Fouad Laroui à fleurets mouchetés contre le dogmatisme

Avec son recueil de nouvelles « 30 jours pour trouver un mari », notre collaborateur ferraille avec humour et légèreté contre l’obscurantisme et les idées toutes faites.

Fouad Laroui. © Maxime Reychman

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Publié le 16 mars 2023 Lecture : 4 minutes.

Romancier, essayiste, chroniqueur, Fouad Laroui démontre ses multiples talents à travers une œuvre qui a débuté en 1996 avec Les Dents du topographe. Retenu dans la première liste du prix Goncourt pour Une année chez les Français, en 2010, il obtient le prix Goncourt de la nouvelle en 2013 pour L’étrange affaire du pantalon de Dassoukine. Subtil observateur de la société marocaine et de la marche du monde, notre collaborateur régulier se montre aussi percutant et intelligent en format long qu’en format court.

Un sabir savoureux

L’auteur marocain, né en 1958 à Oujda, avait publié en 2009 le recueil Le jour où Malika ne s’est pas mariée. Une bande de copains refaisaient le monde dans le Café de l’Univers, à Casablanca. On retrouve le même lieu, la même ambiance de camaraderie dans 30 jours pour trouver un mari. Et le même verbe. Fouad Laroui use du sens de l’humour dont il gratifie ses chroniques destinées à Jeune Afrique. Dans un avant-propos, il nous prévient : « Les conversations relatées ici ont vraiment eu lieu […], elles furent [narrées] dans un sabir savoureux qu’on nomme darija, qui mêle plusieurs langages et idiomes, et qui ignore l’imparfait du subjonctif. »

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Aussi à l’aise pour retranscrire la gouaille du dialecte populaire marocain que dans ce qu’il appelle « la langue MVHY » (Montaigne, Voltaire, Hugo, Yourcenar), Laroui nous enchante par son sens de la formule. Les bons mots se succèdent, et nous ne résistons pas au plaisir de citer l’un d’entre eux : « Vous savez, messieurs, que les physiciens peuvent calculer la pression d’un gaz, surtout s’il est parfait ; il y a des formules pour ça ; mais personne n’a pu, jusqu’à présent, mettre en équation la pression sociale. »

Art de l’effeuillage

Le style Laroui repose sur une maîtrise éprouvée du conte, que l’on retrouve dans ses onze nouvelles. Pour dire, l’auteur emprunte de multiples détours. Un art de l’effeuillage littéraire dont l’écrivain décrit lui-même l’objet, par le truchement de ses personnages. Quand l’un d’eux, impatient de connaître le cœur d’une intrigue, affirme : « On a vraiment besoin de tous ces détails ? », l’autre répond : « Oui, rustre qui ne connais rien à l’art de la narration. Ça pose le décor, ça peint une sorte d’arrière-plan, pour mieux faire ressortir l’étrangeté de ce qui va advenir. » Laroui étire les langueurs pour démultiplier l’intérêt. De délicieuses manœuvres dilatoires, dont le goût pour la parenthèse est l’une des marques de fabrique.

"30 jours pour trouver un mari", de Fouad Laroui, éd. Mialet-Barrault,179 p. 19 euros. © Editions Mialet-Barrault

"30 jours pour trouver un mari", de Fouad Laroui, éd. Mialet-Barrault,179 p. 19 euros. © Editions Mialet-Barrault

Coups de griffes contre les bigots

La griffe de l’écrivain se comprend aussi au sens propre : ses coups de griffes, il les réserve à l’obscurantisme et à ses bigots zélés. Dans sa nouvelle Théo, le marionnettiste, un jeune homme, qui a sombré dans la schizophrénie, s’interroge sur les objets qu’il suspend au bout de ses fils : « Ces marionnettes, les ai-je créées et leur ai-je forgé un destin inexorable ? Après tout, c’est moi qui les mets en scène… Créées… donc je suis, moi, inengendré, impérissable, par rapport à elles… Ou bien me suis-je contenté de leur donner une forme à partir d’une substance éternelle, et m’en suis-je lavé les mains ? Qui sait ce qu’elles font quand je dors… quand elles dorment… le sommeil fait naître des monstres. Le mal, est-ce ainsi qu’il naît ? »

Ce rapport du créateur à ses créatures est bien évidemment celui de Dieu face aux hommes. L’allégorie est soulignée par la finesse du symbole : on rapprochera Théo de « theos », « dieu » en grec. Fouad Laroui, ingénieur de formation, est un scientifique qui met le doute au cœur de sa démarche littéraire.

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Le doute, marque d’un esprit sain

Ainsi, chacune des nouvelles se lit pour elle-même et contient une morale. Bout à bout, l’ensemble forme une histoire dans les histoires : « Celui qui croit au ciel, celui qui n’y croit pas […], nous ne sommes pas très différents, au fond… Un monde créé par un démiurge infaillible est inconcevable, n’essayons même pas d’imaginer tout ça… » Nous ne déflorerons pas la séquence révélée dans l’épilogue, mais nous en donnerons une clé : Laroui nous invite à faire ce pas de côté où le doute n’est pas une infamie mais, au contraire, le signe d’un esprit sain. « Aucune certitude n’est justifiée », dit un personnage, et l’écrivain nous invite à penser en dehors des boîtes et des carcans.

« C’était au tour du solide Ali By de nous instruire en nous divertissant », écrit Laroui au début de l’un des contes, nous livrant ainsi sa propre ambition. Exigeant avec ses lecteurs, il les amène à réfléchir sur le dogmatisme. Conteur hors pair, il nous emporte dans des méandres jamais innocents. Chez Laroui, le génie comme le « diable » – cette faculté à penser autrement – est dans les détails.

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30 jours pour trouver un mari, de Fouad Laroui, éd. Mialet-Barrault, 179 pages, 19 euros.

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