Politique

Entre le Maroc et l’Espagne, une amitié retrouvée à l’épreuve des fake news

Alors que se tient actuellement la rencontre de haut niveau tant attendue entre Madrid et Rabat, une nouvelle attaque commise en Espagne par un ressortissant marocain remet sur la table les questions sécuritaires et terroristes, sur fond d’instrumentalisation politique.

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Mis à jour le 3 février 2023 à 11:43

Des policiers espagnols près du corps de l’une des victimes de l’attaque d’Algeciras, le 25 janvier 2023. © Nono Rico/AP/SIPA

Le 25 janvier dernier, Yassine Kanjaa, un ressortissant marocain âgé de 25 ans, attaquait, muni d’une machette, deux églises à Algeciras (Andalousie), tuant un sacristain et faisant quatre blessés, dont un curé. La justice espagnole a depuis placé le jeune homme en détention provisoire et ouvert une instruction judiciaire pour des faits présumés de « terrorisme », même si « toutes les hypothèses restent ouvertes ».

Le gouvernement du Premier ministre Pedro Sanchez quant à lui, notamment le ministère de l’Intérieur, a déclaré que Yassine Kanjaa n’était pas « dans les écrans radars » de la police pour « radicalisation », et préfère attendre les conclusions de l’enquête avant de qualifier la nature de l’attaque.

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Entre-temps, les services de renseignement marocains ont transmis à leurs homologues espagnols des informations sur la santé mentale du prévenu, qui aurait des antécédents psychiatriques à Tanger (nord du Maroc). À Algeciras, où Yassine Kanjaa vivait depuis un an dans une grande précarité, de nombreux habitants ont dressé le profil type d’un jeune homme perdu, sans repères, aux prises avec l’alcool et sujet à des pensées incohérentes.

Avant cette terrible attaque, il s’en serait d’ailleurs pris à l’un de ses colocataires, d’origine marocaine. Lors d’une perquisition à son domicile, la police aurait retrouvé une clé USB contenant de la « littérature » jihadiste, suggérant une « radicalisation très récente ».

Fake news et désinformation

Le 29 janvier, soit deux jours avant la tenue à Rabat de la rencontre de haut niveau entre l’Espagne et le Maroc, le journal El Mundo fait monter la tension en publiant une information potentiellement explosive. Le quotidien conservateur – connu pour sa version contestée des attentats de Madrid (2004) – affirme que le Maroc avait entravé la procédure d’expulsion de Yassine Kanjaa. Ainsi, selon le journal, l’assaillant, qui faisait bel et bien l’objet d’une procédure d’expulsion, attendait, faute de passeport, un laissez-passer que les autorités marocaines ne lui auraient jamais délivré. « Son retour dépendait donc du Maroc », estime El Mundo.

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Une information reprise en boucle par les médias et les milieux de droite et d’extrême droite espagnols, mais qui serait en fait une fake news. En effet, les services sécuritaires et consulaires marocains n’auraient reçu aucune demande d’expulsion ou d’avis concernant Yassine Kanjaa. Côté marocain, certains y voient même une tentative de saboter les relations diplomatiques entre Madrid et Rabat, alors que la réunion de haut niveau qui se tient ces 1er et 2 février a surtout vocation à afficher cette relation bilatérale sous son meilleur jour.

Le jour de l’attaque d’Algeciras, la police a également arrêté un « jihadiste présumé » à Gérone (Catalogne). Un jeune homme de 28 ans, dénommé Fathallah Benhachem Gharrass, d’origine marocaine et de nationalité espagnole. Ce dernier cherchait à acquérir sur le dark web des fusils AK-47, des pistolets 9 millimètres Glock et des ceintures d’explosifs. Il envisageait de « mitrailler » les gens « sur la plage de Benidorm ».

Menace « élevée et latente »

Si l’Espagne n’a plus connu d’attentats terroristes islamistes (avérés) depuis 2017, la menace semble donc se renforcer depuis quelques temps. L’Intérieur évoque une menace « élevée, latente, vivante et active ». En 2021, les autorités espagnoles ont arrêté 39 personnes liées au jihadisme.

Les prévisions pour 2023 de l’Institut royal Elcano insistent sur ce point : « La reproduction du jihadisme mondial en Espagne se poursuit à travers les processus de radicalisation qui se déroulent au sein des communautés musulmanes, en particulier parmi les adolescents et les jeunes de la deuxième génération. »

Pour rappel, les ressortissants marocains, binationaux ou d’origine marocaine, sont au nombre de 800 000 en Espagne et représentent la première communauté musulmane du pays. L’Institut estime d’ailleurs que si la majorité des jihadistes en Espagne sont marocains ou d’origine marocaine, « ils sont plus susceptibles de se livrer à des entreprises terroristes en Espagne qu’au Maroc ». En cause : l’exclusion sociale et les conflits identitaires, lesquels engendrent des vulnérabilités que les organisations jihadistes peuvent exploiter.