Henri-Max Ndong-Nzue : « Les bénéfices de TotalEnergies en Afrique sont proportionnels à ses investissements »

Problèmes sécuritaires au Mozambique et au Nigeria, transition énergétique, réponse à l’appel d’offres en RDC, part de l’Afrique dans les profits du groupe… Le nouveau directeur Afrique subsaharienne de la multinationale n’élude aucun sujet.

Le Franco-Gabonais Henri-Max Ndong-Nzue. © Montage JA ; Damien Grenon pour JA

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Publié le 15 mars 2023 Lecture : 9 minutes.

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500 CHAMPIONS AFRICAINS – Pur produit, ou presque, de la multinationale dirigée par Patrick Pouyanné, le successeur de Nicolas Terraz à la tête de la direction Afrique subsaharienne de TotalEnergies exploration-production (E&P) sent venir le vent du changement autant qu’il souhaite l’accompagner, après 80 ans de présence de l’énergéticien français en Afrique.

Rencontré au siège de l’entreprise quelques jours après la publication de résultats records pour le groupe – bénéfice historique à 20,5 milliards de dollars au titre de 2022, Henri-Max Ndong-Nzue s’est montré autant concerné par les griefs de la société civile et des ONG envers les projets controversés de Tilenga et EACOP en Ouganda – qui comporte notamment le plus long gazoduc jamais construit –, que les résultats du rapport d’audit sécuritaire sur le projet gazier de Cabo Delgado au Mozambique ou les possibilités de reprise totale d’activité au Nigeria.

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L’ingénieur franco-gabonais nous livre ainsi sa lecture des enjeux auxquels son groupe est aujourd’hui confronté. Un géant mondial des hydrocarbures dont l’ambition est désormais de se muer en leader multi-énergies, à la faveur de la catégorisation du gaz en « énergie de transition » et des moyens colossaux mis en œuvre par la major, cotée à la Bourse de Paris, pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre et s’inscrire encore plus dans la durée. Rencontre.

Jeune Afrique : Vous avez pris la direction Afrique de TotalEnergies E&P en 2021, dans un contexte de recul des investissements dans le pétrole, entre transition énergétique et sortie de crise du Covid-19. Quelle était alors votre feuille de route ? Et a-t-elle évolué depuis ?

Henri-Max Ndong-Nzue : Au cours de ces dix-huit derniers mois, la direction Afrique a déployé la nouvelle ambition du groupe : produire de l’énergie à bas coût avec moins d’émissions. L’année 2022 a été une bonne année. Sur le plan de la sécurité, nous avons obtenu de bons résultats, sans accident mortel, et des statistiques sur la sécurité au travail en amélioration. Question environnement, nous avons réduit de manière sensible nos pertes de confinement [fuites, NDLR] et réduit nos émissions de gaz à effet de serre par rapport aux années précédentes.

Angola, Nigeria, Mozambique, vous avez amorcé plusieurs nouveaux projets dans des pays historiques, et alloué de nouvelles ressources, dont certaines d’ampleur…

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En effet, nous comptons de nombreuses réalisations cette année. Si l’on se limite aux principales d’entre elles : en Angola, nous avons mis en production deux champs à cycle court, CLOV phase 2 et CLOV phase 3, et lancé de nouveaux projets. Celui de Begonia, un développement sous-marin raccordé à un navire flottant de production existant, celui de PAZFLOR, le projet NGC (Natural Gaz Consortium) qui nous permettra d’alimenter l’usine de GNL de Sovo, et enfin nous lançons la première phase d’un projet solaire photovoltaïque.

Au Nigeria, nous avons mis en production avec succès un nouveau champ, Ikike, développé pendant la période Covid. Une belle réalisation de nos équipes. Au Gabon et au Congo, nous avons conclu des accords avec les États hôtes qui nous permettent d’avoir aujourd’hui de la visibilité sur nos licences et poursuivre nos investissements.

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Qu’en est-il des nouveaux pays dans lesquels votre groupe a pris pied en exploration-production ?

Pour ce qui est du développement de nouveaux relais de production, l’année 2022 a été marquée par la prise de décision finale d’investir en Ouganda sur le projet Tilenga (extraction de pétrole) et EACOP (transport des hydrocarbures), en partenariat avec l’État ougandais et l’État tanzanien. Par ailleurs, TotalEnergies a fait une découverte majeure en Namibie, avec le puits Vénus sur le permis 2913B. En 2023, nous allons lancer un programme ambitieux d’exploration/appréciation dans ce pays.

