« On est là pour la paix, pour lutter contre le terrorisme. Israël est un pays du Moyen-Orient, nous sommes voisins. Il n’y a pas d’autres solutions que de se mettre autour de la table pour discuter ensemble », glisse un observateur militaire qatari sur le tarmac de l’aéroport de Tan-Tan, ville côtière du sud-ouest marocain.
Contrairement aux apparences, ce 28 juin, il ne s’agit pas d’une réunion diplomatique arabo-israélienne mais bien d’un exercice militaire. Pour la première fois, à l’occasion de la 18e édition de l’African Lion, des officiers qataris et israéliens observent ensemble un entraînement d’ampleur à tirs réels réalisé et coordonné par les Forces armées royales (FAR) marocaines et l’armée américaine.
Des militaires marocains, israéliens, américains, qataris, français, nigériens, ou encore djiboutiens, sous l’égide de l’Union africaine (UA) ou de l’Otan, ont embarqué à Agadir à bord du même avion militaire marocain C130. À l’entrée de la base militaire de Tan-Tan, les drapeaux des dix pays partenaires flottent au sommet d’une colline surplombant le gigantesque champ de tirs. Des tapis rouges forment un corridor d’accueil menant à des tentes où se sont réunis les représentants de chaque pays – partenaires et observateurs – pour détailler le scénario et l’exercice.
« Après le vote d’une résolution par le Conseil de sécurité de l’ONU, une coalition internationale se forme. Le déploiement de la TASK Force combinée Lion a lieu huit jours après », peut-on lire sur une diapositive. À Tan-Tan, la coalition s’exerce à mener une contre-offensive sur « Sudala », un nom fictif pour désigner le territoire marocain. Car cette année, l’African Lion lutte contre une « offensive surprise », tout aussi fictive.
Scénario défensif
Avant le début de l’entraînement, le colonel marocain Nabil Taoussi, qui dirige l’exercice tactique, explique : « Ces activités sont clôturées par une manœuvre interarmées, avec l’utilisation notamment de drones de combat, de bombardiers stratégiques et de lance-roquettes HIMARS d’une portée maximale de 300 km. »
Des drones de combat de conception turque Bayraktar TB2, commandés par le Maroc en 2021, devaient être déployés pour la première fois en public. Un événement attendu, mais qui a dû être annulé du fait des conditions météorologiques. L’exercice démarre donc par le décollage d’avions de chasse F-16 marocains, suivis d’hélicoptères de combat Apache marocains et américains, bombardant avec fracas une cible.
Puis les chars M1 Abrams en colonne avec les chars M109 marocains entrent en action. Cette démonstration vrombissante vise notamment à contrer des « drones kamikazes » et les forces de l’ennemi factice. « Je suis là pour observer la différence entre l’Eagle Lion, un exercice organisé par les Américains au Moyen-Orient, et l’African Lion. C’est important pour le Qatar d’assister aux deux exercices et de se rendre compte des difficultés éventuelles d’un exercice multinational », explique à JA le colonel qatari Saoud Al Ahbabi.
Le scénario mobilise dans cette phase près de 2 600 soldats – plus de 1 900 côté FAR et plus de 600 côté américain – et 450 tanks à majorité marocains. Au loin, les tirs à balles réelles se succèdent et font voler le sable du cap Draa. Le lieu s’emplit de l’odeur caractéristique de la poudre.
À la fin de l’exercice, le brigadier kényan Steven Matuko, représentant de l’UA, commente : « Cet exercice se déroule très bien, c’est très bien organisé, bien coordonné, et c’est positif pour notre continent. Derrière cet exercice, c’est l’unité de l’Afrique pour la paix et la sécurité qui se joue. C’est ce que recherche l’Union africaine. » Reste que l’objectif de l’exercice à Tan-Tan est de contrer une attaque qui arrive de « Chekkir » – le nom fictif de la Libye – et l’axe principal de l’offensive ennemie traverse « Nehone » – le nom fictif de l’Algérie…
Bouleversement régional
La France, absente l’année dernière en tant qu’observateur, s’exprime cette année par la voix du colonel Yvan Rols. « J’espère que l’on pourra continuer à progresser dans la coopération entre nos différents pays au service de la stabilité en Afrique », commente-t-il sobrement. Les observateurs israéliens, dont la présence à l’African Lion 2022 était incertaine, ne prendront pas la parole.
Si les différents officiers des États participants sont intarissables sur le terrorisme, l’instabilité au Sahel, ou la menace Wagner, la question de l’Algérie semble plus sensible. Alors que Rabat et Alger ont rompu leurs relations diplomatiques, l’Algérie a, comme chaque année, effectué un exercice à la frontière marocaine, non loin de Tindouf, sans alliés internationaux. L’exercice Al Somoud 2022, dirigé début juin par le chef d’état-major de l’armée, Saïd Chengriha, a été réalisé de nuit et à tirs réels.
La Russie et l’Ukraine dans tous les esprits
D’après nos informations, l’Algérie s’apprête à faire pour la première fois des exercices avec la Russie et les unités des Forces spéciales russes à la fin de 2022. À ce sujet, le général Turley, de la Garde nationale de l’Utah, rencontré par JA, commente : « Je suis préoccupé par cette perspective. Évidemment à cause de ce qui se passe en Europe et en Ukraine… Je pense que dans la plupart des situations, et je crois que cela s’applique à de nombreux domaines, y compris des situations telles que l’Ukraine, plus nous avons de partenariats, plus nous avons des occasions de travailler avec nos alliés, plus nous sommes en mesure de mieux coopérer et d’apporter notre aide, qu’elle soit humanitaire ou militaire. Des exercices comme celui de l’African Lion nous permettent de le faire avant que ces événements ne se produisent. À ce titre, le Maroc est important parce qu’il est important dans le Maghreb. Et le Maghreb est important en raison du rôle qu’il joue dans le monde arabe, ainsi que dans le monde africain. »
Pas sûr, cependant, que tous les participants soient sur la même longueur d’ondes de ce point de vue. « L’Ukraine, la Russie, c’est loin de chez nous, rappelle le colonel qatari. Le Maroc et l’Europe sont des alliés, ils ont besoin de gaz, et nous en exportons beaucoup ! Mais nous avons aussi de bonnes relations avec les Russes. Nous ne voulons pas prendre parti et souhaitons conserver de bonnes relations avec tout le monde. »