère que ces témoins donnent leur version ». Qui, à part Paul Kagamé, était informé du projet d’attentat, l’interroge le magistrat ? « Je ne sais pas. » Quant au fameux « commando network » qui aurait été chargé des basses œuvres – dont l’attentat – au sein du FPR, Rudasingwa indique à Marc Trévidic n’en avoir jamais « entendu parler ». Connaît-il l’identité des membres du commando ? « Je n’ai pas mémorisé ces noms », se justifie le témoin-miracle, de moins en moins loquace. Que sait-il de la formation des tireurs ? « Cela n’est pas une information qui m’a été donnée. » « Savez-vous comment ont été choisis les tireurs ? », relance le juge. « Je ne sais pas », admet Rudasingwa. Confirme-t-il la tenue de réunions préparatoires à l’attentat ? « Je ne pense pas qu’une telle réunion ait eu lieu. »

Au passage, Théogène Rudasingwa décrédibilise implicitement le témoignage des seuls transfuges du juge Bruguière à ne s’être pas rétractés jusque-là, les qualifiant d’« officiers subalternes qui n’auraient pas été en mesure de savoir les projets de Kagamé ». Et lorsque le juge Trévidic déroule les noms des différents officiers du FPR incriminés par les témoins à charge qui l’ont précédé dans la procédure, Théogène Rudasingwa les exonère quasiment tous, avant de conclure son audition par ces mots : « Mon intérêt principal, c’est de commencer à dire la vérité. J’ai été l’un des principaux artisans du mensonge consistant à accuser les Hutus extrémistes ».

Deux mois plus tard, apparemment peu convaincu par les révélations de Théogène Rudasingwa, le juge Trévidic faisait procéder à une perquisition chez l’ex-gendarme français Paul Barril, allié indéfectible des « Hutus extrémistes » avant, pendant comme après le génocide.

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