À Dakar, la course à la plus haute tour est lancée

Avec la flambée du prix du foncier en toile de fond, des immeubles de grande hauteur sortent de terre dans le centre-ville de la capitale sénégalaise. Un boom vertical qui pose des défis aussi nombreux que vertigineux.

Dakar, qui va voir les gratte-ciels se multiplier ces prochaines années, ambitionne de devenir le New York ouest-africain. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Publié le 2 mai 2023 Lecture : 5 minutes.

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De son spacieux bureau dakarois, Taslim Ngom, aux manettes de Sertem, aux côtés de son père et de sa sœur, a une vue dégagée sur le phare des Mamelles, l’océan Atlantique, une partie de la corniche, mais aussi sur la façade ouest d’un immense bâtiment en construction : la tour des Mamelles, trois niveaux de sous-sol, un rez-de-chaussée, seize étages, le tout sur une surface de 48 000 m².

Cette tour – l’un des projets phares du groupe sénégalais actif notamment dans l’immobilier – constituera le premier IGH (immeuble de grande hauteur) du quartier des Almadies, dans le nord-ouest de Dakar – une zone dont la hauteur a été limitée, par le passé, par le trafic de l’ancien aéroport international de Yoff.

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Virage vertical

La tour des Mamelles devrait, dès l’année prochaine, accueillir des groupes pétroliers, des entreprises de logistique, de tech, ou encore des services financiers. « Il y a une importante communauté d’expatriés dans la zone des Almadies et de Ngor, avec un déficit d’offres de bureaux de qualité », explique Taslim Ngom. « De plus en plus de multinationales s’installent à Dakar. »

Le Plateau a le potentiel d’un véritable centre d’affaires

L’édifice, dont le maître d’ouvrage est la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et dont la construction a démarré en 2019, illustre le nouveau virage amorcé par la capitale sénégalaise. Celui-ci se résume en un mot : verticalité. « Auparavant, il était risqué de construire de grands immeubles ailleurs qu’à Dakar-Plateau, et puis il y a eu une dynamique au niveau du Point E et de la voie de dégagement N (VDN), où des immeubles d’habitation et des bureaux ont émergé à une certaine hauteur », indique Hamidou Badji, ancien DG de Teyliom au Sénégal, qui travaille aujourd’hui sur des projets personnels.

La tendance a gagné les quartiers résidentiels de Dakar intra-muros, comme Mermoz-Sacré-Cœur, Sicap Baobab ou Amitié, où, ces dernières années, nombre de maisons familiales se sont transformées en immeubles de plusieurs étages. Dans les quartiers prisés de la capitale, le prix du mètre carré dépasse bien souvent le million de francs CFA (environ 1 500 euros).

Futur Manhattan africain ?

« Aujourd’hui, à Dakar, presque rien ne sort en dessous de huit étages. Le prix du foncier explose, ça va être la course à qui fera la plus haute tour, comme on l’a vu à New York ou à Dubaï », avance un architecte de formation qui travaille dans les infrastructures de transport.

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En témoigne la construction de la « DakTower », un gratte-ciel situé sur la corniche ouest de Dakar qui s’élèvera à 122 mètres ; ce qui devrait en faire le plus haut bâtiment du Sénégal, devant l’immeuble Kébé et le siège de la BCEAO, dont la hauteur est estimée à 80 mètres.

L’épicentre de ce changement devrait se concentrer à Dakar-Plateau, où de nombreux IGH sortent de terre ; d’autant qu’à terme une partie de l’activité du Port autonome de Dakar sera transférée vers le futur port en eau profonde de Ndayane – synonyme de libération de foncier.

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De nombreux spécialistes du secteur voient le centre-ville évoluer comme Manhattan, quartier phare de la ville de New York, connue pour ses gratte-ciels et son activité trépidante. « Le Plateau a le potentiel pour devenir un véritable centre d’affaires, avec des infrastructures, et des opportunités économiques, liées notamment au pétrole et au gaz », avance Hamidou Badji. « Le quartier va attirer des sociétés à la recherche de notoriété ou d’une certaine puissance », estime-t-il.

