Faut-il « parler cash » aux Africains ?

Les discours de certains dirigeants occidentaux à l’adresse de leurs pairs africains sont souvent empreints de paternalisme, voire de racisme. Une tendance qu’il va falloir corriger.

L’ambassadeur allemand Herbert Beck (G) et le président namibien, Hage Geingob (D), en novembre 2019. © Facebook German Embassy Windhoek

Fouad Laroui © DR

Publié le 22 mars 2023 Lecture : 3 minutes.

On a tous vu la vidéo. L’ambassadeur d’Allemagne, sûr de son bon droit, paternaliste, un brin arrogant, fait la leçon au président namibien. « Il y a trop de Chinois dans votre pays, lui reproche-t-il. Quatre fois plus que d’Allemands… » Hage Geingob l’interrompt avec un sourire moqueur : « Ah oui ? Et en quoi est-ce un problème ? » Puis, plus sérieux : « Nous vous accueillons, vous autres Allemands, en déroulant le tapis rouge ; mais nos compatriotes sont mal reçus chez vous. On les traite mal à l’aéroport, on les houspille, même quand ils voyagent avec un passeport diplomatique. Et vous venez me parler des Chinois ? Pour commencer, ils ne nous traitent pas comme ça, eux. »

Et encore, le président eut le bon goût de ne pas rappeler à l’Allemand le massacre des Héréros et des Namas perpétré par ses aïeux teutons dans l’actuelle Namibie, en 1904. Ce fut le premier génocide du XXe siècle. Et l’autre lui parle du péril jaune ? Péril pour qui ?

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On a tous vu la vidéo (bis). Le président français se fait remonter les bretelles par son homologue de RDC à propos d’une expression à la limite du racisme (« compromis à l’africaine ») utilisée par un de ses ministres. Félix Tshisekedi fait remarquer à Emmanuel Macron que quand il y a des irrégularités dans des élections en Occident – qu’on pense à l’élection de Georges Bush le fils… –, on ne parle pas de compromis « à l’américaine » ou « à la française ».

Et encore (bis), le président congolais eut le bon goût de ne pas rappeler à l’autre qu’il n’était là – à lui faire la leçon – que par un ahurissant concours de circonstances : un président sortant (François Hollande) qui renonce à se présenter en 2016 dans des conditions obscures, un candidat de gauche (DSK) éliminé par une sale (et sombre) affaire, un candidat de droite archifavori (François Fillon) abattu en plein vol par un autre volatile, etc. Si ça s’était passé en Afrique, on aurait appelé ça comment ?

Parler vrai

Un ami parisien à qui je parlais récemment de ces deux vidéos me rétorqua que l’ambassadeur allemand et le président français avaient cru bien faire en « parlant cash » à leurs interlocuteurs africains. Parler cash… quelle expression détestable ! Autrefois, quand on s’exprimait encore en français et non dans un sabir franglais creux et prétentieux, on utilisait la belle expression « parler vrai ».

C’est souvent la marque d’un sentiment de supériorité que rien ne justifie, d’une arrogance de parvenu

Cela dit, c’est peut-être une bonne chose que l’expression franglaise soit apparue dans le lexique de la modernité tape-à-l’œil parce qu’il s’agit, au fond, de deux concepts différents.

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Parler vrai, c’est exposer des faits (des faits !) avec franchise. Par exemple, on parle vrai à ses amis parce qu’on les respecte et qu’on leur veut du bien. Quand ils se fourvoient, on le leur dit, sans détour mais sans brutalité et toujours à bon escient. Autre exemple : un médecin peut parler vrai à son patient, avec tact, avec compassion : c’est pour son bien.

Parler cash, c’est autre chose. C’est jeter brutalement dans la conversation de ces « faits alternatifs » chers à Trump, c’est-à-dire des approximations, des mensonges, des injures à peine voilées.

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On cherche à intimider, à écraser l’autre. Parler cash, c’est parfois diffamer. Parler cash, c’est souvent la marque d’une mauvaise éducation, d’un sentiment de supériorité que rien ne justifie, d’une arrogance de parvenu. L’homme d’honneur parle vrai, l’effronté parle cash.

Alors non, il ne faut pas parler cash aux Africains, il faut leur parler vrai. Et ça, ça  fait toute la différence entre un butor et un ami.

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