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RDC, Maroc, Kenya… L’indépendance énergétique de l’Afrique, chimère ou réalité ?

Malgré des ressources immenses, l’Afrique connaît un taux d’électrification très faible. Une situation paradoxale dont elle pourrait sortir en misant sur l’énergie renouvelable, mais pas seulement.

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Mis à jour le 13 juin 2023 à 17:11

Éoliennes au Maroc dans la région du port de Tanger. © Jean-Michel Ruiz

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C’est une estimation qui donne la mesure des ressources de ce pays d’Afrique centrale qui se classe au troisième rang mondial de la filière derrière la Chine et la Russie, selon la Banque mondiale : « Avec 890 sites disséminés sur l’ensemble du territoire, le potentiel hydroélectrique de la République démocratique du Congo est énorme. Il représente 8 % du potentiel mondial », explique Idesbald Chinamula, directeur général de l’Agence nationale de l’électrification et des services énergétiques en milieux rural et périurbain (Anser RDC).

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C’est aussi une estimation qui donne la mesure d’un des paradoxes les plus criants de cet État de près de 100 millions d’habitants où le taux d’électrification est seulement de 1 % dans les zones rurales – et de 35 % dans les villes. « Avec ce taux, nous tirons le continent vers le bas alors que nous disposons d’un potentiel immense », regrette l’ancien coordonnateur du pilier croissance inclusive et développement durable pour le PNUD.

Gâchis

Cette disparité entre le potentiel énergétique et les besoins non satisfaits est pourtant loin d’être propre à la RDC, comme l’illustre la population africaine encore dépourvue d’électricité : 600 millions de personnes, d’après la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, soit 60 % de la population mondiale privée d’accès à l’électricité. Un état de fait qui freine aussi le développement économique du continent, où la faiblesse des réseaux électriques coûte, selon la Banque mondiale, jusqu’à 4 % du PIB à certains pays.

Ce gâchis interpelle d’autant plus que « le continent, selon les régions, dispose de toutes ressources pour devenir autonome : gaz, pétrole, photovoltaïque, éolien, hydroélectricité… », souligne Jean-Pierre Favennec, professeur à l’IFP School et co-auteur de l’Atlas mondial des énergies » paru en 2014.

« La solution, ce sont les énergies renouvelables »

Comment le continent peut-il assurer sa souveraineté énergétique ? En misant d’abord sur ses énergies renouvelables grâce à son « potentiel inégalé » qui lui « donne un avantage indéniable pour la transformation du secteur », estime une étude réalisée au nom du ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement, par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena), la Banque allemande de développement (KfW) et l’agence de coopération internationale allemande pour le développement (GIZ).

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« Le potentiel estimé de production […] de l’Afrique à partir des technologies existantes est 1 000 fois plus important que sa demande en électricité prévue en 2040 », argumente l’étude qui affirme que, tout en réalisant l’accès universel à l’électricité, l’Afrique peut devenir « le continent vert de demain ».

Heba Samir, directrice régionale en charge du Malawi chez l’égyptien Elsewedy Electric, est de cet avis. « Il est évident que le continent ne peut assurer sa souveraineté énergétique qu’en misant sur le renouvelable », explique-t-elle. Un récent événement lui en a rappelé récemment la nécessité : le cyclone Freddy qui a dévasté récemment le Malawi – où le taux d’électrification ne dépasse pas 15 %. « Pendant une semaine, tout le pays est resté sans électricité. Écoles, hôpitaux, institutions gouvernementales… Tout était déconnecté. Un shut-down complet, une catastrophe, car les générateurs étaient à l’arrêt. Si le pays produisait son électricité à base d’énergies renouvelables, la catastrophe n’aurait pas atteint cette ampleur », estime-t-elle.

Alors que la crise du Covid-19 et les effets de la guerre en Ukraine ont mis à nu les fragilités du continent, le débat sur la souveraineté énergétique a refait surface. « Avec toutes ses ressources, l’Afrique est capable d’assurer son autonomie grâce aux énergies renouvelables. Maintenant, il faut des stratégies cohérentes et des plans clairs », précise Idesbald Chinamula.

Les raisons du retard

Pour l’heure, les réalisations demeurent modestes. « Malgré son immense potentiel solaire, l’Afrique ne détient que 1 % de la capacité photovoltaïque installée dans le monde, soit la moitié de la capacité solaire dont dispose un pays comme le Royaume-Uni », indique l’Institut français des relations internationales (Ifri) dans un rapport réalisé en 2022 en partenariat avec le centre de réflexion Policy Center for the New South.

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Selon l’Irena, si 20 % de la capacité de production installée concernait les énergies renouvelables en 2019, c’est notamment grâce à l’hydroélectricité (à hauteur de 67 %). Un retard que Heba Samir attribue à plusieurs contraintes propres au continent. À commencer par la lourdeur bureaucratique : « Pour développer un projet solaire, cela prend parfois trois ans. Là, ça fait un an qu’on n’arrive pas à progresser pour obtenir les autorisations et négocier les tarifs », explique la directrice Malawi d’Elsewedy Electric, un géant des équipements électriques présent dans une dizaine de pays africains. L’ancienne directrice commerciale en charge du Rwanda et Djibouti pointe aussi le manque d’accès aux financements.

Attirer le secteur privé

Autant de freins qui dissuadent les acteurs privés locaux de se lancer dans le marché, rendant ainsi difficile l’éclosion et le développement de champions énergétiques africains capables de jouer un rôle comparable à celui des multinationales étrangères. « Les investissements nécessaires pour répondre à la demande croissante de l’Afrique en énergie renouvelable sont bien supérieurs aux fonds mis à disposition par les sources publiques », explique le rapport du ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement.

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Pour y remédier, l’étude suggère qu’en établissant « des cadres habilitant stables et prévisibles, en identifiant une réserve de projets viables et en offrant des instruments d’atténuation des risques parfaitement ciblés, les gouvernements africains et leurs partenaires de développement peuvent faciliter les investissements du secteur privé nécessaires pour combler cet écart ».

En attendant, certaines initiatives voient déjà le jour pour fédérer les efforts d’États africains autour de projets énergétiques ambitieux. La dernière en date, l’Africa Green Hydrogen Alliance, a été lancée en 2022 par Kenya, l’Égypte, le Maroc, l’Afrique du Sud, la Namibie et la Mauritanie pour explorer les opportunités offertes par l’industrie de l’hydrogène vert. Une filière dans laquelle « l’Afrique peut garantir l’accès à une énergie propre et durable sur le continent et devenir un acteur mondial de l’énergie », estime une étude commandée par la Banque européenne d’investissement (BEI), l’Alliance solaire internationale et l’Union africaine. Le développement du secteur des énergies renouvelables semble, là encore, tenir un rôle central.