Érythrée : Biniam Simon, si loin, si proche

Depuis Paris, cet Érythréen nargue le gouvernement d’Asmara en enregistrant des bulletins de nouvelles pour Radio Erena, unique radio indépendante du pays.

Biniam Simon, 41 ans. © Bruno Levy pour J.A.

Biniam Simon, 41 ans. © Bruno Levy pour J.A.

Publié le 14 février 2013 Lecture : 4 minutes.

Érythrée, 1993. Tout est à faire dans ce petit pays de la Corne de l’Afrique qui vient d’arracher son indépendance au voisin éthiopien après trente années d’hostilités. Tout, y compris mettre en place des médias. Biniam Simon, 41 ans aujourd’hui, sera de ceux qui ont vu naître à Asmara, la capitale, la toute première télévision nationale, Eri-TV. Dans un petit studio du 13e arrondissement parisien, il évoque l’excitation et la fébrilité qui prévalaient à l’époque, malgré les indices déjà présents de la censure à venir. « Nous avons été brièvement formés par une agence canadienne, After Scene, mais nous étions coupés de tout contact avec le monde extérieur et ne savions pas vraiment comment faire notre métier. Les corrections apportées à nos textes par le ministère de l’Information nous semblaient honnêtes… »

Ses collègues et lui ont déchanté quelques années plus tard lorsque, en 2001, la dictature d’Issayas Afewerki – au pouvoir depuis 1993, il conserve sa mainmise sur le pays – envoie les journalistes en prison par centaines. « Vous commencez par vous autocensurer pour éviter les foudres du régime, en faisant bien attention de ne pas commettre d’impairs. Puis vous devenez une marionnette du régime », dit-il.

Après plusieurs semaines à se cacher dans l’appartement d’un journaliste de RSF à Tokyo, Simon obtint un statut de réfugié en France.

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Par chance, Biniam Simon se trouvait au Japon pour une formation lors de la seconde rafle contre les médias, en 2006. Le journaliste préféré du dictateur, Temesghen Debesai, venait de prendre la fuite, à l’instar d’autres reporters connus du pays, et Afewerki voulait savoir qui orchestrait ces exfiltrations. Simon, qui présentait alors le journal du soir en Érythrée, savait qu’il serait le prochain sur la liste s’il remettait les pieds au pays. La mort dans l’âme, il contacta le responsable de l’époque de la section Afrique de Reporters sans frontières (RSF), Léonard Vincent, pour lui demander de l’aide. Le Français monta un scénario rocambolesque pour permettre la fuite de son confrère. Et après plusieurs semaines à se cacher dans l’appartement d’un journaliste de RSF à Tokyo, Simon obtint un statut de réfugié en France. Avec une seule idée en tête : pratiquer un journalisme indépendant. Son métier est tout ce qu’il lui reste : il n’a ni femme ni enfant et a dû laisser ses parents derrière lui. C’est en 2009, avec RSF, qu’il a fondé Radio Erena.

Ses fonds proviennent essentiellement des programmes d’aide de l’ONG et ne permettent de réaliser qu’un seul bulletin en langue tigrigna, enregistré tous les jours à 11 heures puis retransmis via le satellite Arabsat. La programmation est complétée par des reportages acheminés via internet par des correspondants postés un peu partout dans le monde, mais aussi en Érythrée. « J’ai eu beaucoup de chance, ce qui n’a pas été le cas de plusieurs collègues. Mais ce que je ressens n’est pas tant un sentiment de culpabilité que de devoir : ici, nous parlons d’eux sans arrêt, nous sommes leur voix. Je ne les oublierai pas. » Un dévouement journalistique confirmé par Léonard Vincent. « Biniam a choisi de quitter une vie confortable, mais le fait qu’il ait été le visage du régime à la télévision s’est avéré un vrai cas de conscience pour lui. Sa soif de vérité n’en est sans doute que plus forte aujourd’hui. »

Installé dans un appartement de banlieue, le quadragénaire effectue sept jours sur sept le long trajet de RER jusqu’au studio de la radio. Mais le plus ardu pour lui fut de s’approprier la langue de Molière. « C’est vraiment très difficile de refaire sa vie ailleurs. Mais le plus lourd dans tout ça est d’apprendre le français, et avec la radio je n’ai pas le temps », souffle le journaliste en se versant une tasse de café tiède dans la cuisine du studio. Une cuisine habitée, avec ses pièces d’artisanat et ses photos de proches accrochées au mur. Biniam Simon et son compatriote Amanuel Ghirmai s’y retrouvent tous les jours.

Le journaliste ignore l’ampleur exacte de son audience, mais il a eu plusieurs fois la preuve de la confiance qu’inspirait Radio Erena aux Érythréens. Notamment lors des événements du 21 janvier, alors que des soldats mutins avaient encerclé le ministère de l’Information à Asmara. « Les Érythréens écoutent clandestinement Radio Erena, et c’est tout naturellement qu’ils se sont tournés vers elle pour s’informer », raconte Léonard Vincent.

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En septembre, Asmara a brouillé le signal. Le rétablissement, fragile, n’est venu qu’à la mi-janvier. Ce n’était pas le premier sabotage mené par la dictature, qui a juré de mettre la radio hors circuit. « La vie ne se passe pas toujours comme on l’avait prévu, mais si je peux continuer à informer mes concitoyens, alors ce sera déjà ça de pris », dit Biniam Simon.

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