Avec le film « Blind Ambition », le monde du vin prend des couleurs

Ce documentaire suit l’entraînement de quatre immigrés zimbabwéens formés à la sommellerie en Afrique du Sud pour participer au championnat du monde de dégustation. Un film « feel good » réjouissant sur l’intégration par le travail.

Image tirée du film « Blind Ambition » © Third Man Films

Publié le 27 août 2022 Lecture : 3 minutes.

L’Afrique du Sud tourne au vinaigre. La xénophobie, alimentée par un chômage de masse, se répand dans la société et infuse le discours politique. Le gouvernement veut imposer des quotas de travailleurs étrangers, notamment dans l’hôtellerie et la restauration. Il prévoit également de mettre fin à l’exception de visa dont bénéficient 178 000 Zimbabwéens. C’est dans ce contexte morose qu’est sorti, en Afrique du Sud et au Royaume-Uni, le documentaire Blind Ambition tourné en 2017. Un vrai petit remontant de 90 minutes.

Pouvez-vous me citer cinq Chardonnay sud-africains ?

L’histoire prend racine en 2008, quand la crise économique frappe le Zimbabwe et force Tinashe Nyamudoka, Pardon Taguzu, Joseph Dhafana et Marlvin Gwese à rejoindre l’Afrique du Sud. Certains avec un passeport et un billet d’avion, d’autres en se faufilant sous des barbelés. Direction Le Cap, ses hôtels, ses restaurants et ses vignobles. Les quatre garçons trouvent du travail dans la restauration malgré leur manque de qualifications. « Pouvez-vous me citer cinq Chardonnay sud-africains ? » demande un employeur à Tinashe lors d’un entretien. C’est la colle.

Ils sont devenus l’élite de la sommellerie zimbabwéenne en Afrique du Sud

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Le vin devient rapidement synonyme de pourboires. En salle, Tinashe sait que vendre des bouteilles fait grossir l’addition et les billets qui vont avec. Puis les garçons se forment, goûtent de plus en plus, se passionnent. « Ils ont beaucoup travaillé. Ils ont payé les cours de leur poche et ils sont devenus l’élite de la sommellerie zimbabwéenne en Afrique du Sud », retrace Jean Vincent Ridon, sommelier français installé au Cap et coach de l’équipe sud-africaine de dégustation.

 © Third Man Films

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« JV », comme il est surnommé dans le documentaire, entraîne un temps les quatre Zimbabwéens pour concourir au championnat du monde de dégustation organisé par La Revue du vin de France (RVF). Jean Vincent Ridon leur propose de former la Zimbabwe Team. « On n’allait pas rester le seul petit pays [l’Afrique du Sud, ndlr] au bout du continent à connaître le monde du vin. Le Zimbabwe est là et j’espère que d’autres pays vont s’arrimer à cette culture grandissante du vin en Afrique », ambitionne Jean Vincent Ridon.

Grand nez, grande gueule

Déjà occupé à former l’équipe sud-africaine, le sommelier confie la Zimbabwe Team à l’un de ses amis français qui a vécu en Afrique du Sud, l’inénarrable Denis Garret. Denis est un grand nez, mais aussi une grande gueule qui porte une partie du film grâce à son caractère de cochon. Sous sa direction, les quatre Zimbabwéens sont censés s’entraîner pour le concours : 12 vins à identifier, des blancs et des rouges, venus du monde entier. Mais tout ne se passera pas comme prévu.

Suspense du championnat, comique des relations entre les protagonistes, émotion quand on réalise le chemin parcouru par ces quatre réfugiés… le documentaire est un savoureux mélange de genres, également politique sans être moralisateur. L’énergie et la bonne humeur de Tinashe, Pardon, Joseph et Marlvin bousculent un petit milieu bourgeois, rigide et monochrome, mais désireux de s’ouvrir.

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Rendez-vous en terroir inconnu

Le documentaire tire évidemment sur la fibre Rasta Rockett, ce film culte des années 1990 sur une équipe de bobsleigh jamaïcaine, inspiré d’une histoire vraie. « C’est comme si l’Égypte envoyait une équipe de skieurs aux Jeux olympiques d’hiver », dit d’ailleurs une protagoniste au sujet des Zimbabwéens. La dégustation est un rendez-vous en terroir inconnu. Arômes de groseille, notes de cassis… Difficile de s’y retrouver quand ces baies ne font pas partie du jardin zimbabwéen.

 © Third Man Films

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« Je n’ai jamais vu un cassissier de ma vie », s’amuse Tinashe. Aujourd’hui, il veut africaniser le langage du vin. « À un moment tu réalises qu’ils ne mettent pas de cerises dans le vin, que c’est juste une association ! Ça a été une révélation dans mon appréciation du vin quand j’ai commencé à l’associer avec des choses que je connais, comme le lait fermenté que faisait ma grand-mère », développe-t-il.

Je voudrais que ce documentaire change la vie des gens

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Cette nouvelle génération de sommeliers veut laisser son empreinte. Trois d’entre eux produisent désormais leur propre vin. Les quatre amis doivent se retrouver en octobre pour participer à la prochaine édition du championnat du monde de dégustation. Le même mois, ils doivent présenter le film au Zimbabwe. « Je voudrais que ce documentaire change la vie des gens », souhaite Joseph. « Il y a 15 ans, les sommeliers étaient exclusivement blancs. Je fais partie des premières personnes de couleur à avoir été en salle. Je veux montrer aux gens que tout est possible si vous êtes déterminés. »

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Le succès du film et son impact sur la société dépendront de sa diffusion, qui est confidentielle. Joseph espère que le film aura une seconde vie sur Netlfix. Remporter le championnat du monde leur offrirait un beau coup de pub. Après tout, la Hongrie l’a bien gagné.

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