Envolée du prix du foncier

Emplacement géographique stratégique, stabilité politique, cadre de vie agréable, construction d’infrastructures d’envergure avec l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio, le TER et bientôt le BRT, vigueur économique… Dakar n’a pas à rougir face à sa grande rivale, Abidjan. Des  groupes aussi réputés que Duval – un acteur familial français de l’immobilier – garderaient un œil attentif sur la capitale sénégalaise.

La police de l’urbanisme est essentielle pour mettre de l’ordre et instaurer des garde-fous

Sauf que, dans sa course à la verticalité, Dakar fait face à de nombreux défis. « Aller en hauteur peut permettre de corriger les erreurs du vieux Dakar mais, attention, un immeuble mal conçu sur dix étages peut engendrer des conséquences dramatiques », met en garde Amadou Dieng, DG de la filiale sénégalaise du groupe immobilier Réalités, qui pilote la construction d’une résidence haut de gamme de 45 appartements aux Almadies. « La police de l’urbanisme est essentielle », estime-t-il. « Elle doit mettre de l’ordre, et ne pas nous laisser, nous promoteurs, faire ce qu’on veut. Il faut des garde-fous. »

Parmi les principaux dysfonctionnements pointés par les acteurs de l’immobilier : les matériaux bas de gamme utilisés par certains promoteurs ; le manque de transparence sur les marchés signés dans un secteur où transite beaucoup de capitaux étrangers ; l’envol du prix du foncier, faute d’être suffisamment encadré ; le manque d’espaces verts, d’aires de jeux et de places de parking pour accompagner la construction d’immeubles ; ou encore le sous-dimensionnement de réseaux d’assainissement conçus à l’origine pour des maisons familiales – en ce sens, le Point E a par exemple connu des difficultés lors de la dernière saison des pluies.

Embouteillages

Sans compter les problèmes de circulation, déjà complexes, qui risquent de s’amplifier dans certaines zones, à mesure que la capitale va se densifier. « Nous n’avons pas encore intégré cette culture de gestion intelligente de nos villes », regrette ainsi Taslim Ngom, du groupe Sertem.

Enfin, il y a les contraintes techniques. « Pour construire un IGH, la réglementation est très stricte », indique un acteur du secteur. « Les ouvriers vont devoir franchir un palier technologique pour assurer la stabilité de la tour. Charpente métallique, béton hautes performances… Il va falloir qu’ils prennent le train en marche. »

Cette course au « toujours plus haut », la pression foncière et la gentrification de la capitale ne devraient pas profiter à tout le monde, notamment aux populations implantées historiquement dans la presqu’île.

Gentrification

Dans les quartiers de Ngor et de Ouakam, dans le nord de Dakar, de jeunes Lébous ont récemment affronté les forces de l’ordre après un litige foncier lié à la construction d’un poste de gendarmerie sur un parking. En 2021, ils avaient déjà réclamé au chef de l’État l’octroi d’une partie de l’assiette foncière de l’ancien aéroport de Yoff.

Ce qui laisse présager des tensions foncières dans les mois ou les années à venir dans ce qui est devenu la ville la plus chère de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), selon le classement 2022 du cabinet Mercer relatif au coût de la vie pour les expatriés.

Pour Hamidou Badji, une dynamique est bien en marche : « Les gens ont moins de réticences à quitter le centre de Dakar pour aller en périphérie et même jusqu’à Mbour, sans parler des villes côtières comme Popenguine, Somone ou Ngaparou. Aujourd’hui, l’autoroute à péage permet d’habiter dans ces villes-là. Et, avec le TER qui arrive à Diass, le tour sera joué. Le Sénégalais moyen y aura une meilleure qualité de vie qu’à Dakar-intramuros. » Et Dakar ? « La ville va se transformer en grande métropole ouest-africaine, et Dakar-Plateau sera son Manhattan. »

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