Une rencontre avec l’ambassadeur Ahmed Boutache en mars au siège de la représentation algérienne à Washington, une entrevue avec le chef de la diplomatie Ramtane Lamamra le 24 juin, une invitation officielle à assister aux Jeux méditerranéens (du 25 juin au 5 juillet, à Oran) et une audience dans la foulée avec le président Abdelmadjid Tebboune à la résidence d’État à Oran Matthew Hill : un agenda d’ambassadeur.
Même dans ses rêves les plus fous, le jeune Matthew Hill n’aurait pas imaginé pareil accueil de la part des responsables algériens. Il a même eu droit à un passage au journal télévisé de la chaîne officielle, ainsi qu’à la Une de certains quotidiens de la presse locale. C’est le quart d’heure américain en Algérie pour le petit Matthew.
Comment ce garçon de 12 ans, atteint d’une forme d’autisme, est-il parvenu à rencontrer les officiels algériens et devenir ainsi la coqueluche des réseaux sociaux en Algérie ? Parents d’origine cubaine divorcés, Matthew vit avec sa mère, Stephanie, et sa grand-mère, Marianela Martinez, à Kendall, une banlieue plutôt chic de Miami, en Floride.
Drapeaux, avions et diplomatie
Depuis l’âge de 3 ans, l’enfant nourrit une passion pour les drapeaux, dont il possède une grande collection. Doté d’une mémoire impressionnante, il peut retenir les noms des pays du monde entier. Au collège de Kendall, Matthew affiche de très bons résultats en mathématiques, en sciences sociales et en langues étrangères. Outre l’anglais et l’espagnol, qu’il parle couramment, Matthew a appris le portugais, le français et récemment l’arabe grâce à une enseignante algérienne originaire de Constantine.
En plus des drapeaux, Matthew développe une passion pour les avions. Depuis son premier vol sur un appareil de la compagnie Delta, le garçon nourrit le rêve de devenir pilote de ligne. Chaque année, sa famille fait des économies pour lui offrir un voyage en avion à l’occasion de son anniversaire. En février 2021, il est accueilli au Delta Flight Museum, le musée de la compagnie aérienne, ainsi qu’à l’aéroport international d’Atlanta.
« C’est le plus bel anniversaire que j’aie jamais eu », confie-il alors aux employés de la compagnie qui lui ont fait faire le tour de piste. L’amour de Matthew Hill pour les avions Delta est tel qu’il a donné le pseudonyme « Delta717diecast » à son compte Instagram, sur lequel il indique être le « futur ambassadeur américain à Alger ».
Drapeaux, aviation et aussi diplomatie. Au collège, l’adolescent ambitionne d’étudier l’économie, les relations internationales et la diplomatie. Car Matthew veut également devenir ambassadeur et pourquoi pas le premier président américain atteint d’autisme. Avec le soutien de sa mère et de sa grand-mère, il a entrepris depuis plus de deux ans une tournée des ambassades et des consulats étrangers accrédités en Floride et à Washington.
Aux chevronnés diplomates qui le reçoivent avec bienveillance, le jeune garçon confie sa passion pour la diplomatie, l’histoire et les relations internationales. À chacune de ses rencontres, dont il publie le cliché sur son compte Instagram, il étale ses connaissances sur l’histoire du pays dont les représentants diplomatiques et consulaires lui offrent l’hospitalité.
C’est ainsi que Matthew Hill a été reçu, en 2021, par les ambassadeurs et consuls d’une douzaine de pays : Canada, Maroc, Ouganda, Inde, Suisse, Portugal, Chine, Égypte, Turquie, Argentine, Barbade, Australie.
Lamamra, Tebboune, Belmadi…
Lors de l’élection présidentielle de 2020 opposant Donald Trump à Joe Biden, Matthew a mené campagne pour le candidat démocrate et participé, avec une pancarte frappée du slogan « Autistic kids vote for Biden (les enfants autistes votent pour Biden) », à un meeting organisé en Floride par l’ancien président Barack Obama. Sur son compte Instagram, il prend également position contre la guerre en Ukraine et pour la paix en Afghanistan.
En septembre 2021, pendant qu’il faisait encore la tournée des consulats et ambassades, Matthew Hill adresse, via une vidéo, un message au ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, dans lequel il lui fait part de son souhait de devenir diplomate « pour contribuer à bâtir la paix avec tous les pays et à aider les moins chanceux qui vivent dans la pauvreté et la souffrance ». Sur son compte Twitter, Ramtane Lamamra lui répond et l’encourage à réaliser ses rêves.
Envie de faire plaisir à ce garçon atteint d’autisme ou opération de com ? Toujours est-il que le jeune Américain est invité à se rendre en Algérie. Première étape de cette opération : une réception en mars 2022 avec sa famille au siège de l’ambassade algérienne à Washington, où le garçon est accueilli comme un diplomate de haut rang.
Sur place, il évoque son envie d’apprendre l’arabe, son rêve d’aller en Algérie, sa passion pour la diplomatie et son souhait de rencontrer des Sahraouis. Ce premier contact donnera lieu à une invitation officielle pour lui et sa famille à visiter l’Algérie à l’occasion des Jeux méditerranéens.
« Wantotrisme »
Arrivé de Floride, via Paris, Matthew Hill est reçu par Ramtane Lamamra, qui publie un cliché sur son compte Twitter. L’enfant et sa famille se rendent ensuite à Oran, où ils sont reçus par le chef de l’État lors d’une audience officielle, comme des dignitaires de haut rang, et dont les images sont retransmises par les chaînes privées et publiques. Le jeune autiste a même pu rencontrer Djamel Belmadi, le sélectionneur de l’équipe algérienne de football.
Demeure une question : pourquoi de hauts responsables à l’agenda bien chargé consacrent-ils du temps à ce jeune Américain, tout passionné de diplomatie et de relations internationales qu’il soit ?
La présence du jeune homme en Algérie au moment où celle-ci accueille les Jeux méditerranéens flatte l’égo de certains Algériens, qui nourrissent un besoin d’être reconnus à l’international. C’est aussi une opération de communication et de marketing pour les autorités algériennes, qui sont rarement associées à ce type d’image sympathique.
Elle titille aussi cette fibre patriotique que d’aucuns désignent sous le vocable du « wantotrisme » (du slogan « One, two, three, viva l’Algérie ! »). Mais sur les réseaux sociaux, l’instrumentalisation politique du séjour de cet adolescent américain n’a pas été du goût de nombre d’Algériens.
« Si seulement vous pouviez avoir 10 % d’empathie, de soutien et une lueur d’espoir envers les jeunes de votre pays qui ne rêvent que de quitter le cauchemar et le désespoir qu’est devenue l’Algérie… », commente un internaute sur le compte Twitter du chef de la diplomatie.
