Jeune Afrique : Coup d’État ou deuxième round révolutionnaire ?
Tewfik Aclimandos : Les deux. C’est un coup d’État réclamé par une immense majorité de la population. La purge est, il est vrai, d’une grande brutalité et des questions se posent : arrête-t-on les Frères musulmans quelques semaines, le temps de calmer le jeu, ou va-t-on les emprisonner plus longtemps ? Et quel a été l’impact sur l’opinion de la tuerie des manifestants pro-Morsi du 8 juillet ? L’avenir le dira. Toujours est-il que, entre l’armée et les Frères, la majorité des Égyptiens continue de préférer l’armée. Tout le monde voulait se débarrasser de ce pouvoir.
Ce « coup de pouce » militaire devait-il être aussi brutal ?
Je pense que c’était inévitable. La confrérie est une véritable machine de guerre qui a exercé un pouvoir intrinsèquement criminel – ce qui vaut aussi pour l’armée, je le concède. Dans toute démocratie aboutie, Morsi et les patrons des Frères auraient été jugés et condamnés à des peines sévères. En Égypte, j’espère que la justice saura faire son travail, cherchant à établir les responsabilités et garantissant une défense solide aux accusés.
L’intervention était-elle préméditée ?
L’armée avait deux plans. Le premier visait à obtenir des Frères musulmans qu’ils fassent enfin le nécessaire pour apaiser la société. Je suis persuadé que l’armée aurait préféré un pouvoir civil, fût-il entre les mains des islamistes, à condition que ceux-ci se montrent modérés et sachent gérer la société et l’économie. Les Frères s’en sont révélés incapables, pour des raisons idéologiques et des problèmes de compétence. Le second plan était l’intervention. Les officiers faisaient pression sur leur hiérarchie en ce sens depuis mars-avril.
Est-ce l’échec des Frères musulmans ou celui de l’islam politique ?
On ne le saura pas tant qu’il n’y aura pas de consultation électorale. Certes, jamais l’idée de laïcité n’a été aussi populaire en Égypte et c’est exclusivement dû aux Frères musulmans. L’islamisme vient de subir une secousse de très grande ampleur, mais cela m’étonnerait beaucoup que l’on ne le retrouve pas sur la scène politique, après un nécessaire examen de conscience.
Les Frères ont appelé au soulèvement : la guerre civile menace-t-elle ?
Cela me semble peu probable, parce que le rapport de forces leur est très défavorable et qu’ils continuent de perdre des points en optant pour la stratégie du pire. Mais ils ont les moyens de semer de graves troubles dans certains gouvernorats, dont ceux du Sinaï.