Si les ONG et membres de la société civile multiplient les réactions de colère sur les réseaux sociaux, les propos, hostiles aux personnes d’origine subsaharienne présentes en Tunisie, tenus par le président Kaïs Saïed n’ont pour l’heure provoqué aucune réponse de la part des dirigeants du continent, suscitant colère et incompréhension de la part de nombreux citoyens. Beaucoup espéraient notamment une condamnation sans équivoque de la part de l’Union africaine, mais pour l’heure, si certaines sources affirment qu’un communiqué serait « en préparation », aucune communication officielle n’a encore été faite. On a pourtant connu l’UA plus réactive sur certains sujets qui concernaient moins directement le continent.
« Qu’attendent les présidents africains pour condamner avec la dernière énergie les propos racistes et haineux du président tunisien Kaïs Saïed envers les migrants africains ? », a dénoncé sur Twitter l’ancienne première ministre sénégalaise et militante des droits de l’homme Aminata Touré.
Dans certains pays, les ambassades ont invité leurs ressortissants au calme, et ont déclaré organiser des retours pour les personnes présentes en Tunisie et qui souhaiteraient quitter le pays : c’est le cas des instances diplomatiques du Cameroun, du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire. Mais pour les migrants en situation irrégulière, difficile de faire machine arrière : la Tunisie impose des pénalités de dépassement de séjour à hauteur de 20 dinars par semaine, qui doivent être régularisées avant de quitter le territoire.
Plusieurs personnalités publiques ont également pris la parole sur les réseaux sociaux, comme la militante suisso-camerounaise Nathalie Yamb, connue pour sa proximité avec la Russie. L’influenceuse, qui compte plus de 250 000 abonnés sur Twitter, a pointé du doigt l’absence de réaction des exécutifs subsahariens, de l’Union africaine et de la Cedeao à grand renforts d’insultes. La romancière franco-camerounaise
En Tunisie, depuis quelques jours, un discours haineux et raciste anti-migrant, propagé depuis le sommet de l’Etat, résulte en une chasse à l’homme Noir. Qu’attendent nos gouvernements pour convoquer les ambassadeurs de 🇹🇳 et leur ordonner de faire cesser cela immédiatement? pic.twitter.com/ZXL7tJYDOa
— Nathalie Yamb (@Nath_Yamb) February 22, 2023
Calixthe Beyala a de son côté déclaré sur la chaîne d’information israélienne i24News que le régime tunisien était « négrophobe », appelant sur les réseaux sociaux l’Union africaine à suspendre la participation de la Tunisie.
« Un grand nombre d’immigrés sèment la terreur »
Quant au chef de l’État tunisien, il a profité d’une rencontre avec le ministre de l’Intérieur, le 23 février, pour revenir sur ses propos polémiques, mentionnant à nouveau un « complot » visant à « changer les équilibres démographiques » de son pays, avant de chercher à rassurer « [ses] frères africains » sur le fait qu’ils n’avaient à craindre aucune forme de discrimination.
L’ambassadeur tunisien en République démocratique du Congo, Zambie, Congo, Angola et République centrafricaine a défendu les paroles de Kaïs Saïed, dénonçant une situation qu’il qualifie d’intenable dans l’est du pays. « Il y a un grand nombre d’immigrés qui sèment la terreur : à Sfax, il y a des gens au centre-ville avec des machettes, qui tuent, qui violent… » Interviewé par la chaîne congolaise CMB Digi TV, Adel Bouzekri a ajouté que la Tunisie n’était ni « raciste », ni « xénophobe », et que la lutte du gouvernement contre les personnes en situation irrégulière concernait uniquement « ceux qui sèment la terreur ».
D’après l’activiste tunisien Motez Bellakoud, des violences envers les migrants subsahariens ont d’ailleurs eu lieu à Tunis, le 23 février. « Un groupe de Tunisiens, armés d’épées et de bâtons », auraient délogés un groupe de personnes, avant de les frapper et de mettre le feu à leurs affaires et à leur immeuble, rapporte le militant dans une publication Facebook.
Ce n’est pas la première fois qu’un chef d’État ou de gouvernement tient des propos violemment hostiles aux étrangers ou aux immigrants présents sur son sol, mais jusqu’à présent les dirigeants africains ne s’étaient pas aventurés sur un tel terrain. En 2018, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui a repris ses fonctions fin 2022, jugeait les migrants « pires » que la menace djihadiste. Mentionnant la barrière électronique installée à la frontière entre l’État hébreu et l’Égypte, il affirmait que sans ce dispositif « nous serions confrontés à de graves attaques des terroristes du Sinaï, et pire, à une arrivée massive de migrants africains illégaux ».