Deux corps de migrants d’Afrique subsaharienne ont été retrouvés ces derniers jours dans une zone désertique à la frontière entre la Tunisie et l’Algérie, où des dizaines d’autres errent, abandonnés à leur sort, suscitant l’inquiétude des ONG. À la suite d’affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien la semaine dernière, des dizaines de migrants originaires d’Afrique subsaharienne ont été chassés de Sfax, dans le centre-est de la Tunisie, et conduits par les autorités, selon des ONG, vers des zones inhospitalières frontalières de la Libye et de l’Algérie.
« Un premier corps a été retrouvé il y a dix jours dans le désert de Hazoua », près de la frontière algérienne, et un autre le 10 juillet au soir, a déclaré Nizar Skander, porte-parole du tribunal de Tozeur (sud-est). Une enquête a été ouverte pour « mort douteuse ». « Il s’agissait de deux jeunes hommes », a témoigné un commerçant local qui a requis l’anonymat.
Selon lui, « deux convois en une semaine ont été vus en train de déposer des migrants subsahariens, une centaine au total dans les environs de Hazoua », à plus de 500 kilomètres au sud de Tunis. « Beaucoup essayent de rejoindre les oasis où les habitants leur donnent de l’eau et de la nourriture », a-t-il ajouté. D’autres migrants ont été déposés plus au nord, toujours près de la frontière entre l’Algérie et la Tunisie, longue de plus de 1 000 kilomètres.
Sans nourriture
Le 11 juillet, un Ivoirien de 25 ans, Youssouf Bilayer, a raconté avoir été arrêté le 4 juillet à Sfax alors qu’il voulait prendre un train pour Tunis, et conduit près de Gafsa, une zone minière à 360 kilomètres au sud de la capitale. « On était dans six bus et on nous a répartis dans la forêt, on nous a fait descendre en nous frappant », a-t-il raconté, soulignant que depuis, son groupe de huit personnes, qui s’est réduit à six « parce que deux ne pouvaient plus continuer », marche vers le nord.
« On demande qu’on nous sorte d’ici et qu’on nous emmène à Tunis ou Sfax », a-t-il dit, assurant se trouver à 40 kilomètres au sud de Kasserine (centre-ouest). « On souffre beaucoup, on arrive à trouver un peu d’eau dans la forêt mais on n’a rien à manger, les gens disent que la police leur interdit de nous donner à manger, on arrive juste un peu à recharger nos téléphones », raconte Youssouf Bilayer, qui travaillait depuis quatre ans comme soudeur à Sfax. Selon lui, à chaque fois que son groupe essaye d’aller sur la route, la police les repousse vers la forêt et la frontière algérienne.
Human Rights Watch a fait part de son inquiétude pour « 150 à 200 migrants subsahariens » se trouvant à la frontière algéro-tunisienne. Selon elle, des témoignages ont fait état de « plusieurs morts » dans ces zones.
Le 10 juillet, un migrant guinéen, Mamadou, géolocalisé à Douar El Ma, du côté algérien de la frontière, à plus de 600 kilomètres au sud de Tunis, avait lancé un appel de détresse à l’AFP en disant n’avoir « ni eau ni nourriture ». Il n’était plus joignable le lendemain. Ils étaient une trentaine dans la même situation, avait-il témoigné.
« Pris au piège dans la zone tampon »
HRW avait annoncé la mise à l’abri de 500 à 700 migrants subsahariens abandonnés la semaine passée dans une zone tampon à la frontière entre Tunisie et Libye dans trois villes du sud tunisien : Ben Guerdane, Tataouine et Médenine. Mais le 11 juillet, l’ONG a fait état de la présence de « plusieurs dizaines de personnes expulsées (de Sfax) par les forces de sécurité (tunisiennes) et toujours prises au piège au niveau de la zone tampon » militarisée, à la frontière tuniso-libyenne, au sud de Ras Jedir.
« Ils ont besoin d’une assistance immédiate et d’être conduits en lieu sûr », a indiqué la directrice de HRW pour la Tunisie, Salsabil Chellali, qui a posté sur Twitter une vidéo de femmes et d’hommes assis ou allongés en plein soleil.
Un discours de plus en plus ouvertement xénophobe à l’égard des migrants s’est répandu depuis que le président tunisien, Kaïs Saied a pourfendu l’immigration clandestine. Le 10 juillet, il a estimé que « la Tunisie a donné une leçon au monde avec la manière dont elle a pris soin de ces migrants », ajoutant toutefois qu’ »elle refuse d’être une patrie de substitution pour eux et n’acceptera que ceux qui sont en situation régulière ».
(avec AFP)