Décidément, Alger ne ménage pas ses efforts pour le retour de la Syrie dans le giron arabe. En déplacement à Damas, le ministre des Affaires étrangères algérien Ramtane Lamamra a rencontré, le 25 juillet, son homologue syrien Faisal Mekdad, ainsi que le président Bachar al-Assad.
Au cours d’une conférence de presse conjointe, le chef de la diplomatie algérienne a réitéré son soutien au retour de la Syrie dans la Ligue arabe, affirmant que son absence était « préjudiciable à l’œuvre arabe commune ». Se voulant optimiste, il a par ailleurs ajouté que « de nombreux responsables arabes se rendent à Damas et rencontrent des responsables syriens ». En effet, les pays arabes reprennent doucement la route de Damas.
La Jordanie a rouvert sa frontière nord, le ministre des affaires étrangères des Émirats arabes unis, Abdallah Ben Zayed Al Nahyane, s’est rendu en Syrie en novembre 2021, les Saoudiens nouent officieusement des contacts via les services de renseignement, Bahreïn a renvoyé un ambassadeur en décembre 2021 et l’Égypte multiplie les déclarations favorables à un retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe.
La Syrie se fait ainsi de plus en plus fréquentable aux yeux de ses partenaires arabes et pourrait retrouver son siège vacant. Après la répression de la contestation contre le régime, Damas avait été suspendue de l’organisation régionale dès novembre 2011.
Contrairement à celle de certains pays du Golfe, l’attitude d’Alger vis-à-vis de la Syrie n’est pas nouvelle. Le 5 juillet, le chef de la diplomatie syrienne Faisal Mekdad avait été invité en Algérie à l’occasion des 60 ans de l’indépendance.
Une occasion rêvée de rencontrer plusieurs délégations arabes et africaines. À cette occasion, le président tunisien, Kaïs Saïed, a d’ailleurs adressé un message de salutations à son homologue syrien via le diplomate. De surcroît, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, avait déjà suggéré en novembre que Bachar al-Assad pouvait revenir au sein de l’organisation régionale. « La Syrie est censée être présente », avait-il alors déclaré.
Un soutien indéfectible à Damas
La posture algérienne s’inscrit donc dans la durée. Les deux pays n’ont jamais coupé leurs relations, même au plus fort de la répression puis de la guerre civile. Le ministre des Affaires étrangères algérien de l’époque, Abdelkader Messahel, s’était même rendu dans la capitale syrienne en avril 2016. Lors d’une entrevue avec le président syrien, il avait rappelé le « soutien de l’Algérie au peuple syrien dans sa lutte contre le terrorisme, afin de préserver la stabilité et la sécurité de la Syrie et l’union et la cohésion de son peuple ».
Cette tendance s’est accentuée avec la création en mars d’un groupe d’amitié parlementaire Algérie-Syrie au parlement algérien. Depuis, ce dernier fait office de cadre institutionnel pour le renforcement des relations bilatérales. Le groupe participe activement à « dynamiser la diplomatie » à travers des rencontres, des échanges et des réunions.
La constance de la position algérienne dans le dossier syrien s’explique en partie par de nombreux points communs avec Damas. Outre les bons rapports avec Moscou dans le domaine militaire – le régime syrien a été sauvé par une intervention militaire et l’Algérie est le premier client en armes russes du continent africain –, les deux pays font surtout partie d’un bloc arabe rejetant catégoriquement la normalisation des relations avec Israël. Ainsi un retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe permettrait à Alger de renforcer le poids de sa position, face aux nouvelles donnes géopolitiques régionales.
Alger avait également refusé de classer, en 2016, le Hezbollah dans la liste des organisations terroristes, ce qui avait provoqué l’ire des pays du Golfe. Le parti libanais financé par l’Iran a participé activement aux combats en Syrie aux côtés des troupes loyalistes de Bachar al-Assad. En février, un groupe d’amitié parlementaire Algérie-Iran a vu le jour.
Concorde idéologique
Des liens qui ne sont pas sans conséquences sur le Maghreb et les relations algéro-marocaines, empoisonnées depuis de longues années par la question du Sahara occidental. En mai 2018, Rabat avait en effet accusé Téhéran d’armer le Polisario via le Hezbollah. Les relations diplomatiques sont rompues entre les deux pays depuis, alors que le Maroc a normalisé et développé ses liens avec l’État hébreu en 2021.
Indépendamment des alliés communs, l’Algérie et la Syrie partagent une même approche d’un pouvoir autoritaire centré sur l’appareil militaire et sur la lutte contre les islamistes. Sur le plan idéologique, les deux pays constituent les derniers représentants d’un nationalisme arabe vieillissant.
Bachar al-Assad avait lui-même fait le lien entre la décennie noire en Algérie dans les années 1990 et l’actuel conflit syrien. « Les positions du peuple algérien en faveur de la Syrie ne sont pas surprenantes car ce peuple a connu une épreuve presque similaire à celle du peuple syrien, qui fait face aujourd’hui au terrorisme », avait déclaré le président syrien en 2013 lors d’une rencontre avec l’ex-ministre algérien des Affaires étrangères Lakhdar Brahimi, alors médiateur international de l’ONU pour la Syrie.
Pour la petite histoire, la Syrie a également été une terre de refuge pour l’ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika. Lors de sa fameuse traversée du désert dans les années 1980 et 1990, et après son inculpation par la Cour des comptes en 1983, Abdelaziz Bouteflika s’était installé dans un appartement à Damas, qu’il partageait avec Ilich Ramirez Sanchez, dit « Carlos ». Les deux hommes s’étaient connus en décembre 1975 lors de la prise d’otages des ministres de l’Opep en Autriche, que Carlos avait orchestrée avec cinq de ses acolytes. L’ex-diplomate y a demeuré quelques mois avant de s’installer aux Émirats arabes unis.
À la fin des années 1990, l’ex-président Bouteflika avait décidé de signer la Concorde civile, un corpus de lois ouvrant la voie à l’amnistie d’anciens jihadistes. La Syrie pourrait-elle s’inspirer de cette expérience ? Rien ne l’indique pour le moment.