En Afrique, nous allons naturellement continuer à investir dans le pétrole et le gaz et, en parallèle, déployer notre stratégie multi-énergies.

Justement, quelles sont les ambitions de TotalEnergies dans le gaz, le solaire, ou encore l’éolien ?

Nous avons commencé à mettre en place l’année dernière un réseau de 20 chasseurs d’affaires (« renewable explorer ») – rattachés aux responsables pays – pour dénicher les opportunités dans l’hydroélectricité, l’éolien, les biocarburants et les puits naturels de carbone. Les premiers résultats sont déjà visibles. Avec le projet solaire Quilemba en Angola, ou encore au Congo, où nous avons lancé avec les autorités un projet de plantation d’arbres pour la capture de CO2 sur les plateaux Batéké, ou encore au Gabon, avec la mise en place d’un partenariat avec la Compagnie des bois du Gabon.

Enfin, en Ouganda et en Tanzanie, nous avons signé des protocoles d’accord pour des projets d’énergies renouvelables en solaire et en éolien. Et nous étudions également des opportunités dans d’autres pays, par exemple dans de l’hydroélectricité au Mozambique.

Est-il plus difficile aujourd’hui qu’avant de travailler sur des projets pétro-gaziers en Afrique compte tenu des nouvelles contraintes du secteur ? 

Nous vivons dans un monde les entreprises sont de plus en plus interpelées par la société civile. En particulier le monde de l’énergie, qui doit répondre à un double défi. Celui d’abord, d’apporter de l’énergie au plus grand nombre. Or, rien qu’en Afrique, plus de 600 millions d’individus n’ont pas accès à l’électricité. Une demande à laquelle nous nous devons de répondre. Et, en même temps, nous avons à résoudre le défi du changement climatique, ce qui signifie forcément moins d’émissions de gaz à effet de serre.

Comment comptez-vous relever ce double défi ?

Notre stratégie s’inscrit en droite ligne de l’Accord de Paris et vise à apporter une énergie abordable, fiable et propre au plus grand nombre. C’est la raison pour laquelle nous avons consacré plus de 4 milliards de dollars d’investissement en 2022 dans les énergies bas carbone. Pour 2023, ce budget devrait être de 5 milliards. TotalEnergies est déjà dans le top 5 mondial des investisseurs dans les énergies renouvelables.

Revenons à l’exploration-production, les problèmes de sécurité au Nigeria ont fait perdre au pays son statut de leader des pays producteurs de brut. Comment cela s’est-il traduit pour TotalEnergies qui opère dans le pays ?

Effectivement, l’année 2022 a été difficile au Nigeria à cause des problèmes de sécurité qui ont eu un impact sur la production de nos champs à terre. Nous avons discuté de ces difficultés avec les autorités nigérianes, et notamment notre ministère de tutelle et notre partenaire, la société nationale nigériane [la NNPC, NDLR]. Des mesures ont été prises pour restaurer la sécurité et éviter le vandalisme sur les pipelines du delta du Niger. Nous espérons que la situation va s’améliorer et nous permettre de relancer nos opérations en toute sécurité.

Après le retrait de la localité d’Afungi des équipes du consortium Mozambique LNG, dont vous faites partie, pour raisons sécuritaires, le projet Cabo Delgado a-t-il des chances de redémarrer ?

Les autorités mozambicaines ont fait appel à des pays amis, notamment le Rwanda, pour restaurer la sécurité dans cette province. Patrick Pouyanné, notre PDG, s’est rendu dernièrement dans la province du Cabo Delgado et a pu constater que la situation sécuritaire s’était améliorée. Mais pour redémarrer les travaux, il faut d’abord que la sécurité revienne de manière durable et aussi que les services publics soient rétablis dans les villes et dans les villages.

En plus de cela, Mozambique LNG – le consortium international en charge du projet GNL – a mandaté un audit humanitaire qui a été confié à Jean-Christophe Rufin. En fonction de la situation sécuritaire, du rapport humanitaire et des discussions avec les cocontractants dans le cadre du projet, Mozambique LNG prendra la décision de redémarrer ou non le projet.

Quand ce rapport doit-il être remis ?

Au mois de mars, on y est presque. Mais je rappelle l’importance des coûts du projet. Il faut que ceux-ci restent raisonnables [le coût d’investissement initial avait été estimé à 15 milliards de dollars, NDLR]. Il n’est pas question d’accepter une hausse substantielle du coût du projet.

