Iheb Triki exulte. Il vient de boucler une journée marathon, mais fructueuse, au salon Vivatech à Paris (du 15 au 18 juin), rendez-vous mondial des startups et de l’innovation. Son carnet d’adresses se remplit, et des précommandes prometteuses propulsent le cofondateur et directeur général de la startup Kumulus sur un nuage. Mais « la grosse tête », très peu pour lui.
Il pourrait pourtant. Avec son acolyte, Mohamed Ali Abid, lui aussi un ancien de Polytechnique Paris, ils ont l’ambition de créer de l’eau. Pas moins. Un projet qui peut sembler aussi utopique que la quête de la pierre philosophale au XVIe siècle, mais qui est devenu une réalité. Et qui tombe à point nommé pour compenser le manque d’eau potable dans les régions arides, dont l’Afrique du Nord.
Contrairement aux ressources hydriques qui s’amenuisent malgré toutes les alertes sur le changement climatique, Iheb Triki, 37 ans, est intarissable sur Kumulus. Il précise très vite qu’avec Mohamed Ali Abid et les quatorze membres de l’équipe, ils n’ont rien inventé.
« Le procédé existait mais sous d’autres climats et étaient surdimensionnés par rapport à des besoins locaux », explique celui qui a troqué un parcours professionnel tout tracé dans la finance et les investissements sur des projets durables et écoresponsables chez Swicorp pour suivre son propre chemin.
Une méthode inspirée de la rosée
Destin ou hasard, c’est aux portes du Grand Erg oriental dans le Sahara qu’Iheb Triki aura la révélation que « l’eau existe même au fin fond du désert ». Lors d’une randonnée à Houidhate dans le Sud tunisien, il se charge de l’approvisionnement en eau.
Un matin, il constate que sous l’effet de la rosée, les tentes et les voitures sont trempées. L’eau était là, il fallait savoir la domestiquer d’autant que le secteur de l’eau en Tunisie, bien que délaissé, est particulièrement essentiel.
L’ingénieur, passionné de course à pied et de méditation, comprend, comme d’autres avant lui, tout le potentiel de cette observation. Il va tenter de l’exploiter à travers l’invention d’une machine qui transforme l’air en eau.
L’idée est là et devient une évidence, d’autant que Mohamed Ali Abid l’enrichit par sa connaissance des machines thermiques. Les fondateurs de Kumulus travaillent à l’aspect technologique mais ont aussi pour souci un bon dimensionnement de l’appareil. Désormais les petites structures, les écoles, les collectivités et les privés peuvent s’équiper de cette machine qui utilise l’énergie solaire pour capter l’humidité de l’air.
C’est ainsi que naît le premier prototype de Kumulus, dont la troisième version qui produit 25 à 30 litres d’eau par jour est actuellement commercialisée. Une gamme beaucoup plus large est en cours d’étude tandis que les managers ont limité à 50 les machines mises sur le marché en 2022 afin d’accompagner au mieux les installations.
Une eau potable à 0,08 euro le litre contre 0,10
« Les petits projets sont plus gérables », commente Iheb Triki qui déplore que les humains soient contraints de changer de lieu de résidence par manque d’eau. C’est à Baydha, dans l’extrême nord-ouest de la Tunisie, qu’il a pu démontrer l’utilité de Kumulus en équipant une école. Une réalisation à échelle humaine qui fait office de témoin. Et une opération gagnante puisque l’eau potable revient, selon les promoteurs, à 0,08 euro le litre contre 0,10 pour l’eau minérale.
Le projet séduit la société Orange qui soutient Kumulus, mais aussi l’association « Wallah We Can » qui œuvre à rendre autonome une école du Nord-Ouest. Les investisseurs ont saisi toute la portée du projet et misé sur Kumulus qui a réalisé sa première levée de fonds, dont le résultat sera annoncé à la fin de juin.
L’aventure est telle qu’Iheb Triki n’imagine pas d’autre avenir professionnel que celui de la transformation de l’eau. Celui qui a étudié à Berkeley et multiplié les expériences veut poursuivre ses rêves. Il en est un qu’il souhaite réaliser à titre personnel : créer une exposition des œuvres de son père, l’enseignant universitaire et peintre soufi Omar Triki, auquel il a dédié, en 2015, un ouvrage d’art Prémices et aboutissements.
Le manager marathonien, qui se dit heureux de ce qu’il fait, cultive un fort ancrage familial. « Une famille d’intellectuels mais de la classe moyenne qui accordait beaucoup d’importance aux études et à la culture », raconte celui qui a grandi à Ben Arous (banlieue sud de Tunis) et qui tient à effectuer un travail de mémoire pour rendre hommage à son grand-père, Hassine Triki, figure de la lutte nationale, connu pour son engagement pour la cause palestinienne.