Qualifiés pour le second tour des élections législatives dans la 9e circonscription des Français de l’étranger (Maghreb et Afrique de l’Ouest), prévu le 19 juin, la candidate de la majorité présidentielle (Ensemble), Élisabeth Moreno, et celui de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), Karim Ben Cheikh, entrent dans la dernière ligne droite de leur campagne.
Le Franco-Tunisien est arrivé en tête du premier tour avec 40 % des suffrages exprimés, contre 28 % pour l’ancienne ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes. Le scrutin a été marqué par une abstention élevée, près de 85 %.
À la veille de l’ouverture, le 10 juin, du vote en ligne pour les Français résidant à l’étranger, les deux candidats ont accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique dans un entretien croisé, réalisé séparément.
Jeune Afrique : La restriction des visas décidée par l’exécutif français en septembre 2021 a été très décriée dans les pays concernés (Maroc, Algérie, Tunisie). Si vous êtes élu(e), quelle position comptez-vous adopter sur le sujet ?
Élisabeth Moreno : Il s’agit de l’une des questions les plus urgentes que je souhaite régler. Beaucoup de personnes se sont senties ciblées, voire humiliées. Je souhaite donc établir un grand dialogue sur cette question qui prenne en considération les attentes et les points de vue de chaque pays. Les liens qui nous unissent sont trop importants pour que l’on ferme la porte au dialogue.
L’enjeu est à la fois humain et économique, car le problème touche des personnes et leurs proches, mais aussi le monde de l’entreprise. Le président de la Chambre de commerce marocaine m’a ainsi expliqué que beaucoup de chefs d’entreprise passent à côté de nombreuses opportunités de faire des affaires à cause de l’impossibilité d’obtenir des visas.
C’est tout à fait inacceptable, et c’est pourquoi je compte créer une commission parlementaire qui se penchera sur le dossier, afin de déterminer ce qui fonctionne et ce qui dysfonctionne.
Karim Ben Cheikh : Je demanderai le retrait immédiat de cette mesure prise par le gouvernement dont faisait partie Mme Moreno. Cette politique punitive ne me paraît ni efficace, ni utile, et contribue par ailleurs à entamer la confiance des populations de ces pays envers la France, alors qu’il existe chez elles un réel besoin de circulation lié à une histoire commune et à la présence de diasporas.
En réalité, cette disposition était destinée à mélanger deux questions qui n’ont rien à voir : celle de l’immigration et celle de la circulation, alors que la seconde n’est pas le prolongement de la première, laquelle se gère dans des cercles ad hoc et dans le cadre de discussions entre États.
Quand on dit qu’on va réduire de 50 % les visas délivrés aux Marocains, on oublie qu’il y a des vies derrière. Comment expliquer à des enfants qui, de par leur scolarisation dans des établissements français, de la maternelle jusqu’au bac, ont des liens pérennes avec la France qu’ils ne pourront pas aller y étudier ?
Non seulement il faut lever cette mesure, mais il faut introduire une plus grande cohérence dans notre politique de visas. Je propose qu’un enfant qui a effectué sa scolarité dans un lycée français puisse quasiment automatiquement obtenir un visa pour effectuer ses études en France.
Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane au Mali. De son côté, Jean-Luc Mélenchon l’a qualifiée d’ « intervention confuse sans objectif politique identifié ». Comment jugez-vous l’approche de l’actuel président et que pensez-vous des critiques formulées par le leader insoumis à propos de la diplomatie française sur le continent africain ?
Karim Ben Cheikh : Depuis le milieu des années 2000, le Sahel est confronté à deux problématiques concomitantes. La première est d’ordre sécuritaire, liée à l’arrivée dans la région de groupes armés. Comment, dans le contexte actuel, assurer une stabilité régionale dans un endroit où il est très difficile d’exercer sa souveraineté ?
Je n’étais pas opposé à l’intervention française lorsque l’on a vu foncer vers Bamako des groupes jihadistes. De plus, cette opération répondait à une demande des autorités locales, et a pris soin d’impliquer la Cedeao, l’ONU, ainsi que, plus tard, l’Union européenne (UE).
