Côte d’Ivoire : bombardement de Bouaké, les généraux français au rapport

L’affaire du bombardement de Bouaké, en Côte d’Ivoire (novembre 2004), revient sur le devant de la scène judiciaire. Et la juge chargée du dossier à Paris n’exclut pas d’aller à La Haye pour entendre Laurent Gbagbo.

Publié le 12 novembre 2013 Lecture : 3 minutes.

On croyait ses poussières retombées et voici que le bombardement de Bouaké (9 militaires français tués le 6 novembre 2004) détone de nouveau. Ses dernières répliques ont retenti dans le secret du cabinet de la juge Sabine Kheris, qui instruit désormais l’affaire au tribunal de grande instance de Paris et qui envisage de se rendre à La Haye pour auditionner Laurent Gbagbo.

Le 16 octobre, la magistrate a entendu en qualité de témoins les généraux Patrick Destremau, Renaud Alziari de Malaussène et Jean-Paul Thonier. Le lendemain, ce fut au tour d’Henri Bentegeat et d’Emmanuel Beth d’être auditionnés. Le 22 enfin, Henri Poncet est venu compléter cette brochette de témoins multiétoilés, tous convoqués à la demande de Me Balan, avocat des familles des victimes… Avec, à la clé, deux surprises de taille.

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La première concerne le convoi de blindés français de Bouaké vers Abidjan au lendemain du bombardement du camp Descartes par deux Soukhoï ivoiriens. Ils avaient pour mission de sécuriser l’hôtel Ivoire, où avaient été regroupés de nombreux Français, mais c’est bien devant la résidence du président Gbagbo qu’au moins une partie du convoi a d’abord pris position. Longtemps, les militaires français ont argué d’une "erreur de GPS", mais devant la juge Kheris, c’est un autre scénario qui a été esquissé : celui d’un "guide" venu rejoindre les blindés "en hélicoptère" pour lui indiquer le chemin de l’hôtel – un "guide" dont Poncet a confirmé la présence et qui, selon Destremau, qui commandait la colonne, aurait "commis une erreur professionnelle par peur et par incompétence". Les blindés auraient pris "la première à gauche" au lieu de "la deuxième à gauche"… Le même Destremau confirmant par ailleurs qu’il avait reçu l’ordre d’aller à l’hôtel Ivoire et non de protéger l’ambassade de France, qui se situait à proximité immédiate de la résidence Gbagbo, ainsi que l’avait déclaré sous serment, en mai 2010, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense au moment des faits.

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Des propos contradictoires

L’autre surprise est liée aux déclarations de Bentegeat. L’ancien chef d’état-major des armées affirme ne pas avoir participé à un conseil restreint à l’Élysée. Des déclarations contredites par le général Beth. "En référence à la Constitution, quand il y a des crises, le conseil restreint [est réuni] à l’Élysée […]. Le chef d’état-major participant à ce type de réunion répond au chef de l’État sur les points stratégiques." À la question : "Le chef d’état-major participe-t-il toujours à ces conseils ?" Beth répond : "Oui."

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Comment concevoir que, dans une telle situation de crise, aucune cellule dédiée ne se soit réunie à l’Élysée si, comme l’affirme Beth, la Constitution (et le bon sens) l’exige ? Et si ce conseil restreint a bien eu lieu, pourquoi Bentegeat en a-t-il été tenu à l’écart ? Ancien adjoint du général Poncet, qui commandait alors la force Licorne en Côte d’Ivoire, Malaussène a son idée sur la question. Devant la juge, il a commencé par s’étonner qu’à deux reprises la France ait "laissé échapper les pilotes [des Soukhoï]". Et a poursuivi : "Je pense qu’il y avait un projet politique qui était celui de mettre Ouattara en place et de dégommer Gbagbo, qui est un homme intelligent, cultivé, fin, qui a traversé beaucoup de crises et qui, au fond de lui-même, aime la France." Mais alors, pourquoi Gbagbo aurait-il fait bombarder le camp français à Bouaké ? "Je suis convaincu que Gbagbo n’a pas voulu tuer des soldats français, poursuit Malaussène, et que quelqu’un de son entourage a pris cette décision sans le dire à Gbagbo […]. Je pense que la mouvance Gbagbo est tombée dans un piège."

Autant de déclarations qui tranchent avec "l’embarras visible" des cinq autres généraux face à la juge, souligne Me Balan, qui continue de demander la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur cette affaire.

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