Quinze mois d’exercice du pouvoir et une copie rendue à laquelle les examinateurs mettraient volontiers une mention bien, n’étaient-ce les incertitudes du calendrier politique… Sur le plan économique, le bilan d’Alpha Condé est encourageant et les institutions de Bretton Woods, avec lesquelles la Guinée a renoué, ne sont pas les dernières à le reconnaître. L’intégrité, la bonne volonté, le patriotisme – si ce n’est la méthode – sont désormais au pouvoir à Conakry après des décennies de prédation militaire : il faudrait être aveugle pour ne pas s’apercevoir du changement. Le carnet de commandes social, lui, demeure toujours aussi rempli en termes d’urgences (eau, électricité) et d’exigences, notamment salariales, toutes légitimes et presque toutes insatisfaites à court terme. Mais au moins l’inflation est-elle rigoureusement combattue, tout comme le sont les monopoles d’importation – de riz notamment – et la grande corruption. À l’image d’Alpha Condé lui-même, l’État se veut modeste : il est vrai qu’en Guinée l’ostentation, même en période de pillage et de gaspillage, n’a jamais été vraiment de mise. Sur le plan extérieur enfin, l’activisme présidentiel commence à porter ses fruits : tant au niveau régional qu’au sein de l’Union africaine, la Guinée existe de nouveau.
Alpha Condé est un président qui concentre beaucoup, contrôle tout, et n’a confiance qu’en lui même.
Pourtant, le bilan politique de cette première session, marquée entre autres épisodes par l’attaque de la résidence présidentielle, oeuvre d’un commando dont l’identité, les motivations et les commanditaires demeurent flous, est lui plutôt décevant. L’absence d’un minimum de confiance entre une opposition dont les leaders se surveillent mutuellement et un chef d’État dont l’ego n’est pas mince s’est traduite jusqu’ici par l’incapacité à organiser dans le consensus des élections législatives, clé essentielle d’un apaisement susceptible d’attirer les investisseurs étrangers et la pleine coopération de l’Union européenne. Se tiendront-elles le 8 juillet, comme l’indique la Commission électorale indépendante ? Et, dans ce cas, déboucheront-elles sur une majorité de la coalition au pouvoir ou sur une cohabitation à hauts risques ? Rien n’est encore sûr.
Ce qui l’est, par contre, c’est que les quinze mois écoulés auront permis de voir à l’oeuvre un opposant au pouvoir, avec ce que cet exercice inédit pour la Guinée comporte de surprises et d’aléas. Plus que jamais, Alpha Condé est un président qui concentre beaucoup, contrôle tout, délègue peu et n’accorde sa confiance qu’à lui-même. On peut le comprendre : la survie de son parti et l’issue de son combat, quand il était dans l’opposition, furent à ce prix, et la dépréciation des valeurs, l’effondrement moral étaient tels lorsqu’il a accédé au pouvoir qu’il était très difficile de trouver des cadres intègres, compétents et patriotes sur lesquels s’appuyer. Mais en attendant le « Guinéen nouveau », il faut bien faire avec le Guinéen d’aujourd’hui. Contrairement à beaucoup de ses pairs, Condé ne s’économise pas, ce qui en soi mérite qu’on le relève. Attention toutefois à l’infarctus du pouvoir !
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