Après l’Iran, MBS prêt à se réconcilier avec la Syrie

En moins de deux semaines, le prince héritier saoudien a ouvert la porte à une normalisation avec deux de ses principaux rivaux régionaux.

Le président syrien Bachar al-Assad à Damas et le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman. © Bandar AL-JALOUD / various sources / AFP

Publié le 24 mars 2023 Lecture : 4 minutes.

Après avoir un jour qualifié le guide suprême iranien de « nouvel Hitler » du Moyen-Orient, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman vient de donner le feu vert à un accord de réconciliation avec l’Iran, pour un « Moyen-Orient prospère ».

Alors ministre de la Défense âgé de 29 ans, le jeune prince avait, à la tête d’une coalition régionale, lancé en 2015 une offensive au Yémen, en appui aux forces pro-gouvernementales, contre les rebelles houthis soutenus par Téhéran. Aujourd’hui, il mène des pourparlers en coulisses qui pourraient aboutir au retrait des forces d’Arabie saoudite de ce conflit.

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Mohammed Ben Salman a aussi œuvré pour résoudre des différends avec le Qatar ou la Turquie, et a même proposé son pays pour une médiation dans la guerre en Ukraine. Des analystes voient là une évolution du prince héritier, trublion imprévisible devenu à 37 ans un homme de pouvoir pragmatique.

Apaisement et réformes

Annoncé le 10 mars, l’accord avec l’Iran afin de rétablir les relations diplomatiques rompues en 2016, témoigne « d’un changement d’approche », « d’une maturité et d’une compréhension plus réaliste des politiques menées par les puissances régionales », relève Umar Karim, expert de l’Arabie saoudite à l’université britannique de Birmingham. Si la réouverture des ambassades est prévue début mai, il est encore trop tôt pour dire si ces mesures d’apaisement porteront leurs fruits.

Pourtant, la ligne d’action saoudienne est claire : apaiser les tensions à l’étranger pour se concentrer sur les réformes économiques et sociales dans le pays. « Notre vision est celle d’un Moyen-Orient prospère, parce que sans un développement de la région avec le vôtre, il y a des limites à ce que vous pouvez réaliser », explique un responsable saoudien.

Une « vision » menacée

Son vaste programme de réformes « Vision 2030 » vise à rendre le royaume, premier exportateur mondial de brut, moins dépendant des énergies fossiles. Mais les inquiétudes pour les droits humains persistent, en particulier après l’assassinat par des agents saoudiens du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul en 2018.

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Des responsables saoudiens ont aussi reconnu que des menaces contre la sécurité, venant en particulier d’Iran, pouvaient mettre en danger « Vision 2030 ». En 2019, des attaques contre des installations pétrolières saoudiennes, revendiquées par les rebelles houthis, avaient temporairement réduit de moitié la production de brut du royaume. Riyad et Washington avaient accusé Téhéran, qui avait démenti. Cet épisode a marqué un tournant, incitant l’Arabie saoudite à une attitude plus conciliante, estiment des analystes.

« Baisse de la température »

Les responsables saoudiens avaient été très déçus de la réponse tiède des États-Unis qui, selon Riyad, mettait en danger le compromis « sécurité contre pétrole », pilier du partenariat entre les deux pays depuis des décennies. « Les responsables saoudiens nous ont dit “Nous devons nous concentrer sur les méga-projets” », raconte un diplomate d’un pays arabe en poste à Riyad. « Si un seul missile frappe (la mégalopole futuriste en construction) NEOM ou (le centre artistique en projet) AlUla, il n’y aura pas d’investissement ou de tourisme », confie-t-il. « Cette vision s’effondrera. »

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Avant l’Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis avaient rétabli des relations diplomatiques avec Téhéran en 2022. Mais l’accord irano-saoudien est perçu comme plus important en raison de l’implication des deux puissances régionales dans des camps adverses dans plusieurs conflits, au Yémen mais aussi au Liban et en Irak. « Une baisse de la température avec l’Iran est une façon intelligente de réduire les tensions à travers la région et calmer certains des conflits par procuration qui entourent l’Arabie saoudite, » relève Anna Jacobs, du groupe de réflexion International Crisis Group.

La prochaine étape sera une rencontre entre chefs de la diplomatie des deux pays. Cette semaine, un responsable iranien a ainsi annoncé que le président Ebrahim Raïssi avait accueilli favorablement une invitation du roi Salman à se rendre en Arabie saoudite. Riyad n’a pas confirmé. Ces rencontres à venir seront scrutées de près, des inquiétudes demeurant au sujet de ce rapprochement encore fragile. « La défiance est profonde entre l’Arabie saoudite et l’Iran », souligne Anna Jacobs. Chacun des deux pays « devra constater très rapidement des signaux positifs de la part de l’autre pour poursuivre l’accord. »

Séisme

Parallèlement, des responsables saoudiens œuvrent à un rapprochement avec le régime syrien de Bachar al-Assad, après une décennie d’isolement diplomatique dont Riyad s’est affiché comme le principal moteur. L’Arabie saoudite et la Syrie tiennent des discussions sur une reprise de leurs services consulaires.

Le président syrien était isolé sur le plan diplomatique depuis le début de la répression, en 2011. Le séisme du 6 février en Syrie a provoqué une reprise de contact avec les pays arabes qui envoient de l’aide à Damas.

En février, un avion saoudien chargé d’aide humanitaire s’est posé à Alep, deuxième ville du pays, durement touchée par le tremblement de terre. Il s’agissait du premier avion saoudien à atterrir en Syrie depuis le début de la guerre. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Fayçal Ben Farhane, a estimé nécessaire une nouvelle approche vis-à-vis de la Syrie impliquant des négociations avec Damas pour faire face aux crises humanitaires.

Le président des Émirats arabes unis a déclaré, en recevant le 19 mars à Abou Dhabi son homologue syrien, qu’il était temps que Damas rentre dans le giron arabe. Fin 2018, l’ambassade émiratie avait rouvert à Damas. Et en mars 2022, Bachar al-Assad avait effectué sa première visite dans un pays arabe, à Abou Dhabi. Assad, dont le pays a été exclu de la Ligue arabe fin 2011, s’était aussi rendu le 20 février au sultanat d’Oman, une première en douze ans de guerre en Syrie. Oman est l’un des rares pays arabes, et le seul dans le Golfe à avoir toujours maintenu des relations diplomatiques officielles avec Damas depuis le début de la guerre.

(avec AFP)

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