La deuxième thématique est celle qui a trait au développement. Ce qu’on appelait jadis le « bassin » sahélo-saharien faisait office de centre névralgique entre l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest, et c’est ce qui permettait de faire vivre ces pays.
Or, en raison de politiques européennes, notamment les restrictions en matière migratoire, les pays du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest ont fermé leurs frontières Sud et se sont entièrement tournés vers l’Europe pour leur commerce.
Les pays sahéliens se sont alors retrouvés marginalisés, et on parle à présent de « bande » sahélo-saharienne. La France gagnerait à avoir une politique qui s’interroge sur la façon de réintégrer le Sahel dans son environnement régional.
Élisabeth Moreno : Je ne commenterai pas les points de vue de Jean-Luc Mélenchon, a fortiori en période électorale, car ceux-ci peuvent être biaisés et démagogiques. Au pouvoir depuis cinq ans, Emmanuel Macron a énormément fait pour apaiser les tensions dans la région. C’est un sujet trop grave pour en faire de la politique politicienne. Nous devons être tous solidaires sur ce sujet au lieu de se contenter de petites phrases.
Sur Barkhane, je tiens à rappeler que l’objectif, qui était de maintenir la pression sur les groupes terroristes, a été atteint. De plus, lors du précédent quinquennat, d’importantes réformes ont été mises en place, comme la fin du franc CFA, la restitution de biens culturels au Bénin, ou encore le devoir de mémoire envers l’Algérie et le Rwanda.
Le Nouveau Sommet Afrique-France [qui s’est tenu le 8 octobre 2021] a réuni 4 500 personnes de la société civile afin de renouer le dialogue. Aucun président avant Emmanuel Macron n’y était parvenu. Nous devons assumer le fait que la France et les pays africains ont des intérêts économiques, sociaux et politiques communs.
Dans plusieurs pays du Sahel, on assiste à une montée du sentiment anti-français. Cela vous inquiète-t-il ?
Élisabeth Moreno : Oui, d’autant que le terrorisme est un phénomène mondial. Nos destins sont liés, et c’est la raison pour laquelle le président de la République veut renforcer les liens entre l’Europe et le continent africain.
J’entends l’incompréhension de certains pays comme le Mali. La France a conditionné son aide au respect des principes de la démocratie, ce qui nous a placés en porte à faux vis-à-vis de plusieurs régimes qui ont basculé dans une logique inverse.
Les relations entre l’Afrique et la France sont faites de pages sombres et de pages lumineuses. Il n’existe pas de pays africain qui n’ait pas de relations avec la France. De nombreux binationaux vivent dans des pays du continent. Nous devons trouver un moyen de travailler et d’avancer ensemble.
Karim Ben Cheikh : C’est inquiétant, et ma priorité sera toujours de veiller d’abord à la sécurité des Français établis sur place. À Ouagadougou, j’ai rencontré des compatriotes qui m’ont exprimé leur inquiétude, que je sais également grande à Niamey ou à Bamako.
Si je suis élu, je ferai toujours en sorte que les paroles que l’on prononce en tant que responsable prennent en compte la réalité des communautés françaises qui sont sur place.
En tant qu’éventuel député de la 9e circonscription des Français de l’étranger, vous serez amené à travailler avec le Maroc et l’Algérie. Quel regard portez-vous sur les derniers événements qui ont conduit à la dégradation des relations entre les deux voisins ?
Karim Ben Cheikh : À ma connaissance, ces deux pays n’ont pas fait appel à la médiation de députés français pour s’immiscer dans leurs relations bilatérales.
Il ne m’appartient pas, que je sois élu député français ou non, de commenter les relations entre deux puissances régionales, dont le rôle en matière de stabilité et de sécurité dans la région est important.
Élisabeth Moreno : Je n’ai pas de m’immiscer dans les relations entre l’Algérie et le Maroc. Je me présente pour être députée des Français de l’étranger, qu’ils vivent à Alger, Rabat, Dakar, ou Abidjan.
Sur la question du Sahara occidental, j’ai exprimé ma position, à savoir que le plan d’autonomie marocain est à ce jour la solution qui me paraît la plus solide et la plus crédible. La France soutient ce plan depuis 2007, et je me réjouis de voir que nous avons été rejoints par d’autres pays.