Rien ne va plus au Rassemblement national des indépendants (RNI). Depuis une dizaine de jours, Aziz Akhannouch, le secrétaire général du parti et chef du gouvernement, est dans la tourmente. Sur les réseaux sociaux, les messages vindicatifs, accompagnés de la mention #Dégage_Akhannouch, sont partagés en masse.
Principal reproche adressé à l’intéressé : son inaction supposée face à l’inflation, que les internautes imputent à sa double casquette de chef du gouvernement et d’actionnaire d’Akwa, dont la filiale, Afriquia, est l’une des principales sociétés marocaines de distribution de carburant.
En clair, les détracteurs d’Aziz Akhannouch dénoncent un conflit d’intérêts. Le chef du gouvernement est ainsi accusé de profiter de la hausse significative des prix du carburant pour réaliser des bénéfices conséquents.
Le RNI a répliqué en dénonçant une campagne de lynchage alimentée par de faux comptes. Pour sa défense, le parti s’est notamment appuyé sur les travaux du chercheur britannique Marc Owen Jones, spécialiste des opérations de manipulation de l’opinion sur Twitter.
Après avoir analysé 19 000 tweets postés entre le 14 et le 16 juillet, ainsi que 10 000 comptes ayant participé à la campagne, ce dernier a constaté une augmentation anormale du nombre de compte créés (522 en une seule journée, et 796 depuis le début du mois de juillet) et dont l’unique activité consiste à publier des messages contenant le hashtag #Dégage_Akhannouch. Un chiffre à nuancer au regard des 10 000 comptes étudiés, ainsi qu’à celui du nombre total des partages, supérieur à 1 million.
S’agit-il d’une campagne limitée aux réseaux sociaux et peu crédible, comme le laissent entendre les proches du chef du gouvernement ? Ou assiste-t-on à une véritable levée de boucliers contre l’ancien ministre de l’Agriculture ? Sollicités par JA, des membres de son entourage n’ont pas souhaité s’exprimer publiquement sur le sujet.
Quand la MAP s’en mêle…
À la conjoncture économique et sociale difficile s’est ajoutée une campagne agricole 2022 très mauvaise, qui a contribué à maintenir la pression sur Akhannouch. Dos au mur, les membres du parti ont été contraints de réagir. Ils l’ont fait de façon souvent maladroite, ce qui n’a eu pour effet que de renforcer la défiance à l’égard du gouvernement.
L’une de ces contre-attaques n’est d’ailleurs pas passée inaperçue. Dans une dépêche diffusée le 21 juillet, intitulée « Dix points clés pour comprendre la campagne [sur] les réseaux sociaux contre le chef du gouvernement », l’Agence marocaine de presse (MAP) a ouvertement pris parti en faveur du chef du gouvernement. Le fond et la forme de cette dépêche, aux allures de tract militant, ont suscité l’incompréhension puis l’ire de nombreux responsables politiques de l’opposition.
La MAP écrit notamment : « L’attaque ad hominem contre le chef du gouvernement sur les réseaux sociaux est le niveau le plus bas auquel l’éthique de l’action politique est tombée dans notre pays. La manipulation de simples citoyens dans ce sens est abjecte ».
Ou encore : « La personnalisation de la campagne, en mettant le chef du gouvernement au cœur de la cible, vise autre chose que la défense du pouvoir d’achat des citoyens. C’est une convergence entre des milieux activistes clandestins et une opposition qui n’accepte pas, à ce jour, sa défaite électorale [à la loyale] ».
Un ton engagé qui tranche avec la neutralité à laquelle se plie généralement l’agence et que l’opposition n’a pas manqué de dénoncer. Certains médias marocains sont allés jusqu’à mettre directement en cause Khalil Hachimi Idrissi, le directeur général de l’agence, accusé de partialité en raison de son passé de directeur du quotidien Aujourd’hui le Maroc, dont l’actionnaire majoritaire n’est autre… qu’Aziz Akhannouch.
Après avoir accusé la MAP de « dériver de sa ligne éditoriale et de sa culture d’institution nationale de premier plan dans le domaine des médias », le groupe parlementaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) a déclaré, le 25 juillet, avoir convoqué Khalil Hachimi Idrissi et le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mehdi Bensaïd.
« Que Dieu les guérisse »
Alors que le parti de la colombe espérait profiter de sa victoire aux élections partielles – le RNI a remporté les deux sièges où il présentait des candidats – pour asseoir sa légitimité, en opposant aux réseaux sociaux la réalité des urnes, la satisfaction aura été de courte durée.
Au lendemain des élections, Rachid Talbi Alami, le président de la Chambre des représentants, a affirmé dans un discours que ceux qui relayent des messages négatifs à l’encontre du chef du gouvernement sont des « malades », souhaitant que « Dieu les guérisse et les remette dans le droit chemin ».
Abondamment commentée, la sortie de ce cadre du RNI, qui fut ministre de la Jeunesse et des Sports, tourne en boucle sur les réseaux sociaux. Les internautes fustigent ce qu’ils considèrent comme un mépris de classe envers des revendications légitimes de citoyens.
En attendant, pendant que plusieurs sources évoquent déjà l’éventualité d’un remaniement ministériel dans les semaines à venir, certains craignent que cette campagne, pour l’instant virtuelle, ne se transforme en un mouvement de boycott similaire à celui de 2018.
Cette année-là, un appel au boycott lancé sur Facebook contre plusieurs marques avait conduit plusieurs groupes privés et le gouvernement de Saâdeddine El Othmani à annoncer une série de mesures et de baisses des prix. À l’époque, Aziz Akhannouch et son entreprise, Afriquia, figuraient déjà parmi les principales cibles de l’opinion.