Mauritanie : esclavage, les chaînes du passé

Aboli en 1981, puni par la loi depuis 2007, l’esclavage n’en reste pas moins ancré dans les esprits en Mauritanie. Et demeure largement répandu.

L’IRA lutte contre les coutumes qui permettent à l’esclavage de perdurer. © Reuters

L’IRA lutte contre les coutumes qui permettent à l’esclavage de perdurer. © Reuters

Publié le 18 septembre 2012 Lecture : 3 minutes.

De l’esclavage, les Mauritaniens aimeraient pouvoir parler au passé. Mais si la chape de silence s’est fissurée, la pratique perdure, surtout dans les régions reculées du pays, où peu d’habitants connaissent leurs droits. Juste des « séquelles », selon les autorités, lesquelles sont ancrées de longue date dans le déni. Il est dès lors difficile d’en mesurer l’ampleur – on ignore, par exemple, le nombre d’esclaves. Selon les organisations abolitionnistes, ils représenteraient plus de la moitié de la population. « L’esclavage n’existe plus en Mauritanie, mais dans l’esprit de ceux qui y croient », avait martelé le chef de l’État, Mohamed Ould Abdelaziz, lors d’une allocution télévisée, en 2011. Un discours qui avait déjà été celui du colonel Maaouiya Ould Taya, au pouvoir entre 1984 et 2005.

« Être esclave, c’est être la propriété de quelqu’un dont le père, le grand-père ou l’arrière-grand-père a possédé votre père ou votre mère, rappelle Balla Touré, secrétaire aux relations extérieures de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA). Il n’y a donc aucun moyen de répudier la volonté du maître, puisque son autorité est naturelle. » S’il subsiste un esclavage traditionnel, les victimes ne sont aujourd’hui plus soumises par la force, mais par leur culture et leur éducation. C’est pourquoi peu d’entre elles osent porter plainte, d’autant qu’il est difficile d’apporter des preuves.

Rare sont ceux qui osent porter plainte, d’autant qu’il est difficile d’apporter des preuves.

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Souvent, les maîtres hébergent et nourrissent leurs esclaves, voire les scolarisent. L’absence de prise en charge après l’affranchissement n’est pas, elle non plus, incitative. Dans une société divisée entre les Maures arabo-berbères blancs (les Beydanes) – chez qui la pratique est le plus répandue – et les Négro-Mauritaniens (Peuls Toucouleurs, Soninkés, Wolofs et Haratines), la question est ultrasensible. « L’esclavage n’est toujours pas éradiqué en Mauritanie car le mode de gouvernance est patriarcal et fondé sur les coutumes et les allégeances entre tribus, analyse l’anthropologue Malek Chebel. Les lois n’ont pas été suivies d’effet. »

Exégèses erronées

Aboli en 1981, l’esclavage n’a pas été réprimé jusqu’en 2007. Conformément à une promesse de campagne de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, élu président de la République en mars 2007, une loi l’interdisant a été adoptée à l’unanimité. Les contrevenants encourent cinq à dix ans de prison et entre 500 000 et 1 million d’ouguiyas (1 290 à 2 580 euros) d’amende. Du moins sur le papier, puisqu’une seule affaire a été portée devant les tribunaux. Mais l’accusé, Ahmed Ould Hassine, condamné en novembre 2011 pour avoir exploité deux enfants mineurs, a été remis en liberté provisoire en mars dernier… « Le simple fait d’édicter une loi ne suffit pas, martèle Ibrahima Moctar Sarr, président d’Alliance pour la justice et la démocratie/Mouvement pour la rénovation (AJD/MR, opposition). Un travail de conscientisation doit être mené afin de mettre fin aux mauvaises interprétations de l’islam. »

Dans cette République islamique, les maîtres instrumentalisent en effet bien souvent la religion afin de légitimer leur comportement. Le Livre saint peut ainsi faire l’objet d’exégèses erronées. « Le Coran ne condamne ni n’encourage, il constitue un état des lieux de la société au VIIe siècle, rappelle Malek Chebel. Il n’a pas vocation à régler les problèmes actuels. » Sans oublier que le Prophète en personne avait donné l’exemple en faisant affranchir le célèbre Bilal al-Habashi, l’un de ses futurs compagnons et premier muezzin de l’islam. Ouvert par Biram Ould Abeid, le débat en tout cas fait rage et peut parfois donner lieu à des dérives. En mai, le leader de l’IRA a été inculpé avec six autres militants pour, entre autres, « violation des valeurs islamiques », après avoir brûlé des ouvrages de commentateurs du rite malékite (dont ceux d’Ibn Achir, Al-Akhdari et Khalil) validant, selon eux, l’esclavage. Le 3 septembre, tous ont bénéficié d’une mise en liberté provisoire.

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