À combien évaluez-vous l’enjeu pour la division E&P Afrique du projet Cabo Delgado pour votre groupe ?

Le projet GNL Mozambique est un projet dans lequel nous avons une participation de 26,5 %. C’est un projet dont la phase 1 est d’une capacité de 13,1 millions de tonnes par an. Donc c’est tout à fait significatif. De plus, il présente plusieurs atouts : c’est un projet de production de gaz, une énergie de transition, idéalement situé pour desservir le marché asiatique, et l’Europe.

Qu’en est-il de l’Ouganda et du projet Tilenga/EACOP dont la date de mise en production est toujours attendue pour 2025 ? Où en est le financement ?

Pour la partie amont, le projet Tilenga dans lequel TotalEnergies possède 56,7 % de participation, la société chinoise CNOOC 28 % et la société nationale ougandaise UNOC 15 %, le financement se fait sur fonds propres de TotalEnergies et de CNOOC.

Pour la partie transport des hydrocarbures sur la côte tanzanienne, dont le projet est dénommé East African Crude Oil pipeline (EACOP), une société a été créée dans laquelle TotalEnergies détient 62 %, CNOOC 8 %, les sociétés nationales ougandaise UNOC et  tanzanienne TPDC chacune 15 %. Cette société financera pour partie le projet sur fonds propres et pour partie par emprunt. Aujourd’hui, les discussions progressent avec à la fois des banques internationales et des banques africaines.

La RDC a lancé, en juillet 2022, un appel d’offres pour la mise en vente de 30 blocs pétro-gaziers. Pourquoi aucune major, dont TotalEnergies, ne s’est encore positionnée ?

TotalEnergies est effectivement sortie de RDC après avoir rendu le bloc 3 en 2019. Nous avons décidé de ne pas participer à l’appel d’offres qui a été proposé par le pays, pour une question d’opportunité. Nous ne pouvons pas être partout. Pour le reste, c’est difficile de parler à la place des autres sociétés.

Dernièrement, il est apparu que la part du continent africain dans la production globale de TotalEnergies s’était amenuisée. Comment l’expliquer ?

Avec plus de 80 ans de présence, l’Afrique est un continent majeur pour l’entreprise. En 2020, la région Afrique subsaharienne représentait environ 20 % de la production de TotalEnergies. Aujourd’hui, la contribution de l’Afrique est passée à 17 % à cause du déclin naturel de nos champs en production et des difficultés rencontrées en matière de sécurité sur nos champs à terre, au Nigeria.

Grâce aux développements en Angola, en Ouganda et au Mozambique, la production du groupe devrait retrouver ses niveaux de 2020 à l’horizon 2027, avec un mix énergétique dans lequel le gaz va gagner en importance.

Cette baisse de revenus a-t-elle correspondu à une baisse proportionnelle de la contribution de l’Afrique sur les revenus globaux de votre groupe ?

Avant de parler des revenus, je tiens à rappeler l’effort d’investissement de TotalEnergies en Afrique. Le continent représente à peu près le tiers de l’effort d’investissement réalisé au niveau de l’exploration-production.

Et donc, juste retour des choses, notre contribution en termes de cash-flow généré par nos opérations est à peu près de 30 %. Donc vous voyez qu’il y a un équilibre entre les capitaux investis par l’Exploration-Production en Afrique, et en retour les revenus qui sont générés par nos activités sur le continent.

En 2022, les découvertes d’hydrocarbures ont été particulièrement importantes dans le monde. Et si l’on en croit l’un des derniers rapports de WoodMacKenzie, elles ont été en particulier portées par l’Algérie et la Namibie. Cela vous inspire-t-il de nouveaux projets ?

Tout à fait puisque nous sommes concernés. Nous poursuivons notre effort d’exploration en Afrique. Sur les trois dernières années en moyenne, nous avons foré un peu plus de deux puits par an. Cette exploration a été couronnée de succès en Afrique du Sud, sur le permis 11B/12Bn nous avons foré deux puits positifs : le puits Luiperd en 2019, et ensuite Brulpadda en 2020, sur le même permis. En 2022, nous avons sollicité le passage de ce permis en licence de production et nous travaillons actuellement à identifier un débouché pour valoriser cette découverte de gaz à condensats.

En Namibie, nous avons foré l’an dernier un puits sur le permis 2912, où nous avons découvert de huile légère. Nous lancerons cette année un programme ambitieux d’exploration et d’appréciation pour nous assurer que cette découverte peut déboucher sur un développement économique.

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